Les artistes sont aussi la somme des œuvres qui les ont façonnés. L’actrice Mélissa Désormeaux-Poulin, tête d’affiche des spectacles Ma faute et Cerveau cet hiver à la télévision de -, parle avec notre chroniqueur Marc Cassivi de ceux qui l’ont marquée, dans le cadre de notre rubrique Sous influences.
Marc Cassivi : Je vois que vous avez préparé une liste de vos influences. Je vous l’assure : il n’y a pas de mauvaise réponse !
Mélissa Désormeaux-Poulin : On rate quelque chose si on n’y pense pas ! C’est super personnel. Cela révèle quelque chose sur nous. J’ai peur qu’on me juge pour ce que j’ai aimé, mais je me suis donné le droit de tout vous dire.
Y a-t-il des œuvres que vous considérez comme des plaisirs coupables ?
Je suis une fille de culture populaire. Je viens de là. Mes parents étaient super intellectuels, mais pas moi.
Par opposition ?
Complètement ! J’ai en quelque sorte évité ce qu’ils aimaient. Mon père était professeur de littérature, ma mère était conseillère en communication. C’étaient des puristes. Je m’en suis éloigné, mais je le porte en moi. C’est pourquoi j’ai un jugement sur ce que j’aime. Je ne sais pas si vous avez vécu ça, mais quand j’ai eu mes enfants, je n’ai rien consommé de culturel pendant des années. Émotionnellement, je ne voulais pas être bouleversé. J’ai des trous dans ma culture.
C’est compliqué de sortir quand ils sont petits. j’ai découvert Dora l’exploratrice et Toc toc toc ! Quelles sont les œuvres qui ont marqué votre propre jeunesse ?
Dès l’âge de 4 ou 5 ans, j’ai su que je voulais être actrice. Le premier film dont je me souviens est Les Goonies. Je l’ai regardé encore et encore. Bach et Bottinec’était le premier film que j’ai vu au cinéma. Je voulais que Mahée Paiement soit mon amie. La grenouille et la baleine, Les Aventuriers du timbre perduce sont des films que je connais par cœur. Même à 43 ans, je rêve toujours de faire un Conte pour Tous ! Cela m’a tellement touché quand j’étais jeune.
Rufus Wainwright, qui était dans ma classe au début du primaire, jouait dans Les aventuriers du timbre perdu. Et mon meilleur ami de l’époque avait le rôle principal dans Opération beurre de pinottes.
Je rêvais de jouer dans les Contes pour tous et la télévision était déjà très présente dans ma vie. Il y avait des dramatiques dans Le Club des 100 watts, dont j’apprenais aussi les textes par cœur. Robin et Stella. Et puis des émissions pour adultes comme Des dames de cœur ou Un signe de feu. Je me fâchais contre les personnages qui trompaient leur femme ! J’avais 6 ou 7 ans, mais je rêvais déjà d’être une adulte. Ma mère me laissait regarder ça et je reproduisais des scènes pour ma famille en jouant tous les personnages. Ma famille se tapait ça ! Après, Les filles de Caleb a été une révélation pour moi. Je voyais Jessica Barker à l’écran et je me disais que c’était le genre de rôle que j’aurais pu interpréter. Je vivais des petites déceptions, mais je tripais sur notre télévision.
Tu travaillais déjà à l’époque ?
Je jouais dans Jamais deux sans toi, mais je n’avais pas accès à ce genre d’auditions. Je n’avais pas d’agent. C’est arrivé plus tard. Mais ça forgeait mon petit rêve, qui ne me lâchait pas ! Je rêvais aussi à Macaulay Culkin, que j’avais vu dans L’été de mes 11 ans. J’avais l’impression qu’il pouvait être mon amoureux. Je lui écrivais des lettres que j’envoyais à son fan club. En français ! Ça fait pitié, non ?
Mais non, c’est très cute !
À 12-13 ans, j’ai commencé à triper sur Whoopi Goldberg : Ghost, Sister Act, dans lequel jouait Lauryn Hill. Je la trouvais fascinante. Je m’habillais comme elle. C’est grâce à Lauryn Hill que ma passion pour le rap a commencé. Les Fugees, Wyclef, que j’adore…
J’ai tellement écouté The Carnival !
Je suis allée le voir en spectacle avec mes filles. J’adore l’artiste qu’il est devenu. Ado, j’écoutais du rap américain : Dr. Dre, Snoop Doggy Dogg. Je n’étais pas consciente de ce qu’ils disaient ! Les filles se font maltraiter dans leurs chansons, mais j’avais un plaisir réel à les écouter. Je pense que ça me donnait confiance. Il y a quelque chose dans le rap qui me fait penser à l’opéra : c’est dramatique. J’écoute ça dans mon auto, mais je ne suis plus à jour. J’aime Kendrick Lamar, mais je ne connais pas bien son dernier album.
Donc une adolescence baignée dans le rap…
Oui, et à la même époque, j’ai découvert Happiness de Todd Solondz et le fait que j’aimais les films choraux. Happiness, c’était la vraie affaire. Les dialogues !
Je viens d’acheter le Blu-ray de la collection Criterion, qui est sorti cet automne. C’est un film qui est quasi introuvable aujourd’hui.
Parce qu’il est tabou ?
Je ne suis pas sûr que l’humour noir sur la pédophilie, ça passerait bien en salle aujourd’hui.
C’est un film qui m’habite encore. J’ai fait une démo, en anglais et en français normatif, avec une des scènes de Happiness. Quand la voisine de Philip Seymour Hoffman raconte qu’elle a tué le gardien de nuit en lui coupant le pénis. C’est une scène formidable. Elle continue de manger son sundae dans un diner en lui demandant s’il se sent bien. Pour moi c’est un film culte.
On est loin de la culture populaire dont tu parlais au début de l’entrevue.
Tu trouves ? J’ai l’impression que je suis très culture populaire.
Happiness ? C’est le contraire de la culture populaire !
C’est vrai que c’est plus champ gauche. J’aimais aussi American Beauty, Trainspotting, Requiem for a Dream, Kill Bill, qui sont plus connus, mais qui ont des côtés plus trash aussi. Et puis Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, un film plus doux qui ne ressemblait à rien de ce que j’avais vu jusque-là. Je suis d’abord attirée par les personnages. Ça peut être une histoire banale, mais si le personnage ou l’acteur est extraordinaire, je peux triper sur le film. J’aime les films avec Frances McDormand.
Je viens de revoir Moonrise Kingdom de Wes Anderson et Mississippi Burning d’Alan Parker. Je ne me souvenais plus qu’elle jouait là-dedans. Elle avait à peine 30 ans. C’est une actrice formidable.
Elle n’est vraiment pas dans la coquetterie. Dans son jeu, on a accès à une vérité et une liberté. Je rêve de vieillir comme ça, d’être honnête envers ce que je suis et ce que je deviens. C’est un souhait.
Tes coups de cœur au cinéma québécois ?
J’ai tué ma mère ! Je suis tombée en amour avec le cinéma de Xavier [Dolan]. J’aime tous ses films. On sent la chaleur des personnages, on entre dans leur univers, on est toujours un peu surpris. On se dit que ça n’existe pas, mais on accepte que ça existe ! Récemment, Simple comme Sylvain m’a fait du bien. Cela m’a donné envie de jouer à l’amour. J’ai trouvé ça génial et drôle. Je trouve que Monia [Chokri] jette un regard juste sur deux classes sociales. Et j’ai trouvé Magalie [Lépine-Blondeau] redoutable.
Nous avons récemment fait La presse une liste des 25 meilleurs films des 25 dernières années et ils étaient tous les deux là. En plus, Incendies était deuxième…
Quel bon film ! Pendant que nous filmions IncendiesJ’ai vu M. Lazharque j’ai aussi adoré. Quand Incendies est sorti, mon regard sur le cinéma a changé. J’ai vu Biutiful d’Iñárritu, après avoir été marqué par Babelet je me suis dit qu’il était possible pour moi aussi de faire un jour des films comme ceux-là. Tout est devenu accessible dans ma tête. Je ne dis pas que c’est arrivé, mais je me suis permis de rêver. C’est mon rapport à la culture !
Ma faute est présenté les mardis à 20 h à - et Cerveau Les lundis à 21 h, également à -. Les épisodes sont sur Ici Tou.tv