Elle croisait les chants arabes avec des rythmes afro-cubains ou des partitions symphoniques, chantait la paix et son amour pour le Liban de sa voix céleste… Retour sur une carrière à l’aura exceptionnelle en cet anniversaire.
Par Anne Berthod
Publié le 21 novembre 2024 à 14h00
SSes chants exaltent les beautés d’un Liban qui n’existe plus, mais sa voix céleste continue de transcender les confessions et les générations. La dernière grande diva du monde arabe encore vivante, Fairuz, qui signifie « turquoise » en arabe, a aujourd’hui 90 ans. Ayant grandi dans une famille chrétienne syriaque d’un quartier modeste de Beyrouth, elle n’a elle-même jamais pris parti pendant la guerre civile (1975-1990), refusant de se produire au Liban pendant toute la durée du conflit. Dans la capitale libanaise, où elle vit toujours, et aujourd’hui en feu, son dernier concert remonte à 2011. La rareté de ses apparitions a alimenté la légende. Son aura exceptionnelle tient aussi au modernisme de son répertoire. De l’opérette politique à la comédie musicale, du folklore adapté à la sauce latine aux partitions symphoniques croisées de rythmes jazzy, son registre est hétéroclite. En dix titres tirés de sa vaste discographie (une cinquantaine d’enregistrements au total), nous vous faisons parcourir quelques-unes des plus belles pages de la musique libanaise moderne.
« Baâlbeck » (1957, réédité en 2000)
A l’été 1957, Fairuz triomphe sur la scène antique de Bâalbeck. Le public de ce jeune festival international est subjugué par le timbre de sa voix et salue le répertoire moderniste de ses deux auteurs-compositeurs, Assy et Mansour Rahbani. Fairuz a rencontré les deux frères à leur sortie du conservatoire. Elle épouse l’aîné et forme avec eux un trio soudé. Leur audace occidentalisante en a découragé plus d’un au Liban, mais portera au sommet leur égérie, la « septième colonne » du théâtre de Baalbeck.
“Ya Maleya Ala Ghosoun” (1959)
Le vertige du Moyen-Orient transformé en rythme de boléro ? Au pays du cèdre, où l’on ne jure que par la grandeur égyptienne, nombreux sont ceux qui crient au sacrilège. Cela n’empêche pas les frères Rahbani de dépoussiérer le folklore avec des rythmes afro-cubains et autres danses latines. Tango, flamenco, mambo… tout est bon pour mettre en valeur la luxuriance vocale de leur égérie.
“Baitek Ya Setty El Khetyara” (1963)
Cette délicieuse comptine sonne comme une chanson à clé : celle de la maison de sa grand-mère, dans un village de montagne, où Fairuz passait autrefois ses étés. La vie était simple, le bonheur était humble. Il a fait de son enfance un paradis et a fondé son amour pour le Liban, dont elle ne cessera de chanter les beautés et l’unité perdue dans tout son répertoire.
“Aatini Al Nay” (1964)
“Donnez-moi le ney et chantez”dit le poème de Khalil Gibran, une sublime ode à la langue arabe — allez lire la traduction ! Sur les vers de son compatriote, grande figure de la Nahda (Renaissance arabe), la voix cristalline de Fairuz s’envole et se gonfle d’un lyrisme sans égal.
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“Sanarjiou” (1967)
En 1967, les armées des pays arabes sont vaincues par Israël, qui prend le contrôle de la Vieille Jérusalem. C’est la fin du douce vie dans le théâtre libanais. Aux chrétiens d’Orient et aux réfugiés palestiniens, Fairuz dédie l’album Jérusalem dans mon coeur. Sanarjiou (« Nous reviendrons un jour »), hymne de la cause palestinienne, l’impose dans le monde arabe.
“Ya Ana, Ya Ana” (1972)
La citation d’œuvres tirées de la musique classique occidentale est récurrente chez les frères Rabhani. Là Symphonie n°40 en sol mineur de Mozart devient ainsi le prétexte à une romance poignante et langoureuse, où le contre-chant du piano contraste sa légèreté avec la splendeur des cordes orientalisantes.
“Habbatak Be El Saif” (1975)
En 1975, la guerre civile éclate au Liban. Fairuz refuse de prendre parti. Avec une posture immobile et un look très maquillé, elle chante “Je t’ai aimé pendant l’été, je t’ai attendu tout l’hiver…” ; l’histoire d’un cœur brisé en attente de retrouvailles, une romance cathartique de tragédie nationale.
“Wahdon” (1979)
Sa collaboration avec les frères Rabhani prend fin en même temps que son mariage. Assy ne s’est pas remis de son hémorragie cérébrale, mais Fairuz profite d’une nouvelle jeunesse avec leur fils de 22 ans. Ziad Rahbani le compose Wahdonun album porté par des arrangements jazzy qui annonce son hétéroclisme à venir.
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« Wahdon », de Fairuz
«Il Beyrouth» (1983)
La guerre civile ne finit jamais. Fairuz, loin de la scène, chante son chagrin, le «goût de feu et de fumée» après l’invasion israélienne. Les paroles sont de Joseph Harb, la musique suit le deuxième mouvement du Concerto d’Aranjuez, de Joaquín Rodrigo. Elle en fait l’hymne d’une utopie, qui rassemblera des milliers de Libanais après la guerre, lors d’un concert pour la réconciliation nationale.
“Kifak Inta” (1991)
Le troisième album composé par Ziad Rahbani est plus funky. Dans le choix des auteurs, il ose l’humour noir, les textes bruts, sans prétention. Sur la chanson titre, Fairuz déclare son amour à un homme marié. Les traditionalistes s’étouffent. Les jeunes adorent ça.
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