Eddy Mitchell sort ses mémoires, sobrement intitulés Autobiographietandis qu’un nouvel album, Amisest attendu dans les prochains jours. Eddie Mitchell? Tout le monde l’aime, même les électeurs RN, contre lesquels il s’est récemment mis en colère sur les ondes de France Inter : « Je suis contre ces gens ! Avant, je ne votais pas, maintenant je vote contre eux ! » Et à ajouter dans ce livre : « Ce n’est pas un choix, mais c’est le mien. »
Après tout, pourquoi pas et c’est son droit et ça lui fait beaucoup de bien. C’est d’ailleurs avec prudence, au-delà de ce discours anti-lepéniste obligatoire, qu’il tente de se définir politiquement : « Je n’ai jamais appartenu à un mouvement particulier. Mon cœur préfère battre à gauche. J’ai eu la faiblesse de croire beaucoup à Mitterrand, en 1965, par pur antigaullisme. […] J’ai toujours été domicilié en France, je paie tous mes impôts et je trouve que c’est la meilleure contribution à la solidarité nationale. L’exil fiscal n’est pas pour moi. » Et d’ajouter, dans un éclair de lucidité malicieuse : « J’espère juste que nos impôts feront quelque chose. J’ai cru remarquer que malgré tous les impôts qui nous sont ajoutés, il y a encore des pauvres dans les rues, peut-être même plus qu’avant. Mais c’est peut-être une illusion d’optique. »
Très sceptique à l’égard des soixante-huitards bourgeois…
Toujours pas dupe, il se souvient de Mai 68 : « Je voyais que Cohn-Bendit, Sauvageot, tous ces nouveaux dirigeants se comportaient déjà comme des hommes politiques. Ils étaient petits-bourgeois et leurs discours ne concernaient que les étudiants et absolument pas la classe ouvrière. Je n’ai jamais cru à la révolution. » Emballé, c’est pesé. Et voilà la question politique évacuée.
A noter qu’outre les superbes mélodies qu’il a interprété, avec un goût très sûr pour les reprises de tubes américains sans pour autant négliger l’immense talent de son pianiste compositeur, Pierre Papadiamandis, Eddy Mitchell est aussi l’auteur de textes magnifiques, souvent ancrés dans la réalité sociale. . Ainsi, Il ne rentre pas ce soir évoque, dès 1978, le chômage de cadres jusqu’alors inconnus : « Le grand chef du personnel. / Je l’ai convoqué à midi. / J’ai de mauvaises nouvelles. / Vous terminez vendredi. / Une multinationale. / Offert à notre entreprise. / Vous êtes dépassé. […] Fini le golf et le bridge. / Vacances à Saint-Tropez. / L’éducation des enfants. / Dans la grande école privée. / Il pleure sur lui, pense qu’il est / Pour un travailleur immigré. / Il se sent dépassé. »
Mais déjà, en 1966, il sentait venir ce vent mauvais avec un autre chant prophétique en matière de mondialisation, Société anonyme : « Dans un immeuble de 20 étages, / Été comme hiver / Vous travaillez pour une entreprise / De cent mille actionnaires. / Votre nom ici n’existe pas, / Vous n’êtes qu’un numéro. […] Rien ne vous appartient. / Vous ne valez pas un seul centime. / Tout appartient à la Société Anonyme. »
Dans cette mélancolie du temps qui passe, donnant naissance à un monde de plus en plus désincarné, il reste encore La dernière séance (1977), une chanson dans laquelle il déplore la disparition programmée des petits cinémas de quartier : « La lumière s’éteint déjà. / La salle est vide aux larmes. […] / Un vieil homme pleure dans un coin. / Son cinéma est fermé. / C’était la dernière séquence. / C’était sa dernière séance. / Et le rideau sur l’écran est tombé. »
A chaque fois, la chanson est un petit film en soi, comme en témoigne Sur la route de Memphis (1976), adapté d’un tube de l’Américain Tom T. Hall ; ou l’histoire d’un bandit pensant à sa fiancée : « J’ai le droit de me taire et de fumer. / Garder mes menottes aux poignets. / Sur la route de Memphis. / Pour une fois, les flics ont gagné. / Vers chez toi je ne fais que passer. / Sur la route de Memphis. » Il est vrai qu’Eddy Mitchell, acteur accompli, est aussi un cinéphile érudit ayant nous enchanté de janvier 1982 à décembre 1998 – rare longévité dans le monde de la télévision – avec son show, bien nommé La dernière séancequ’il a animé avec joie et bonne humeur tout en nous faisant découvrir des petites séries B et des grands classiques oubliés.
Et c’est donc à lui que l’on laisse le générique de fin : « Certains traits de l’époque me déplaisent vraiment. Je suis capable d’insulter à l’infini et indifféremment contre les réseaux sociaux, les téléphones portables, les chanteurs sans voix, le fromage à raclette, les nouvelles technologies, les artistes subventionnés et la musique sans musiciens. […] L’ordinateur, pareil, je ne le supporte pas, je ne veux pas devenir aveugle et bossu. Et puis, je ne suis pas dactylo. »
Rien que pour ces phrases, on ne peut s’empêcher de tout pardonner !
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