L’actrice Anouk Aimée, reine des rôles énigmatiques, est morte

L’actrice Anouk Aimée, reine des rôles énigmatiques, est morte
L’actrice Anouk Aimée, reine des rôles énigmatiques, est morte

Mythique dans « Un homme et une femme », de Claude Lelouch, iconique Lola de Jacques Demy, égérie de Prévert et Fellini… Anouk Aimée incarnait une galerie de personnages inquiétants. Elle est décédée ce matin à l’âge de 92 ans.

Anouk Aimée chez elle à Paris en octobre 1976. Photo Giancarlo Botti/Gamma-Rapho

Par Pierre Murat

Publié le 18 juin 2024 à 11h57

Mis à jour le 18 juin 2024 à 12h02

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ANouk Aimée, décédée ce mardi 18 juin à l’âge de 92 ans, était un sorcier. Dans les interviews, elle savait, rien que par son look, faire croire au journaliste qu’il était en train de devenir ce qu’il espérait être à ses yeux : intelligent. » Murmura-t-elle en plaçant une mèche résolument rebelle derrière son oreille, comme dans Un homme et une femme, et on s’est vite rendu compte qu’aucun réalisateur, en fait, n’avait besoin de le diriger. Elle était là, et c’était suffisant. Tous ses réalisateurs se tenaient à l’écart devant l’incroyable présence qui faisait son talent.

Elle incarne souvent des personnages énigmatiques et trompeurs : la jeune fille, apparemment figée, qui meurt subitement de plaisir dans Le rideau cramoisi (1953), d’Alexandre Astruc, d’après Barbey d’Aurevilly. L’épouse dont le mari se demande si elle ne serait pas la prostituée la plus célèbre de Rome (Le rendez-vous, par Sidney Lumet, 1969). La sœur apparemment folle d’un frère probablement incestueux (Le saut dans le vide, de Marco Bellocchio, en 1980, qui lui vaut le prix de la meilleure actrice au Festival de Cannes). Sans oublier évidemment l’héroïne de Lawrence Durrell, qui passe pour une érotomane compulsive pour mieux se dévoiler, à la fin du Quatuor d’Alexandrie, un activiste politique dont la solitude devient une sorte de rédemption (Justine, par George Cukor, 1969). Amusé et admiratif par cette dualité permanente, Federico Fellini la jouera à deux reprises. Elle incarnera, comme Janus, le vice dans La belle vie (1960) et la vertu en Huit et demi (1963). ” Son visage, il a dit, évoque la même sensualité que celles de Greta Garbo, Marlene Dietrich et Joan Crawford, ces grandes reines pleines de mystère. »

Au début de la guerre, ses parents, comédiens, isolent la petite Nicole Dreyfus en Charente pour échapper aux rafles de juifs à Paris. Et à la Libération, on l’envoie en Angleterre pour suivre des cours de théâtre et de danse. Dans un restaurant où elle déjeune avec sa mère, le cinéaste Henri Calef repère cette jeune fille de 14 ans : elle prendra le prénom de son personnage dans La Maison sous la mer (1947) : Anouk. Et c’est Jacques Prévert, sur le tournage de La fleur de l’âge (1947), le film inachevé de Marcel Carné, qui trouvait ce nom difficile pour elle, mais qui lui portait chance : Aimée. Nico Papatakis, son premier mari (elle a également épousé Pierre Barouh, le parolier des chansons deUn homme et une femme, et l’acteur Albert Finney) lui font découvrir les artistes qui hantent alors Saint-Germain-des-Prés. Notamment Pablo Picasso. Et Jean Genet qui lui dit qu’il adore sortir avec elle : sa beauté attire le regard des hommes avec qui il tente alors de flirter !

Des héroïnes insolentes, fantaisistes et vulnérables

Très vite, Anouk Aimée devient l’égérie de la pré-Nouvelle Vague, avec Mauvaises rencontres (1955), d’Alexandre Astruc, et Tête contre les murs (1959), de Georges Franju. Par la suite, elle participera à l’âge d’or du cinéma italien et au début du déclin d’Hollywood, multipliant, dans une apparente indifférence, les retours inattendus et les erreurs fatales : elle refuse, par exemple, L’affaire Thomas Crown, de Norman Jewison, avec Steve McQueen, un rôle écrit pour elle, pour aller tourner, avec Yves Montand, un joli film – Un soir… un train, d’André Delvaux – où elle n’a, curieusement, qu’un second rôle…

Bien entendu, son film le plus célèbre reste, de loin, Un homme et une femme. Toute la France en 1966 bourdonne “da bada bada” au cinéma, voyant Jean-Louis Trintignant courir vers elle – au ralenti – sur la plage de Deauville. Claude Lelouch, qui le fera souvent courir et pas toujours bien (si il fallait le refaire en 1976, Viva la vie en 1984, Il y a des jours… et des lunes en 1990), signera deux séquelles à ce triomphe inattendu, devenu mondial : la catastrophe Un homme et une femme : vingt ans déjà en 1986, et le tendre et pâle Les plus belles années d’une vieen 2019.

Mais c’est Jacques Demy qui l’a rendue immortelle. Avec elle, il inaugure sa galerie d’héroïnes insolentes, fantasques et vulnérables. En 1961, elle devient Lola, « celle qui rit de tout, celle qui dit « l’amour est beau » »… Lola qui, dans les coulisses d’un cabaret nantais, sortie tout droit de l’univers de Max Ophuls, l’un des maîtres du cinéaste, attend sans hésiter le marin de sa vie. Lola que l’on retrouve, quelques années plus tard, abandonnée et perdue, dans un Model Shop de Los Angeles, face à un soldat en partance pour le Vietnam où, comme toujours, chez Demy, « le soleil et la mort voyagent ensemble »…

 
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