Le premier a demandé au second de composer la bande originale de son nouveau film, le très touchant « La Vallée des Fous ». Pour nous, ils reviennent sur leur collaboration unique.
Ce sont un peu les mêmes. Et quand deux grands brûlés habitent à quelques kilomètres l’un de l’autre, forcément, ils finissent par se rencontrer. « Xavier avait une certaine réputation à Étretat, raconte Peter Doherty, un jour il m’a doublé en voiture et m’a insulté. C’était ma première fois avec lui. Mais on a fini par faire connaissance, et je sais que c’est un sale ours qu’on a envie de câliner. » Si Peter Doherty s’est installé à Étretat, c’est avant tout pour sa propre survie. Katia, son épouse française née dans la cité Seinomarine, lui a fait comprendre en 2019 que, pour en finir avec les drogues dures, il devait s’éloigner définitivement des rivages de Margate, en Angleterre.
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Xavier Beauvois a quitté Paris il y a dix-sept ans pour sa ferme de Bénouville, son immense jardin, ses pommiers et ses dépendances qui lui permettent de travailler loin du tumulte. C’est là qu’il écrit et en partie filmé « La Vallée des Fous », son neuvième film, qui raconte comment Jean-Paul, restaurateur breton, participera à la Virtual Regatta (un jeu en ligne simulant le Vendée Globe). . d’une vieille coque de bateau installée dans son jardin. À travers le personnage incarné par Jean-Paul Rouve, Beauvois parle en effet beaucoup de lui-même : un homme souffrant d’addiction à l’alcool, qui doit donner suite à son idée folle pour mieux se retrouver et se reconstruire. Jusqu’à récemment, Beauvois faisait partie de ceux qui buvaient une bouteille de vodka par jour pour échapper à des questions existentielles. « J’étais un peu pathétique… Maintenant, je suis au jus de pomme et au thé vert », avoue le cinéaste, heureux d’avoir exorcisé ses démons par l’image. Et lorsqu’il s’agissait de composer la musique de sa folle histoire, Xavier s’est logiquement tourné vers son voisin ! « Avec Marie-Julie, ma femme, nous avions déjà réalisé un clip pour Pete. Il nous a donné une liberté totale. »
Une belle complicité entre les deux artistes
Doherty raconte avec délectation comment il s’est imposé sur le plateau. « Le cinéma a été un art majeur dans ma vie. J’ai toujours préféré le cinéma à la réalité. Dès que Xavier m’a évoqué son projet, je lui ai demandé s’il n’avait pas une petite place pour moi quelque part, pas forcément pour la musique. » Beauvois, qui a déjà travaillé avec John Cale ou Michel Legrand, n’a qu’une exigence : « La musique fait le film, c’est elle qui amène les émotions. » Pierre sourit. « La musique peut tout faire ! » C’est comme une drogue ou comme une séance d’hypnose. C’est très facile d’ennuyer les gens ou de leur faire peur… Mais aussi de leur donner de la joie. »
Aucune difficulté dans leur relation de travail donc, juste une grande complicité… silencieuse. « J’ai simplement demandé à Pete d’opter pour des sons brésiliens pour évoquer le passage de l’équateur. Le reste du temps, il était avec sa guitare devant l’écran, puis au piano. Et il a composé la chanson finale, qui est très émouvante. » « Je suis tout à fait d’accord, poursuit l’Anglais. Ce sera même dans mon prochain album. C’est ce qui est fascinant dans le processus de création : parfois tout s’enchaîne de manière un peu magique… Je ne le dis pas souvent, mais ce fut pour moi un honneur et une satisfaction de faire partie de cette aventure. Ce qui était également à cinq minutes de chez moi. »
Car Beauvois a filmé presque chez lui : l’auberge bretonne de son héros est en réalité son restaurant de village. Et, pour le rôle de la jeune fille, il a fait appel à Madeleine, sa propre fille. Une économie de moyens qui lui permet de réaliser des projets sans pression. « Mes films sont en équilibre », admet-il. Mais c’est vrai que je ne suis plus le genre de cinéaste invité à Cannes. » Un peu trop bavard pour la Croisette, Beauvois disait parfois tout haut ce que tout le monde pensait tranquillement du milieu cannois. « C’était dans une interview avec Match… Mais bon, j’ai appris à m’en passer. » On pourrait même aller plus loin : libéré des contingences critiques, le réalisateur arrive, à 57 ans, sur une ligne passionnante, entre film d’art et essai et cinéma grand public, lui qui a été auréolé du Grand Prix à Cannes pour « Des hommes et des Gods”, en 2010. “Je crois que “La Vallée des Fous” arrive à un moment de ma vie où j’avais besoin de raconter cette histoire. Oui, cela me touche particulièrement, mais ce n’est pas seulement mon expérience. Beaucoup de gens peuvent comprendre l’épuisement professionnel du personnage principal. » Peter rit : « Est-ce qu’on va parler d’addictions ici ? Car si vous voulez revenir sur le mien, j’en ai élaboré un avec du fromage normand. Ce qui est bien plus grave que celui de l’héroïne. Puisque cette dernière ne donne pas de cholestérol… »
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Je ne crois pas que l’art soit quelque chose qui permette de s’améliorer
Peter Doherty
Le réalisateur et le compositeur ont-ils discuté ensemble de leurs problèmes liés aux paradis artificiels ? « Ce n’est pas le genre de sujet dont on discute autour de la cheminée », le coupe Peter. Même avec ses proches. Pour l’instant, la barrière de la langue est bien pratique… » Ils revenaient tous deux de leur enfer intérieur. Soutenus par des femmes brillantes, serviables et directement responsables de leur résurrection. «J’ai adoré le film que Katia a fait sur Pete», déclare Xavier. C’est un regard juste, affectueux et sensible sur lui. Mais aussi très vrai et sincère. »
Beauvois, de son côté, peut compter sur Marie-Julie Maille, sa seconde épouse, la mère de leur fille, pour garder un œil sur les choses. Il l’a d’ailleurs filmé avec une grâce touchante dans son précédent long métrage, « Albatros ». « Je ne crois pas que l’art soit quelque chose qui nous aide à nous sentir mieux », conclut Peter. La seule façon de s’en sortir est de prendre du temps pour soi, de sortir du milieu dans lequel on traîne. » Quittez « La Vallée des Fous », donc, ces écrans qui rendent fou, ces passions dévorantes. Pour mieux renaître.