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Éditorial Normandie
Publié le
12 novembre 2024 à 20h10
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Dans le Vallée des fousDans le nouveau film de Xavier Beauvois tourné en Seine-Maritime, en salles le 13 novembre 2024, le légendaire distrait garde les pieds sur terre pour incarner subtilement le père de Jean-Paul Rouveun cinglé qui veut faire le Vendée Globe à bord d’un voilier stationné… dans son jardin ! Embarquement avec Pierre Richardqui à 90 ans et en 80 films, ne cesse de se réinventer.
Pierre Richard a gardé le sourire joyeux d’un enfant
Téléphone portable dans une main, cigarette dans l’autre, Pierre Richard est sur un plateau aussi discret que disponible. Il est 10 heures du matin et il doit filmer une scène du réveillon de Noël avec ses petits-enfants fictifs, Madeleine Beauvois et Joseph Olivennes.
Action ! La jeune fille remet un cadeau à son grand-père : “Dire que j’ai dû attendre 89 ans pour avoir un bol breton à mon nom !” » Derrière son combo, Xavier Beauvois s’émerveille de tourner avec l’un des héros de sa jeunesse. Avec un œil bleu malicieux, Pierre Richard dit au cinéaste : « Je ne pourrais pas dire 59 ans au lieu de 89 ? » Toute l’équipe rit.
Le grand blond devenu blanc garde le sourire joyeux d’un enfant. « Il était la couverture de sécurité de l’équipe. Lorsque Pierre est arrivé sur le plateau, toute tension s’est évaporée. J’étais étonné qu’à son âge, il connaisse ses répliques avec un rasoir et sans oreillettes ! », raconte Gioacchino Campanella, co-scénariste du film.
Un film tourné à Vattetot-sur-Mer
Si l’histoire se déroule à Port-la-Forêt, dans le Finistère, au sein d’une enclave de marins éclairés hissant leur rêve de course au large plus haut que le mât de leur bateau, Beauvois a préféré Vattetot-sur-Mer, village normand voisin du sien, pour installer ses caméras.
J’ai réalisé l’étrangeté de l’histoire en la jouant. Quand nous nous sommes retrouvés sur l’herbe pour dire au revoir à Jean-Paul Rouve qui montait sur son bateau, j’étais aussi ému que lorsque j’ai vu partir mon ami Malinovsky, arrivé deuxième à la Route du Rhum… Sauf que là, le gars est faire le tour du monde à 40 mètres de chez lui, c’est fou ! Cet homme, confronté au fait que son bateau était au sec, a décidé d’arrêter de boire alors qu’il courait le Vendée Globe dans des conditions quasi réelles via l’application Virtual Regatta.
Les défis inconfortables ravissent l’acteur. Il a vécu son aventure maritime à bord du voilier de Michel Malinovsky, en plein hiver, reliant Saint-Tropez à La Rochelle… « J’ai gelé pendant 15 jours et j’ai perdu 10 kg ! »
Perdre le « Nord »
Pierre Richard attendait depuis 30 ans pour travailler avec le réalisateur de Des hommes et des dieuxdepuis que son agent l’a dissuadé de jouer dans son premier film, la dure Nord… “C’était une grave erreur d’avoir dit non à Xavier, cela m’aurait donné l’opportunité de jouer comme Bourvil sur les deux tableaux, la comédie et le drame.”
Après avoir tourné avec les plus grands réalisateurs de comédies, Zidi, Veber, Oury, Molinaro et Mocky, l’acteur savoure avec Beauvois son goût de la vérité provoqué par l’inattendu. « Le scénario est une base de travail, son film prend vie lorsque Xavier commence à le tourner. Quand la scène est finie, il ne dit pas couper, il nous laisse improviser. J’aime cette liberté qu’il nous donne, on a toujours l’impression d’inventer. »
Chaque soir, le cinéaste lui envoie un texto : « Tu as été sublime aujourd’hui, d’habitude, tu es génial, tu progresses vite. Tendres baisers. Tout en sobriété et douceur pour incarner ce père confronté à l’alcoolisme de son fils, Pierre Richard n’est pas que ce ludion comique dont le nom à lui seul est devenu une expression décrivant la maladresse…
Genèse d’un personnage
Au début, il ne se rendait pas compte que son apparence élancée et ses gestes élastiques constituaient un atout de charme. C’est Yves Robert qui fut le premier à le percevoir et à lui écrire un rôle sur mesure dans Alexandre le Bienheureux. «Il savait qui j’étais bien avant moi. Il m’a dit : « Tu n’es pas un acteur, tu es un personnage. Faites votre propre cinéma ! « . Des conseils qui ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd.
Un ami lui a recommandé de lire Ménalque en Les personnages de La Bruyère, qui lui inculqua l’idée de Distraitson premier film réalisé en 1970. Le succès est immédiat et les rôles cultes se succèdent : Le Grand Blond, La moutarde me monte au nez, La Course à l’échalote, La Carapate, Le Coup de parapluie, La Chèvre, Les Fugitifs… tout en réalisant ses propres films : Les malheurs d’Alfred, je sais rien, mais je dirai tout, je suis timide, mais je prends soin de moi, c’est pas moi, c’est lui… S’il invente une figure de style, il nie être sa propre inspiration.
La distraction est un défaut que les gens adorent, mais elle m’a enfermé dans des rôles. L’autre jour, un chauffeur de taxi m’a demandé si j’étais aussi distrait dans la vie que dans mes films. Je lui dis non, c’était seulement dans le premier. Dans les autres, je suis malchanceux, malheureux, inadapté à la vie, mais pas distrait… Je descends du taxi et arrive dans mon hall, on frappe à la porte : tu as oublié ta valise !
Longtemps, Pierre Richard sera mécontent d’être réduit par les critiques au rire français. Claude Sautet lui dit un jour : « Je t’adore, mais je ne t’imagine pas comme un gars normal marchant sur un trottoir avec un sac et une baguette qui dépasse ! Tu es un ange qui passe.
Un écuyer devenu acrobate
Rien ne prédestinait Pierre-Richard Defays à devenir acteur. Élevé dans un château au sein d’une famille bourgeoise qui travaillait dans la sidérurgie à Valenciennes, il découvre sa vocation à l’âge de 14 ans, un jour de congé d’école où il va au cinéma. A l’écran, il est hypnotisé par Danny Kaye, un comédien américain qui chante, danse et virevolte. Comme un fou part en guerretitre du film, il décide qu’il sera acteur ou rien. « J’ai profité du divorce de mes parents, parce que mon père était contre, donc ma mère était pour ! Mon grand-père me considérait comme polytechnicien.
Pour rassurer sa famille, il devient kinésithérapeute. La blouse blanche a vite été troquée contre une célèbre chaussure noire… Il a longtemps souffert de la paternité, une absence qui faisait écho à ses choix de rôles de Le jouet de Francis Veber, son film préféré, l’histoire d’un milliardaire qui compense son échec en gâtant son chérubin au point de lui « donner » son employé, incarné par Pierre Richard, qu’il réclame. « Les relations père-fils m’ont toujours intéressé. Dans La Vallée des Fousavec Jean-Paul, ça se termine bien. Pour moi, l’absence de relation avec un père est irréparable», confie Pierre Richard, qui avoue être un meilleur grand-père pour ses six petits-enfants qu’il ne l’a été pour ses deux fils, dont le saxophoniste de Blues Trottoir. Difficile quand on tourne trois films par an…
Toujours sur le pont
Après 60 ans de carrière, le métier d’acteur reste son garde-fou. Un joli pied de nez au professeur qui lui disait qu’il n’arriverait à rien dans la vie s’il passait son temps à faire rire ses camarades. Acteur, scénariste, réalisateur et producteur notamment des films de Resnais et Cavalier, il aime être là où on ne l’attend pas. S’il dit non à De Funès pour jouer Aile ou cuisseparce qu’il ne sent pas le scénario (que Fufu n’avait même pas lu !), il a dit oui à Depardieu dont il avait eu l’idée de former leur duo légendaire ce que Lino Ventura a refusé.
Il n’oublie pas ce que lui avait dit son ami Michel Bouquet avant sa mort : “Je vais arrêter de jouer… J’y pense tous les jours.” Il réfléchit à ses projets : après un seul sur scène, il vient de réaliser son neuvième film, L’homme qui a vu l’ours qui a vu l’homme.
Je pensais que tout cela était accessoire, je me rends compte que c’est essentiel. Un beau jour, je me disais, merde, il faut que j’arrête. Je vais être très malheureux parce que finalement, je vis quand je joue. Entre les deux, c’est un espace que je m’empresse de combler…
Lorsqu’il ne tourne pas, Pierre Richard partage la vie de Ceyla Lacerda, ancienne mannequin brésilienne, rencontrée chez Mylène Demongeot et Marc Simenon, et profite de ses vignes dans l’Aude où il produit du vin depuis 40 ans. Le citadin est devenu un terrien et l’acteur, un tragédien.
En 2023, il remporte son premier prix d’acteur à Rome pour Ange muralde Lorenzo Bianchini. « Ma carrière dramatique commence maintenant ! » J’ai eu ce prix même si je ne dis pas un mot dans le film, après avoir remporté le Molière pour Monsieur X de Mathilda May, où je ne parle pas non plus. Dès que je ferme la bouche, je ne suis plus aussi bien ! »
Dans La Vallée des Fousc’est pourtant lui qui a la plus belle réplique : “Ton père pensait faire le tour du monde sur son bateau, mais il fait actuellement le tour de son monde”.
Portrait taken by Dominique Thiéry
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