Publié le 8 novembre 2024 à 16h30
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Après la victoire de Donald Trump, la journaliste et documentariste Cécile Delarue, plaignante dans l’affaire PPDA, a souhaité adresser ses pensées à ses deux fils nés aux Etats-Unis.
Cet article est une chronique, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.
Je pense à vous, mes fils.
J’ai fait de vous des Américains. Vous êtes né dans ce pays, les Etats-Unis, vous pourrez y voter un jour. Peut-être même devenir président. Je pense à toi aujourd’hui, comme je pensais à toi il y a huit ans, lorsque le visage d’un homme au visage rouge et en train de brailler s’affichait sur l’écran géant de télévision devant lequel nous nous préparions, ton père et moi, à célébrer le premier femme présidente aux États-Unis. J’avais enfilé un tailleur-pantalon, le costume préféré du candidat annoncé vainqueur. Elle fit installer un immense plafond de verre qui devait être brisé pour célébrer la victoire. J’ai pensé à toi ce soir-là, pendant que Donald Trump parlait et j’ai vu, derrière, nos droits, mes droits, disparaître.
L’avortement allait bientôt être interdit. Comment pourrais-je t’élever dans un pays comme celui-ci ? Où les femmes auraient-elles moins de droits médicaux, moins d’assistance ? Où vivriez-vous votre premier amour avec la peur de la grossesse, l’angoisse d’un enfant non désiré ? Vos futurs amants avec la peur au ventre, toujours, et l’incapacité de choisir d’être parents. Ce jour-là, j’ai décidé de rentrer à la maison. Pour t’élever en France, où je pourrais voter. Peut-être changer les choses.
Dans le pays où vous grandissez aujourd’hui, beaucoup sont restés éveillés toute la nuit pour suivre les résultats d’une élection américaine réputée majeure. Je me suis couché tôt. J’en savais déjà trop. Avant de m’endormir, un article du « New York Times » détaillait les derniers instants de la campagne du candidat Donald Trump, et les attaques misogynes qui avaient été décuplées. La foule qui hurle « salope » à la mention du nom du candidat adverse. Salope. Il y a huit ans, c’était “Enferme-la”. Un jour, j’ai rejoint un mouvement appelé Nasty Women, après que Trump ait appelé Hillary Clinton ainsi. Méchant. Maintenant c’était chienne. J’en savais trop. Je m’en fichais États swing. Il valait mieux gagner en force. J’ai dormi. Au réveil, sur X, Elon Musk se réjouissait : « La cavalerie est arrivée ! » Mais j’ai beaucoup voté.
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Je pense à vous, mes fils, car hier vos concitoyens ont voté en masse pour Donald Trump. Les hommes ont réélu ce type toujours rouge et braillant, accusé par 26 femmes de viols et d’agressions sexuelles, dont un viol qualifié de «essentiellement vrai» par la justice américaine. Un grand nombre d’hommes noirs, traditionnellement démocrates, ont préféré réélire le seul président américain jamais condamné pénalement plutôt que la première candidate noire. Trump a donc été condamné pour avoir voulu acheter le silence d’une ancienne actrice porno. Mais cela n’a pas empêché les hommes latinos de voter pour lui. Issus de tradition catholique, ces électeurs ont choisi : pro-vie à mort, anti-avortement, ils ne se sont pas retrouvés dans les rassemblements de Kamala Harris, où les victimes d’avortements illégaux ou de fausses couches non soignées mettant leur vie en danger ont témoigné inlassablement de l’enfer de l’abolition du Roe vs Wade.
Ce matin, sur NPR, la radio publique nationale que j’aimais tant écouter lorsque, enfant, je vous conduisais à l’école, un expert a ajouté des femmes blanches au cortège de ceux qui faisaient pencher la balance. « Ils pensent tous que c’est une blague, ils pensent qu’il ne le pense pas. » Ils pensent qu’il plaisante, qu’il ne pense pas ce qu’il dit. Sur Facebook, mon amie Robin, à Los Angeles, est attristée par ce qu’elle appelle la misogynie intériorisée des femmes de notre génération (nous avons la quarantaine) : elle a entendu expliquer qu’une femme ne devrait jamais être présidente. « Comment des femmes qui ont eu accès à des carrières et à une éducation dont leurs mères n’auraient jamais pu rêver peuvent-elles penser qu’une femme est inférieure quand cela compte ? »
Je pense à vous, mes fils américains, et je me demande : que penserez-vous de votre mère ? Et vos amis, amants, cousins, collègues ? Finirez-vous, vous aussi, par penser qu’au final, le pouvoir est toujours bien meilleur lorsqu’il est partagé entre détenteurs d’une paire de testicules ? Que restera-t-il de l’Amérique, et de son rêve, quand vous pourrez voter à votre tour, en deux mandats pour vous, mon aîné, né en 2014 ? Une femme peut-elle vraiment ne pas être présidente ?
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Bien sûr, le sexe ne fait pas tout, et la campagne démocrate a longtemps été un fiasco. Mais si l’on se place dans une perspective féministe, c’est peut-être aussi parce qu’un homme blanc plus âgé a décidé de ne pas lâcher les rênes, et l’a ensuite lâché trop tard. Et puis me vient cette idée qui me fait peur autant qu’elle me paraît acceptable. Il n’était pas nécessaire de parler d’avortement. Il ne faut pas effrayer les gens, il ne faut pas traiter Trump de fasciste, il ne faut pas parler de ces femmes qu’on laisse se vider de leur sang dans les parkings des hôpitaux parce qu’elles refusent de soigner leurs fausses couches, jugées problématiques. Il n’était pas nécessaire de parler de nos problèmes en tant que bonnes femmes.
Nous aurions dû nous donner des coups de coude, parler de vraie politique et d’économie. « C’est l’Economie, idiot »» a déclaré le conseiller d’un candidat démocrate élu, Bill Clinton. Et tous ces gens, célébrités multimillionnaires, qui se sont précipités ces dernières semaines pour pousser à bien voter, à voter contre. Ne se souvenaient-ils pas des discours de 2016, de la façon dont les électeurs s’étaient sentis humiliés, rabaissés ? Comment imaginer qu’ils aient besoin de Beyoncé ou de Taylor Swift pour savoir pour qui voter ?
Je regarde à nouveau le grand, vieil homme vermeil qui défile à la télévision. Je pense à vous, mes fils, à ce que sera le climat après quatre ans de trumpisme. A la situation géopolitique bien sûr et puis à l’économie, et puis aux élections en France, les dernières et les prochaines… La gauche apprendra-t-elle de ses erreurs ? Pourra-t-on, un jour, voter pour, et non contre ? Une femme ne peut-elle pas être présidente ?
BIO-EXPRESS
Cécile Delarue est journaliste, documentariste et auteur. Son documentaire « La Fabrique à mensonges : l’affaire Johnny Depp/Amber Heard », sur l’impact des masculinistes via les réseaux sociaux, est disponible sur France.tv. Dernier ouvrage : « No Access : Chroniques de Los Angeles » (Editions Plein Jour, 2020).