Bérangère Krief, le sexe sans complexes

Il y a d’abord eu cette affiche : Bérengère assise sur les toilettes, téléphone portable à la main, le regard dans le vide, culotte baissée. Et donc ce titre, « Sex », histoire de mettre le pied au bon endroit. Car oui, à 41 ans, l’humoriste prend le taureau par les cornes et parle sans détour de sa vie hétérosexuelle, pas toujours géniale, pleine de surprises et de désillusions, testant même parfois l’expérience avec une femme.

Pendant quatre-vingt-dix minutes, Bérengère Krief fait éclater de rire un public surpris par son aplomb, mais ravi de voir qu’il n’y a pas que des super-héros sexuels et que tous les défauts humains peuvent donner lieu à de sacrément bonnes choses. Mais, derrière le produit phare, Bérengère Krief parle aussi de la solitude des femmes face à une virilité encore très puissante et parfois inconfortable. Elle ne tombe ni dans le grossier ni dans la maladresse, mettant un peu de poésie dans son désir et de la lumière dans son besoin d’être guidée. L’humoriste assume son passage à l’âge adulte. Et revient avec nous avec un parti pris fort et courageux.

Paris Match. Parler sans tabous de ses envies sur scène, n’est-ce pas devenu la nouvelle spécialité des comédiennes ?
Bérengère Krief.
Je ne me pose même pas la question quand j’écris. Je suis une femme qui parle de sexe. C’est mon point de vue, mon histoire avec l’autodérision et les coups occasionnels contre les gars. Tout cela est de bonne humeur. Je trouve le public assez hétéroclite. J’aime quand, en couple, tous les deux m’adorent.

Avec “Sex”, ils ont vu un côté qu’ils ne connaissaient pas

Bérengère Krief

Une femme peut-elle désormais aller aussi loin que les hommes en matière d’intimité ?
Je vois une évolution. Quand je travaillais sur ce nouveau spectacle, je suis allé tester des choses dans un club de comédie. Je me suis dit que ça allait être énorme d’évoquer ça, mais j’ai vu beaucoup de femmes qui en parlaient très facilement sur scène. Et enfin, d’autres générations abordent le sujet de manière beaucoup plus frontale que moi.

Tes parents viennent te voir à chaque première. Pour cette émission, n’était-il pas improbable de parler de sexualité devant eux ?
Non, car de la cave du Boui Boui, café-théâtre de Lyon, jusqu’à l’Olympia, ils m’ont toujours eu beaucoup d’admiration et m’ont toujours soutenu. Avec « Sex », ils ont vu un côté qu’ils ne connaissaient pas. Ils viennent d’une génération qui se soucie toujours de ce que les gens diront et penseront. Mais il y a beaucoup d’amour, ils comprennent ma démarche, et je leur ai beaucoup parlé. C’était quand même un défi.

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Bérengère Krief à l’hôtel Eldorado à Paris, avec son chien Joe Cocker.

© Alexandre Isard/ Paris Match

Votre mère est très présente dans vos sketchs. “La grossesse, c’est comme Lemon Paic, une seule goutte suffit”, dit-elle…
Toutes les phrases sont d’elle ! Je suis consterné par la popularité de ce genre de punchlines. Les gens aiment ma mère et pensent qu’elle est géniale. Mais nous n’avons pas parlé de sexe chez ses parents. Elle était tellement errante et tellement ignorante du sujet qu’elle ne voulait pas que je fasse l’expérience de cette solitude. Alors, je n’avais même pas eu ma première expérience lorsqu’elle me racontait déjà ma visite chez le gynécologue !

Était-elle une mère poule ?
Quand j’étais adolescente, elle était surtout une maman cool. C’est chez moi que les gens venaient se faire épiler, j’avais le droit de me maquiller, de me faire percer le nombril. L’important était que j’étais en sécurité. S’il y avait une fête, mes parents m’y emmenaient et revenaient me chercher.

Dans l’émission, votre mère vous demande des petits-enfants. Rencontrez-vous une pression quotidienne autour de la maternité ?
Je ne peux pas dire : « Non, je ne veux pas d’enfants », mais je ne peux pas dire un grand oui. J’ai l’impression que plus on avance dans la connaissance de soi, plus on se demande comment on va allier maternité et amour de soi, de sa vie. Il m’a fallu tellement de temps pour apprendre à me connaître. Je ne suis pas trop soumise aux pressions sociales, mais, à 35 ans, j’ai passé une visite médicale pour l’achat d’un appartement, la dame m’a parlé de l’envie d’avoir des enfants : « Il ne faut pas tarder. Si vous saviez combien de femmes je vois qui le regrettent après… » J’étais célibataire. J’ai trouvé ça si dur…

Auriez-vous, jeune femme, aimé voir un spectacle comme le vôtre ?
Je ne nie certainement pas mon éducation, mais j’aurais aimé avoir la partie « tu peux t’amuser ». Dans son livre « Femme désirée, Femme désirante », la gynécologue Danièle Flaumenbaum souligne qu’on ne nous apprend jamais qu’avec ce truc-là, on peut avoir du plaisir. Après, rien n’est parfait. Si j’avais eu ça, je n’aurais pas fait cette émission. Merci encore!

Quand votre sens de l’humour a-t-il commencé ?
Je ne me souviens pas m’être dit : « Je dois absolument faire rire les gens. » J’étais drôle, parfois malgré moi. Le tournant s’est produit vers l’âge de 15 ans, en cours de théâtre, où nous jouions « La Maison de Bernarda Alba », de Federico Garcia Lorca. L’Espagne des années 30, une veuve, cinq filles enfermées, amoureuses du même gars du village… Rien de drôle ! Pendant les examens, je lisais de toute mon âme, le professeur riait et disait : « Bérengère, on va te trouver autre chose. Je me souviens m’être demandé : « Qu’est-ce que ça veut dire ? Que tu n’as pas essayé d’être drôle mais que tu l’es ? J’ai joué la grand-mère folle qui parle à un mouton, pendant que les autres jouaient les filles amoureuses en chemise de nuit.

J’ai grandi avec des comédiens qui passaient à la télévision, comme Muriel Robin, Gad Elmaleh ou Florence Foresti.

Bérengère Krief

Y avait-il un goût pour le théâtre dans votre famille ?
Certainement pas. Nous étions en province, participer à un casting était d’autant plus improbable. Mais la philosophie de vie de ma famille était ma chance. Mes grands-parents, arrivés d’Algérie, ont démarré de toutes pièces une entreprise de pâte feuilletée surgelée. Tout était possible. Alors j’ai dit très simplement : « Un jour, je serai actrice ! »

Avec quelles références avez-vous grandi ?
Nous n’avions pas une vie culturelle très dense. Le dimanche, j’allais me promener, cueillir des marrons avec mes cousins ​​et manger des crêpes au goûter. Nous étions dans la nature. Je cultive mes propres cultures encore maintenant. J’ai grandi avec des comédiens qui passaient à la télévision, comme Muriel Robin, Gad Elmaleh ou Florence Foresti. Elle est la figure la plus inspirante. Elle a ouvert une immense porte aux femmes. Quand je regardais son émission, cela me faisait vibrer comme si j’étais devant un groupe de rock.

Marla était un rôle très moderne, une femme qui a des relations sexuelles sans notion de couple

Bérengère Krief

Il y a quinze ans, vous étiez Marla, la rendez-vous sexuel habituel de « Bref ». Est-ce un personnage qui vous poursuit ?
On m’en parle encore, je suis très touché. Je me sens comme Rachel dans « Friends » ! [Elle rit.] C’était un rôle très moderne, celui d’une femme qui fait l’amour sans notion de couple. Les créateurs, Kyan Khojandi et Bruno Muschio, avaient une longueur d’avance. C’était assez inconfortable pour moi au début, car j’étais la femme désirante et je n’étais pas prête à le porter.

Vous a-t-on proposé par la suite des rôles similaires ?
Oui, et souvent il n’y avait pas cet écueil de l’amour. C’était juste une fille très libérée qui baise et fume une cigarette après un rapport sexuel en culotte. J’ai refusé beaucoup d’offres de ce genre.

Ce qui m’énervait le plus, c’était les commentaires que je faisais sur “un show de filles”

Bérengère Krief

La scène du stand-up a récemment été pointée du doigt pour son sexisme omniprésent. En avez-vous souffert ?
J’ai eu des moments, au tout début, plutôt sur les plateaux, où on me disait : “Tu es une femme… mais tu me fais rire.” Ce qui m’énervait le plus, c’était les commentaires selon lesquels je faisais « un spectacle de filles ». Mais je viens mettre des mots, dire ce qu’on n’a pas réussi à verbaliser. C’est ma fonction. Il n’y a pas de meilleur ni de pire.

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Bérengère Krief à l’hôtel Eldorado à Paris, avec son chien Joe Cocker.

© Alexandre Isard/ Paris Match

Vous ne parlez pas de politique. Est-ce que c’est une terre où tu pourrais aller ?
Si je commence à regarder les informations, je sympathise avec la puissance 3 000 sur n’importe quel sujet. Mais je ne peux pas livrer ce spectacle. Il y a quelque chose d’un peu culpabilisant, comme : « Tu ne regardes pas les informations ? Ce qui se passe dans le monde ne vous affecte-t-il pas ? » Bien sûr, cela me touche beaucoup, mais à quoi ça sert de venir voir quelqu’un qui est impacté et qui ne fait rien ? Dans mon art, j’aime que les gens soient dans une parenthèse, ayant ignoré leurs problèmes et l’actualité. La scène est l’endroit où je m’amuse le plus. Ce goût du moment présent est si rare aujourd’hui. Quand on retrouve d’anciennes émissions de télévision, on retrouve la liberté qu’il y avait avant les réseaux sociaux.

Je trouve que nous avons manqué de modèles de femmes de 40 ans qui réussissent

Bérengère Krief

Vous avez 41 ans, vous ironisez auprès du public sur votre quotidien. Y a-t-il eu un réel changement dans votre vie à 40 ans ?
Je trouve que nous avons manqué de modèles de femmes de 40 ans qui réussissent. Du coup, le projet est de devenir une « vieille fleur fanée », alors que non ! A 40 ans, je m’aime. J’aime tellement mieux ma vie actuelle ! Je me connais mieux. C’est un bel âge et personne ne le dit.

Sur scène, vous remerciez également votre nouveau compagnon d’avoir compris votre démarche…
Il fait partie de mon entourage professionnel, mais ce n’est pas un acteur, c’est important de le préciser. Il est curieux de mon parcours, il ne vient pas me juger. Je n’ai pas eu que des expériences agréables avec les acteurs. Comme me le disait André Dussollier, « deux artistes ensemble, c’est chaud », il y a forcément un peu de concurrence. Mon amoureux me soutient beaucoup, il m’aide au quotidien. Parler de sexualité aussi simplement avec quelqu’un était un véritable rêve.

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“Sex”, currently at the Théâtre de l’Œuvre

© DR ​

 
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