Séduisante, sympathique, avec une tête bien formée, elle pourrait être le pendant féminin de Thomas Pesquet. Cela devient d’autant plus frappant qu’elle enfile une combinaison bleue (du même style que celle des astronautes de l’Esa) pour pénétrer dans son BioPod. Elle serait la candidate idéale pour une mission vers Mars. Et même la clé de son succès : grâce à lui, l’équipage a pu se nourrir pendant de nombreux mois, de manière quasi autonome. Le rêve de sa petite fille serait alors exaucé.
Née en 1985, Barbara Belvisi a grandi à Champigny-sur-Marne, dans le Val-de-Marne. Les yeux tournés vers le ciel et les pieds sur terre. Sur terre, même. Où la vie grandit. « L’idée des serres me trotte dans la tête depuis que je suis toute petite. Enfant, j’avais deux passions : la nature et l’Univers. J’ai lu beaucoup d’encyclopédies, de livres sur la vie, et ma principale occupation était de créer des herbiers. Pendant les étés, en Pologne, d’où je viens, j’étais toujours coincé dans les serres à regarder pousser les tomates ! Mais j’ai aussi collecté des correctifs provenant de missions de la NASA. À l’école, sans qu’on me demande rien, je faisais des exposés sur le système solaire. J’ai dévoré les auteurs de science-fiction comme Bradbury, Barjavel ou Asimov, Bilal en BD aussi. Et j’étais fan de « Silent Running », un vieux film peu connu dans lequel sont construits de grands dômes qui permettent de perpétuer la vie dans l’espace. C’est ce que nous essayons de faire ici », explique-t-elle au siège d’Interstellar Lab à Ivry-sur-Seine.
Mais avant le rêve il y a la réalité. Comme on l’a dit, Barbara Belvisi a les pieds sur terre, préférant d’abord s’assurer d’un destin professionnel moins incertain. Il est plus facile de démarrer dans la vie en allant dans une école de commerce. Et cela rassure les parents. Dès la fin de ses études en finance, la jeune femme crée un fonds d’investissement. Une trajectoire confortable l’attend, mais une idée « d’exploitations agricoles en circuit fermé, moins polluantes », lui trotte dans la tête. Dans le monde du capital-risque où elle évolue, ce n’est pas ce « blé » qui intéresse.
Dans le même temps, Elon Musk a confirmé que ses fusées réutilisables fonctionnaient. Et il vient de le montrer de manière spectaculaire ce dimanche 13 octobre, SpaceX récupérant le premier étage de sa mégafusée Starship, une prouesse inédite pour un booster de cette taille ! L’idée d’aller sur Mars n’est plus une utopie. Barbara Belvisi suit cela de près. Jusqu’au déclic : un tel voyage ne sera possible que si l’homme parvient à cultiver de la nourriture dans son véhicule spatial pendant les deux années que durera l’épopée. Son idée de « ferme sous vide » a donc de l’avenir. Elle en a parlé à un ami bien connecté dans la Silicon Valley, qui lui a suggéré de venir à San Francisco pour « pitcher » des investisseurs potentiels. Et comme les grands destins ne se réalisent pas avec des « peut-être… », « il faudra voir… » ou « j’y réfléchirai », elle décide de suivre ses conseils.
Son enthousiasme et son idée ont séduit les jeunes entrepreneurs qu’elle a rencontrés aux Etats-Unis, qui l’ont orientée vers le NASA Space Portal, « une sorte de laboratoire de recherche où j’ai été accueillie très gentiment », explique-t-elle en me présentant les ingénieurs de l’ISS. (Station Spatiale Internationale), spécialiste des systèmes de survie spatiale. Ils m’ont donné un bureau et, pendant un an, moi, petit Frenchie, j’ai appris à leurs côtés. Et j’ai réalisé que j’étais sur quelque chose. Alors, j’ai franchi le pas. »
Le reste après cette annonce
En 2018, Interstellar Lab est né, avec l’ambition de développer des biodômes – BioPods – capables de faire éclore n’importe quelle plante, en contrôlant tous les paramètres. « Le but est de créer des structures permettant au vivant de grandir « à l’intérieur ». Les BioPods sont des boîtes climatiques conçues sur mesure pour recréer n’importe quel écosystème, quel que soit son emplacement, des profondeurs de l’Amazonie aux cratères lunaires. Sur Terre ou sur une autre planète. Notre métier est de maîtriser la connaissance du vivant afin de concevoir un cocon : en reproduisant le climat, en optimisant la consommation des ressources, nous créons du vivant à vocation gustative, cosmétique et de préservation. »
Avec 98 % d’eau en moins qu’une culture traditionnelle pour un rendement parfois 300 % supérieur, Interstellar Lab attire l’attention des investisseurs. « Grâce à notre système aéroponique – les racines des plantes sont suspendues dans le vide, et non dans l’eau – nous avons réussi à faire fleurir la vanille en un an seulement, contre deux dans la nature. »
« Produire en petites quantités, mais des plants qui coûtent très cher »
Forte de son réseau, Barbara Belvisi lève les fonds nécessaires et engage une réflexion stratégique. Cultivez n’importe où, bien sûr, mais pas n’importe quoi. « Les fermes intérieures cultivant des plantes alimentaires nécessitent de gros investissements, donc produisent en gros volumes pour préserver les marges. Alors, je suis parti d’un postulat inverse : produire en petites quantités, mais des plantes qui coûtent très cher, comme le vétiver, dont la racine est utilisée dans 70 % des parfums, ou l’iris, la rose Centifolia, le safran. … C’est ainsi que nous avons sollicité des acteurs de la cosmétique comme L’Oréal ou LVMH, dont le cœur de métier est de cultiver des plantes rares pour en extraire leur arôme ou leurs molécules. »
La pandémie stoppe le développement d’Interstellar Lab. Pire, Barbara Belvisi se retrouve coincée en France (où elle est revenue renouveler son visa), alors que toute son activité est… aux Etats-Unis. Mais elle n’est pas du genre à dormir. Ni une ni deux, elle transforme la contrainte en opportunité : l’entreprise s’implante en France pour approvisionner le marché des cosmétiques. En Amérique, l’entreprise va désormais se concentrer sur l’espace. Car l’entrepreneuse n’a pas renoncé à ses rêves d’espace.
Ses contacts à la NASA s’avèrent plus fructueux que jamais, à l’heure où les projets d’exploration spatiale se multiplient. Notamment celui d’une base lunaire permanente. La question de nourrir une équipe entière n’a jamais été aussi aiguë : on ne pouvait rêver meilleur timing. Interstellar Lab est sélectionné pour le premier tour du Deep Space Food Challenge. L’objectif : couvrir une partie des besoins nutritionnels de quatre astronautes durant une mission de deux ans ; plus précisément, fournir tous les aliments qui ne peuvent pas être lyophilisés. Et en août dernier, bonne nouvelle : Barbara Belvisi et son équipe ont remporté le prix avec son système Nucleus, qui permettra de cultiver de manière autonome des micropousses, des légumes, des champignons et des insectes.
« Nous avons produit 10 kilos de nourriture en un mois. Or, dans l’espace, le premier critère est le maximum à manger, le minimum à recycler. Contrairement à ce que l’on voit dans « Seul sur Mars » [le film de Ridley Scott]la pomme de terre, par exemple, n’est pas du tout une bonne candidate : beaucoup de racines, de tiges et on ne mange que le bulbe… donc trop de matière à recycler, explique-t-elle. Nous avons alors imaginé « Nucleus ». Un assemblage de neuf cubes de la taille d’un micro-ondes, dans lesquels sont recréés des climats contrôlés, comme dans BioPod. Sauf qu’ici, c’est une boite par espèce. L’intelligence restaure le climat et optimise les ressources. Par exemple, utiliser le dioxyde de carbone émis par les insectes et les champignons, dans certains noyaux, pour nourrir les plantes dans d’autres. Nous prélevons l’oxygène de ces dernières pour nourrir à notre tour les champignons et les insectes. »
Reconnue aux États-Unis et désormais prophète dans son pays, Barbara Belvisi a obtenu un financement dans le cadre du plan France 2030, permettant à Interstellar Lab de construire une cinquantaine de BioPods supplémentaires. De quoi tester l’efficacité de son invention sur plusieurs types de plantes différents. « A priori, on peut tout cultiver. Sauf les arbres. » Avec une première usine et 200 clients potentiels, la jeune femme voit encore plus grand. Et imaginez quadrupler la taille de ses BioPods terrestres. « Parce que l’idée est avant tout de préserver la vie telle qu’elle existe sur Terre. Parce qu’il est unique, jusqu’à preuve du contraire. Avec nos BioPods, nous souhaitons être utiles dans des environnements hostiles, trop secs ou trop chauds, et apporter une solution d’agriculture durable. » Le ciel peut attendre. La Lune aussi. Mars, n’en parlons pas.