Dans le monde bruyant du stand-up masculin, ils se démarquent par leur humour doux et bienveillant. Aujourd’hui, ils font des émules.
Par Rossana Di Vincenzo
Publié le 1 octobre 2024 à 6h30
jeIl y a quelques années, on pouvait les compter sur les doigts d’une main. Mais sept ans après la vague #MeToo, qui a permis la liberté d’expression sur les violences sexistes et sexuelles, il semble qu’une grande poignée d’hommes du milieu de la comédie rebattent les cartes de la masculinité et déconstruisent allègrement les stéréotypes et autres. injonctions liées à la virilité. Qu’ils pratiquent la vanité pure, le seul sur scène ou l’humour absurde, ces artistes d’origines, d’âges et d’horizons différents interrogent par le rire ce que signifie être un homme en 2024. Loin de l’image du comédien bruyant qui a largement dominé le scène depuis l’avènement du stand-up en 2006, Mickaël Délis, Lou Trotignon, Nordine Ganso et Adel Fugazi représentent, chacun à leur manière, cette nouvelle génération de l’humour tendre.
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La tendance a mis du temps à s’implanter dans ce monde où les comportements sexistes ou homophobes dans les clubs de comédie sont depuis longtemps la loi. Nordine Ganso, humoriste bordelais d’origine congolaise, marocaine et algérienne, en a fait les frais à ses débuts, il y a sept ans. Loin de se fondre dans l’ambiance « boys club » de l’industrie, le vingtaire, qui parle avec douceur des relations hommes-femmes, de l’héritage familial et des métissages dans son émission. Violet, a toujours préféré s’accepter tel qu’il est : « Quand j’ai commencé, je suis arrivé avec une idée assez nouvelle, pas forcément virile. On me taquinait sur ma fragilité, sur le fait que j’étais vierge et que j’en parlais ouvertement. Pour certains, si vous êtes vulnérable, vous devez être gay. Ces critiques ne sont cependant pas justifiées. Je revendique cette vulnérabilité même si, pour certains, c’est un aveu de faiblesse. » Féministe, inspiré par sa mère qui l’a élevé (seul) et lui a appris à être un homme bon et doux, il a choisi de faire de cette singularité une force : « Je n’ai pas peur d’être à l’aise avec mon côté féminin. C’est surprenant, mais c’est en assumant ses responsabilités qu’on convainc tout le monde que l’on a raison. »
Ces farceurs nouvelle génération choisissent aujourd’hui la bienveillance et pèsent chaque mot prononcé sur scène. Sans faire de compromis sur le rire. Adel Fugazi, 28 ans, repéré à Cours de comédie, sur Prime Video, grâce à son univers délicieusement absurde, regorge : « Malheureusement, les réseaux sociaux se réjouissent de voir un comédien abattre une personne devant tout le monde. Je préviens d’emblée le public qu’il n’y aura rien de tout cela, parce que cela ne me fait pas rire. Ce n’est pas moi. Je ne veux pas faire de mal pour être drôle. Alors c’est sûr, je suis assez loin du cliché qu’on se fait de l’Arabe véhiculé par la télé, comme Malik Bentalha ou Jamel Debbouze. Mais en réalité, nous sommes nombreux, sauf que nous ne sommes pas dans les médias ! » explique le Franco-Tunisien de La Courneuve. Lui qui a refusé de participer à l’exercice de « chambrage » dans le télécrochet Prime Vidéo, accepte, comme ses confrères, l’envie de faire autrement. Fou et poétique, l’humour d’Adel Fugazi, qui préfère parler de sa passion pour les pâtisseries en trompe-l’œil ainsi que de ses faiblesses, offre une « pause » (titre de son émission), drôle et bienfaisante dans ce monde anxiogène. provoquant. « Je ne prétends rien ; Je suis juste cool. Mon humour est bon enfant, franc, un peu naïf. Mais je fais quand même très attention aux mots que j’utilise, car il y a des sujets qui méritent d’être revérifiés. Je souhaite inclure le plus de personnes possible sans distinction de sexe, d’origine, d’âge, et surtout les principales concernées, les minorités ; que nous avons tous ri ensemble. »
Au-delà de la simple bienveillance envers le public, ces comédiens n’hésitent plus à évoquer des sujets qui fâchent. Sous leur plume, l’humour sert d’outil pour redéfinir l’image de l’homme dans toute sa diversité, qu’il soit arabe, noir, asiatique, homosexuel, hétéro ou trans. « Nous avons tous connu l’oppression, l’humiliation, la discrimination, explique Mickaël Délis, un acteur de théâtre de 41 ans, homosexuel, dont le seul sur scène Le premier sexe et Le festival des sous-vêtements détruire subtilement le « grosse arnaque à la virilité ». « Je voulais dire qu’une autre voie est possible, que la masculinité est plurielle. Tout le reste c’est de la connerie ! Mon objectif n’est jamais d’imposer une idée, un discours critique ou politique, mais d’inviter à la réflexion. Et la meilleure façon de le rendre digestible, c’est le rendre drôle. » Un discours masculin selon lui « incontournable » Aujourd’hui pour, enfin, accompagner les changements sociétaux et les luttes féministes : « La société que nous avons construite, capitaliste et patriarcale, épuise et opprime. Le changer nécessite une énorme révolution. L’homme se tait sur ses sentiments, l’homme se tait sur sa fragilité, alors s’exprimer sur ces sujets et en rire, c’est déjà enseigner. »
Alors tous déconstruits, les comédiens en 2024 ? Pas tout à fait. Certains prennent même le contre-pied de cette nouvelle tendance en s’enfonçant encore plus dans la provocation gratuite et « on ne peut plus rien dire ». Mais Mickaël Délis, Nordine Ganso et Adel Fugazi préfèrent rester optimistes. L’humoriste trans non binaire Lou Trotignon (26 ans) aussi. Sur scène, il rit « des absurdités que l’on peut vivre en tant que personne trans », symbolisant à lui seul ce mouvement vers un humour enfin libéré des normes de genre. « J’aime trouver ce qui, dans mon récit de transidentité, peut toucher n’importe qui. Je crois que les personnes trans peuvent aider leurs homologues cisgenres. Quand on dit à une femme qu’elle ne doit pas parler fort, ou à un homme qu’il ne doit pas pleurer, nous disons : « Tu peux être qui tu veux ». » Lou Trotignon faisait sa transition en même temps qu’il construisait son excellent spectacle Mérou, conscient que sa simple présence sur scène est déjà une avancée palpable : « L’humour est un art populaire. Nous avons une responsabilité, nous devons représenter. C’est important pour moi de dire que je suis un homme trans non binaire. Tant que, pour la société, être un homme signifie dominer, je ne peux pas me reconnaître dans cette identité. Alors j’aime penser que j’invente un peu une autre masculinité, plus douce. » Et de fait, cette masculinité est plébiscitée par un public toujours plus large du monde. communauté queer au Jamel Comedy Club.
Le premier sexe, de Mickaël Délis. Jusqu’au 27 novembre mar et mer 19h15 La Piccola Scala, 13, bd de Strasbourg, 10ᵉ. 01 40 03 44 30. 15-28 €.
Méroude Lou Trotignon. Jusqu’au vendredi 21 décembre. et sam. 21h Barge La Nouvelle Seine, face au 3, quai Montebello, 5ᵉ.01 43 54 08 08. 10-23,20 €.
Violet, by Nordine Ganso. Until January 11. Thu-Sat 9 p.m. Palais des Glaces, 37, rue du Faubourg-du-Temple, 10ᵉ. 01 42 02 27 17. €25-40.
Pause, par Adel Fugazi. Jusqu’au mardi 26 décembre. et mercredi. 21h00 Péniche La Nouvelle Seineen face du 3, quai Montebello, 5ᵉ. 01 43 54 08 08. 10-23,20 €.