«Je me donne toutes les libertés»

«Je me donne toutes les libertés»
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On le connaît pour l’immense footballeur qu’il était. Une légende à part entière. On le connaît aussi pour ses coups de cœur et son effusion de sang. Sa réputation sulfureuse semble toujours le précéder ou le suivre. Footballeur, acteur, peintre, il ajoute désormais une corde à son arc : auteur-compositeur-interprète. Derrière toutes les épithètes qui lui collent se cache un être généreux, sensible, attentif à l’état du monde et de ses pairs. Nous avons bien sûr parlé de musique, mais aussi de peinture, de cinéma et de la guerre civile espagnole.

En dehors du football, vous avez touché à toutes les formes d’art, théâtre, cinéma, peinture, télévision. Vous êtes désormais musicien. Qu’avez-vous trouvé dans la musique que vous n’avez pas trouvé ailleurs ?

Quand je vais à un concert, ou quand je suis à la maison et que j’écoute une chanson que j’aime, je suis hébété. Un État comme le sport peut le fournir. La musique induit un état de transe. Dans certains pays, on entend des rythmes tribaux qui nous font entrer en transe, où on se met à crier et à pleurer.

Seule la musique peut provoquer de telles sensations. La musique vient du vent, de la pluie, de tous les éléments de la nature. Elle est née bien avant nous. On a juste trouvé l’écriture pour écrire les notes, la partition pour pouvoir jouer ensemble.

En fait, vous n’avez pas publié d’album studio mais directement un album live…

Par rapport au théâtre, où je joue avec les mots des autres, là, ce sont mes mots, ma musique. C’est différent. J’aime écrire, m’exprimer. Et j’ai écrit ces mots aussi honnêtement que possible. La prochaine fois que je les jouerai sur scène avec ma musique, ce sera encore autre chose.

Sur scène, le public vous donne de l’énergie. Et chaque nuit, c’est différent. C’est une énergie silencieuse et invisible que l’on ressent profondément. Mon truc, c’est de jouer. Sur scène, je retrouve la même énergie que sur un terrain de football. Quand j’étais enfant, j’allais voir l’OM jouer et, adolescent, j’étais fan de beaucoup de groupes de rock et quand je pouvais les voir sur scène, j’avais les mêmes sentiments.

Qu’écoutait le jeune Éric Cantona, à Marseille, dans le 12e arrondissement ?

Quand j’étais enfant, à la maison, mon père écoutait beaucoup d’opéra et de musique classique. C’est une musique populaire en Italie et chez nous, on entendait des airs de Bellini, Verdi… Je suis très sensible à l’opéra. Je garde un merveilleux souvenir d’une escapade en mer sur un vieux bateau que nous avions acheté et réparé avec deux couples d’amis.

Nous quittons le Vieux Port en direction de la Corse. On met le Callas à plein régime et là, tout à coup, à 50 mètres devant le bateau, une baleine et son petit. Elle nous a accompagné tout au long de la traversée et je suis sûr que c’est grâce à l’opéra, aux vibrations de la musique.

Plus tard, qu’écoutait Éric Cantona adolescent ?

Quand je suis parti à Auxerre, je venais d’avoir 14 ans. Comme tous les adolescents de mon âge, j’avais un sac kaki sur lequel nous griffonnions les noms de nos groupes préférés. J’écoutais « God Save the Queen » des Sex Pistols, « Highway to Hell » d’AC/DC, Led Zeppelin… Au centre de formation d’Auxerre, je gagnais 140 francs par mois. J’étais heureux. Même si avec Guy Roux, vous n’aviez rien à dépenser ! À un moment donné, j’ai été expulsé du centre de formation, mais pas du club. Et le club me trouve un appartement en ville.

Alors tous mes amis m’enviaient. Parce que le centre de formation était une caserne. La seule sortie autorisée était le cinéma, le lundi soir, car Guy Roux connaissait bien le directeur du théâtre. Il savait exactement à quelle heure le film se terminait et quand nous devions tous rentrer à la maison !

Moi, dans mon petit appartement, j’ai plus de marge. Je me suis acheté une platine vinyle puis quelques disques. Uniquement des enregistrements en direct ! Mon premier concert, à Marseille, j’avais 14/15 ans, c’était Bernard Lavilliers. Puis U2… J’ai gardé tous ces vinyles… Mon rêve était de jouer sur scène.

Puis vous arrivez à Manchester et vous êtes sacré roi Eric dans la capitale du rock and roll…

Sauf qu’on ne pouvait pas trop sortir. Le football est si populaire dans cette ville qu’on ne pouvait pas risquer d’être dans la foule pour assister à un concert. Je suis arrivé à Manchester fin 1992. Cela faisait vingt-six ans que le club n’avait pas remporté le titre de champion et il y a eu une explosion.

J’ai adoré cette ville, son architecture ouvrière et industrielle avec ses briques rouges. C’était une ville pleine d’énergie footballistique et rock. J’ai eu la chance de vivre ces années-là. Aujourd’hui, Manchester a été rénovée, les bâtiments en verre se sont agrandis…

Revenons à votre album. Trois thèmes semblent émerger dans vos textes : l’amour, la liberté et la solitude. Au fond, cela ne ferait-il pas un portrait de vous ?

Vous oubliez la mort ! Mais oui… Quand j’écris, c’est spontané. Instinctif. Parfois, je ne sais même pas où je vais. C’est après que ça prend du sens. Cela crée des images, des rimes et des jeux de mots qui me plaisent. “Les araignées du matin et du soir, les chagrins, oui, mais l’espoir.” Je trouve ça beau. J’ai une chanson en anglais, Des chagrins explosifs, qui dit « Coups et feux rouges/Poussière sur les arcs-en-ciel », qui parle de guerre. J’essaie de garder cette liberté… Je me donne toutes les libertés, pour monter là-haut, où je veux.

Vous parlez de liberté. Quelle serait votre définition de la liberté ? Comment gérer les contraintes ? Vous étiez footballeur mais peut-être auriez-vous voulu être musicien…

Je me dis que la pire contrainte aujourd’hui n’est peut-être même pas l’argent mais la communication, celle qui parvient à tromper, à manipuler les gens, à les transformer. Celui qui te dit de faire ceci ou cela, de parler comme ceci, de s’habiller comme ça, de chanter comme ça, de placer un refrain, un refrain au bout de 40 secondes parce que les algorithmes te le disent… Et je suis complètement en dehors de ça. tout ça.

« Quelle est la raison pour laquelle je fais tout ça ? Je le fais pour m’exprimer, car c’est vital pour moi. Ou je finirai abattu. »

Éric Cantona

Je veux écrire un texte comme je le souhaite. Après, on aime ou on n’aime pas. Quelle est la raison pour laquelle je fais tout ça ? C’est la seule question qui compte quand on se dit artiste. Je le fais pour m’exprimer, car c’est vital pour moi. Ou je finirai abattu. Ou dans un hôpital psychiatrique. Si le public vient, qu’il soit 10, 100 ou 200 personnes, ce qui me passionne, c’est de jouer pour et avec lui. Je préfère n’avoir personne là-bas plutôt que de faire des choses qui ne me permettront pas de survivre. La voilà, ma liberté.

Mais il y a tous ces moments de solitude, pour peindre, pour écrire. Quand les trouve-t-on ?

J’ai besoin de ces moments, tout comme j’ai besoin de pouvoir passer du temps avec les gens que j’aime, mes amis, ma famille, en cuisine. A la maison, tout se passe autour de la cuisine, on discute, on refait le monde. La cuisine est aussi une forme de générosité. Il y a des choses que je dois faire même si je n’en ai pas envie, comme promouvoir un film ou un disque ! Mais je le fais et j’y trouve aussi du plaisir. Parce que journalistes, vous voyez parfois des choses qui nous échappent.

Hormis le football, vous êtes, en peinture comme en musique, un autodidacte. Vous avez osé franchir le pas…

Mais il faut oser se lancer ! De nombreux musiciens et chanteurs sont autodidactes. Ils ne savent pas lire la musique mais ils la jouent très bien. La musique a été écrite pour que nous puissions jouer ensemble. Pour les chanteurs et certains musiciens autodidactes, il suffit de se mettre d’accord sur un rythme et on arrive à le jouer, peut-être de manière plus naturelle et charnelle.

Qu’en est-il de la peinture, qui est peut-être un exercice plus solitaire…

La peinture est en effet un exercice plus solitaire. Je viens de commencer une série… Je ne sais pas si on peut appeler ça de la peinture. Je m’installe au milieu de nulle part, dans la nature, où la couleur de la terre est différente. Je ne peins pas la nature, je peins la nature pour qu’elle fasse partie intégrante du tableau. Je prends la terre fraîche et la projette sur la toile. Parfois, je colle des éléments extérieurs. Tout se passe très vite. Je prends le tableau et le traîne sur l’herbe ou les petits arbustes épineux qui sillonnent la toile. Quand la terre est sèche, je tape sur la toile et la poussière tombe. La terre a une belle couleur. il y a des effets de transparence, on devine un peu de rouge, là un peu de noir.

La série s’appelle « Mouriès ». Mouriès est un petit village des Alpilles. Les impressionnistes allaient dans la nature pour peindre ce qu’ils voyaient. Mais je ne suis pas là pour peindre des oliviers, pour peindre des montagnes, une vallée ou un village. C’est la terre que je prends, que j’entasse sur la toile. J’ai donc décidé de parcourir le monde pour découvrir des endroits où se trouvent des terres magnifiques. Des lieux où la terre est chargée d’histoire. Et je vais parcourir le monde pour continuer cette série.

Vous parliez de ces terres chargées d’histoire. On pense inévitablement à la Palestine, à tout ce qui se passe actuellement dans le monde. Vous êtes quelqu’un d’engagé, qui dénonce ce qui se passe au Moyen-Orient, qui dénonce le droit de l’immigration. Est-il important de rester le citoyen que vous avez toujours été ?

Engagé ? C’est important. Oui, c’est important. Dans l’une des chansons de l’album, « Peut-être bientôt nous croirons en nous-mêmes », je parle de ces types en costume-cravate qui sont à l’étage et qui voudraient nous envoyer à la guerre. Je pense à la chanson « Le Déserteur » de Boris Vian. Je ne veux pas faire la guerre, je ne veux pas mourir, mais finalement, c’est secondaire. D’un autre côté, pourquoi je vais tuer un gars ? La chanson répond à une actualité très précise, « la loi, au-dessus sont les guerres ». Une guerre comme un jeu vidéo.

Aujourd’hui, le discours sur la guerre revient en force, mais « qu’ils soient réduits au silence par les anges », les anges leur feront fermer la bouche, et peut-être qu’un jour les gens croiront en nous.

Je n’aime pas l’idée des frontières. Pourquoi ne pas mettre une frontière dans ma région, dans ma ville, dans mon quartier, chez moi ? J’aime beaucoup cette image de Thomas Pesquet, qui voit la Terre comme on voit la Lune et dit que, d’où il est, il est difficile d’imaginer les guerres, les haines et les frontières.

Alors, tous ces discours très guerriers qu’on entend ces jours-ci… C’est de la propagande. Nous allons célébrer le soldat inconnu. Cependant, ce n’est pas lui que nous célébrons mais le prochain qui figurera sur la liste. J’ai beaucoup de mal avec ce genre de discours car dans toute guerre, il y a une injustice quelque part. Je rêve d’un monde idéal où nous n’avons pas besoin de nous battre pour vivre.

Vous réalisez un film sur la guerre civile espagnole. Quel est le fil conducteur ?

En 1939, 300 000 républicains espagnols traversent les Pyrénées pour venir en France. C’est une histoire que nous ne connaissons pas très bien. Mon grand-père faisait partie de ceux qui ont dû fuir le franquisme. L’idée de faire un film sur le sujet m’est venue à New York. Avec Rachida (Rachida Brakni, sa compagne), nous étions à la maison de la photographie à New York et il y avait cette exposition sur la valise mexicaine de Capa.

Je scanne les photos et soudain je reconnais une image de mon grand-père. Mais sur cette photo, il a 28 ans. Évidemment, je ne le connaissais pas à cet âge-là. Puis l’exposition arrive aux Rencontres d’Arles. Et là, j’emmène ma mère et ma tante pour qu’elles puissent confirmer si c’était leur père ou pas. Il s’agissait bien de leur père… Aussi incroyable que cela puisse paraître, il était bien mon grand-père !

C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision de faire un film pour raconter cette histoire. Celui des camps d’Argelès ou de Gurs. Rappelons également que dans les camps de concentration, il y avait beaucoup de communistes et de Tsiganes qui ont vécu la même chose que les Juifs. C’était horrible pour tout le monde. J’ai rassemblé toute la documentation nécessaire en consultant de nombreuses archives. L’idée est désormais de partir avec une caméra sur les traces de cet exilé républicain.

Album : « Cantona chante Éric. Première tournée de tous les temps », Barclay/Universal. Tournée européenne à partir du 2 avril : Hollande, Belgique, Pays-Bas, Irlande, Grande-Bretagne. À Paris, à La Cigale, le 24 octobre 2024.


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