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Entre érotisme et pureté – Le Temps

Après avoir fait ses débuts à l’Opéra national de Vienne avec Mozart, dans le rôle de la Reine de la nuit aux aigus stratosphériques, établie non loin de la capitale avec son mari et ses deux enfants, Olesya Golovneva a achevé la carrière relativement classique de chanteuse. initialement classée « soprano lyrique » et « soprano colorature » avant d’évoluer vers des rôles plus lourds, notamment dans le bel canto. Elle cite Anna Bolena, Maria Stuarda, Lucia di Lammermoor. Entre autres rôles, elle a également chanté Gilda, Violetta dans La traviata, Rusalka et récemment le personnage de Silvana dans La fiamma d’Ottorino Respighi – rôle qu’elle a endossé en octobre dernier au Deutsche Oper de Berlin.

Cet opéra méconnu, qui sera forcément difficile à identifier et où elle incarne la fille d’une sorcière injustement condamnée, l’a apparemment bouleversée. « J’ai été appelé à la dernière minute pour un remplacement et j’ai appris le rôle en quelques jours. On est loin du bel canto, il faut parfois recourir à la voix de poitrine et il y a des cris – même si on a de grands arcs lyriques à chanter et une petite section qui rappelle Monteverdi. C’est une matière théâtrale vraiment fantastique, entre larmes et rires, et c’est le rôle le plus dramatique que j’ai chanté jusqu’à présent. Il faut passer par l’orchestre qui est encore plus dense qu’avec Richard Strauss dans Salomé. »

On la sent vibrer avec les personnages qu’elle incarne sur scène. Elle dit qu’il faut s’inspirer de tout, de ses lectures, de la peinture, de tout ce qu’on rencontre dans la vie. Mais ses racines familiales restent la source première. Elle est née à Pskov en Russie, « une ville de province située entre Riga et Saint-Pétersbourg près de la frontière avec l’Estonie », explique Olesya Golovneva. Il n’y a pas de musiciens professionnels dans ma famille, mais ma mère et mon père ont toujours beaucoup aimé la musique populaire – tout comme l’un de mes grands-pères. Ils jouaient de l’accordéon et je chantais avec eux. J’ai aussi chanté à l’école et interprété des mélodies dans un club Pouchkine. »

Tout comme Tatiana dans Eugène Onéguine, la jeune fille de 15 ans passait beaucoup de temps seule dans la nature. « Je m’identifiais à ses rêves, à ses pensées. J’ai adoré me perdre dans les lectures. » Olesya Golovneva a fini par chanter le rôle de Tatiana à Cologne, Helsinki, Hambourg ; et l’opéra culte de Tchaïkovski construit autour de sept « scènes lyriques » reste son préféré.

Elle suit une formation de chanteuse au Conservatoire de Saint-Pétersbourg pendant sept ans. « Je n’ai pas chanté du tout en Russie, j’y ai seulement étudié et j’ai réussi mon examen final avec le rôle de Violetta Valéry dans La traviata. » Son premier engagement remonte à presque vingt ans : Reine de la nuit, de La Flûte enchantée, à Vienne. « J’avais 25 ans, je voulais rester à la maison, j’étais comme Tatiana ! Mais ma mère m’a dit qu’il fallait que je parte et que c’était une opportunité à saisir. Bien sûr, la mentalité en Autriche était très différente de celle en Russie, et je ne parlais pas allemand… Il faut savoir prendre des risques dans la vie. » Mais la voici à nouveau en contact avec les grands auteurs russes. « La culture russe est en moi. J’ai grandi comme ça. Je suis fier de la culture russe même si je n’ai pas mis les pieds en Russie depuis trois ans à cause de « cette triste histoire »… J’ai aussi étudié l’art dramatique. Constantin Stanislavski, Vladimir Nemirovitch-Danchenko, Mikhaïl Tchekhov sont pour moi des références, et bien sûr Anton Tchekhov dont j’ai lu les pièces. »

Je suis fier de la culture russe, même si je n’ai pas mis les pieds en Russie depuis trois ans à cause de cette « triste histoire »…

Oleya Golovneva

Après Pouchkine, elle traverse une phase Dostoïevski. « Pendant trois-quatre ans, je ne lisais que ses romans. Je lisais dans le bus, dans mon foyer étudiant… Ce qui est intéressant chez Dostoïevski, ce sont les questions qu’il pose, mais il ne donne pas les clés pour les résoudre. Ces réponses, c’est à vous de les trouver, de les chercher, dans votre cœur, dans votre âme, dans votre esprit. Ce sont des questions philosophiques très profondes et elles ouvrent des horizons. » Olesya Golovneva s’inspire de ces personnages inédits pour son travail sur scène. A propos de Salomé – l’un des rôles les plus provocateurs du répertoire, qui exécute la danse des sept voiles sous les yeux lubriques de son beau-père Hérode pour obtenir la tête d’Iokanaan – la chanteuse à la voix douce et réfléchie tente de comprendre ses motivations. «Je me demandais si elle était sous l’influence de drogues ou d’alcool. Elle ne semble pas très lucide dans ce qu’elle dit et dans la manière dont elle se comporte. La musique de Richard Strauss est comparable à une extase, on dirait qu’elle est animée par une pulsion sexuelle qui la dépasse. J’imagine que Salomé a été maltraitée lorsqu’elle était enfant ou exposée à la sexualité dès son plus jeune âge et qu’elle est une enfant brisée. Il exprime le côté obscur que chaque être humain a enfoui au plus profond de lui-même. Tout ce qu’elle dit est de nature sexuelle et fait référence à la relation érotique entre un homme et une femme. Elle manipule le jeune capitaine syrien Narraboth par sa seule force d’attirance sexuelle. » Olesya Golovneva a tellement réfléchi au sujet qu’elle a proposé une variante pour la fin. « Si j’étais réalisatrice, je demanderais à Salomé de mettre elle-même à mort Iokanaan. Le garde n’oserait pas le tuer au fond de la citerne et laisserait tomber son épée – comme le suppose Salomé à un moment du livret de l’opéra. Et quand Iokanaan sortait de la citerne, c’était Salomé qui le tuait après lui avoir baisé la bouche et elle posait sa tête sur un plateau d’argent. Cela rendrait les choses encore plus étranges et plus sanglantes. Elle dépasserait toutes les limites ! »



Oleysia Golovneya dans l’un de ses rôles importants, celui de Valentine dans Les Huguenots de Meyerbeer, au Deutsche Oper Berlin, en 2020. — © Deutsche Oper

Toujours en quête de sens, Olesya Golovneva pense que ce qui alimente l’attirance de la princesse de Babylone pour le jeune prophète est autre chose que le désir charnel et érotique. « Iokanaan est un ascète. Il est pur, indemne de dépravation, promis au royaume de Dieu. Et cette pureté fascine Salomé, car quelque part au fond d’elle, elle aspire à la rédemption. Elle dit que « la lune a la beauté d’une vierge restée pure ». Et c’est probablement pour cela qu’elle veut toucher Iokanaan, toucher sa peau, toucher ses cheveux et embrasser sa bouche. Parce que c’est pur. Elle ne comprend pas que cette virginité recherchée n’est ni humaine ni sensuelle. »

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Décidément très consciente des enjeux qui sous-tendent l’approche de ses rôles, Olesya Golovneva estime que “quand on incarne une mauvaise personne, il faut chercher là où elle est bonne”. Elle déteste les approches « unidimensionnelles », et c’est cette diversité des humains qui la fascine. Elle dit également que l’incarnation théâtrale prime sur la stricte performance vocale. « D’abord, je joue, puis je chante, parce que j’aime le théâtre parlé. Je l’ai fait pendant six ans avec un très bon professeur. Et d’une voix douce et pleine d’empathie, elle nous envoie en nous conseillant de lire Les Frères Karamazov ou Les Démons de Dostoïevski – « même si c’est un peu dur » !


Née en Russie, la soprano Oleya Golovneva étudie à Saint-Petersgourg et à Vienne, ville où elle débute sa carrière en rejoignant la troupe du Staatsoper, lancée par le rôle de la Reine de la Nuit dans La Flûte enchantée, qu’elle interprétera dans toute l’Europe. Son répertoire comprend aujourd’hui plusieurs rôles majeurs : Violetta (La traviata), Lucia di Lammermoor, Tatiana (Eugène Onéguine), Anna Bolena, Mimi (La Bohème), Rusalka ou Valentine (Les Huguenots), pour ne citer qu’eux. -uns.


Salomé at the Grand Théâtre de Genève

Du 22 janvier au 2 février 2025

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