« L’action contre le diabète se déroule au niveau du pancréas », explique Alexandre Caron, chercheur en pharmacie à l’Université Laval. Ozempic imite l’action d’une hormone, le GLP-1, qui est produite en réponse à un repas pour stimuler la production d’insuline. [une autre hormone qui facilite l’entrée des sucres dans nos cellules] dans le pancréas.
“Cela augmente l’insuline dans le sang et réduit la glycémie [le taux de sucres sanguins, qui est anormalement élevée chez les diabétiques].»
On savait que le GLP-1 et les molécules qui l’imitent pouvaient ralentir le transit des aliments dans le système digestif, peut-être aussi agir sur le cerveau, et ainsi, disait-on, supprimer la faim. Mais M. Caron et son équipe ont découvert que cela allait bien au-delà de ce que l’on soupçonnait. Et ce faisant, ils ont également identifié de nouvelles populations de neurones encore méconnues et qui, on ne le savait pas, jouent un rôle important dans la régulation de l’appétit.
M. Caron s’est intéressé à la leptine, une hormone produite par nos cellules adipeuses. « Plus nous avons de masse grasse, plus nous produisons de leptine, c’est donc une hormone qui réduit l’appétit. C’est le chemin des adipocytes [les cellules graisseuses] dire : nous sommes rassasiés.
« Mais les personnes obèses deviennent résistantes à la leptine. Et plus nous produisons de leptine, moins elle atteint le cerveau », explique-t-il, si bien que le signal de satiété y est affaibli.
Ce signal provenant de nos cellules adipeuses est capté par une partie du cerveau appelée noyau arqué de l’hypothalamus — une région située au centre du crâne. Sauf que nous ne savions pas exactement quels groupes de neurones dans le noyau arqué étaient responsables de la réception de la leptine et de la suppression de la faim.
« Avant les années 2000, relate M. Caron, on croyait avoir affaire à un système où il n’y avait que deux populations de neurones dans le noyau arqué : l’une qui stimulait l’appétit et l’autre qui le supprimait. Mais à partir des années 2000, on a commencé à se rendre compte que c’était beaucoup plus complexe que ça. Mais nous ne savions toujours pas quels neurones étaient responsables de quoi.
L’équipe de M. Caron est donc partie de « cartes », pour ainsi dire, des neurones du noyau arqué récemment publiées. Ces cartes recensaient grossièrement les récepteurs à la surface des neurones, une sorte d’« antenne » conçue pour capter des hormones spécifiques.
Les chercheurs ont découvert qu’il n’y avait pas deux populations différentes de neurones, mais plutôt huit (!), dont trois expriment un récepteur qu’ils n’avaient pas vu venir, sorte d’invité surprise de leur « fête des hormones » : le poétiquement nommé crabp1.
Ce crabp1 est une protéine qui joue un rôle dans le développement neuronal de l’embryon et qui semble également être impliquée dans certains cancers, mais c’est à peu près tout ce que l’on en savait. «Chez l’adulte, on ne connaissait pas vraiment sa fonction», raconte M. Caron.
Or, il semble désormais qu’elle contribue grandement à la régulation de l’appétit. Dans leur étude publiée en avril dernier dans la revue médicale Neuroendocrinologieen effet, M. Caron et son équipe ont jeûné des rats de laboratoire pendant une nuit entière avant de les séparer en quatre groupes : un seul des quatre a pu manger à nouveau le matin, tandis que les trois autres ont reçu soit de la leptine, soit du liraglutide (essentiellement le même molécule que l’on trouve dans Ozempic contre le diabète et Wegovy contre l’obésité), ou un placebo.
Cependant, ces quatre traitements ont produit des effets très différents sur les neurones crabp1. C’est chez les souris qui n’avaient pas pu manger à nouveau et qui avaient seulement reçu un placebo que ces neurones étaient les plus actifs, ce qui suggère que ces populations neuronales servent à stimuler l’appétit.
Environ 40 % d’entre eux étaient activés, selon les tests effectués par M. Caron, contre seulement 30 % chez les souris qui avaient pu se nourrir à nouveau.
Et c’est le liraglutide qui imite le mieux l’effet d’un repas sur ce groupe de neurones (environ 28-30 %, encore mieux que la leptine (35 % d’activation).
« L’idée était de voir s’il s’agissait de neurones qui réagissaient à l’état nutritionnel. Et les résultats montrent que lorsqu’on administre du liraglutide, cela mime l’effet d’un repas dans ces neurones », explique M. Caron.
Il y a encore du travail à faire pour confirmer ces résultats et mieux comprendre comment tout cela fonctionne, mais il est fort possible que l’équipe de M. Caron ait découvert (ou du moins, et) mécanisme qui explique l’effet coupe-faim d’Ozempic. À tout le moins, ils ont découvert une partie insoupçonnée de notre système de régulation de l’appétit.
L’année 2024 a été riche en découvertes pour la communauté scientifique de la capitale. Chacun dans leur domaine, les chercheurs de la région ont écrit de nouveaux chapitres de l’histoire scientifique. Le Soleil vous présente, une par jour, les avancées les plus marquantes de l’année.
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