(Washington) Voici la diplomatie à travers les « tweets », les coups de gueule et les menaces. Or, Donald Trump ne prendra ses fonctions que dans 40 jours.
La semaine dernière, le président élu a déclaré « en plaisantant » que le Canada pourrait devenir le 51ee État américain. C’était lors du désormais légendaire « souper au pain de viande » – un plat traditionnellement préparé à partir des restes de la semaine…
Mardi, Trump a qualifié Justin Trudeau de « gouverneur du grand État du Canada ». Une sorte de grand Minnesota.
Il a également publié un photomontage de lui-même surplombant un paysage montagneux où est planté le drapeau canadien.
Bien sûr, personne ne prend au sérieux un projet d’annexion – voir le texte de Michel C. Auger dimanche1.
Alors, que se cache-t-il derrière cette « blague » répétée ?
Il n’y a pas vraiment de mystère avec Donald Trump. Les choses sont dites.
Il l’a déclaré lors de son premier mandat. Il l’a répété pendant la campagne : le Canada profite indûment des États-Unis. Tant sur le plan commercial que militaire.
dimanche, à Rencontrez la presseTrump a déclaré que les États-Unis « subventionnent le Canada à hauteur de 100 milliards de dollars par an ».
Il n’a évidemment pas détaillé en quoi consistaient ces « subventions ». Le déficit commercial américain avec le Canada est de 100 milliards par an. Il ne s’agit évidemment pas d’une « subvention » : cela signifie que les consommateurs et les entreprises américaines importent du Canada 100 milliards de dollars de plus qu’ils n’exportent.
Si l’on exclut le pétrole, qui représente plus de 100 milliards en 2023, le Canada serait en déficit commercial. On pourrait même dire que le Canada subventionne les raffineries américaines parce que le pétrole de l’Alberta, enclavée, est vendu à rabais.
Qu’importe : pour Donald Trump, acheter un bien auprès d’un partenaire fiable, c’est le subventionner…
Il ne fait évidemment aucun doute que le Canada profite énormément de sa proximité avec le pays le plus riche et le plus puissant militairement au monde.
Certains croient que les tarifs douaniers de 25 % sur tous les produits canadiens ne sont qu’une menace pour améliorer la surveillance des frontières. C’est plus que ça. Il croit sincèrement aux tarifs douaniers en tant qu’outil économique et politique.
La plupart des pays développés les ont progressivement abandonnés au cours du siècle dernier en raison de leur mauvaise politique économique. Qu’importe : il répète que le mot « tarif » est magnifique et que les Etats-Unis peuvent s’enrichir en douane.
L’Accord de libre-échange nord-américain doit être « revu » le 1est Juillet 2026. Il y aura encore plus de menaces, de droits de douane, de grincements de dents et de drames.
Il n’y a pas tellement de stratégie chez Trump dans ce mépris d’un pays souverain. C’est sa vision du monde qui s’exprime dans cette plaisanterie. Comme dans ses poignées de main : il faut dominer ou être dominé.
Dans un accord, il doit y avoir un perdant. Si le partenaire prospère, c’est forcément parce que les Etats-Unis perdent quelque chose. Les économistes ont réfuté cette idée depuis 150 ans, mais c’est sa philosophie personnelle et politique.
Il considère donc le Canada non pas comme un allié, mais comme un abuseur. Quand il devrait être vassal.
La Chine est également dans sa ligne de mire, mais elle a le mérite d’être une véritable puissance. Elle fait peur. C’est respectable.
Il n’a pas complètement tort d’assimiler mentalement le voisin du nord. Culturellement, le Canada, Québec inclus, est le pays le plus américain hors des États-Unis.
Un peu comme la Finlande est soutenue depuis toujours par la Russie, le Canada n’aurait pas vraiment de plan B sous la main face à un voisin devenu agressif et qui voudrait l’assujettir.
Cependant, un langage public aussi hostile et menaçant de la part d’un futur président avec son allié le plus fidèle est totalement sans précédent.
Je dis publique, car la haine de Richard Nixon envers Pierre Trudeau était légendaire, mais n’a pas été affichée publiquement.
À quoi s’attendre ? Encore une fois, tout a été annoncé.
Ce qui se prépare, c’est la poursuite du premier mandat, mais avec plus de détermination que jamais.
Les alliés seront traités comme des profiteurs tant qu’ils ne feront pas de concessions.
Toutes les alliances et organisations seront ébranlées, à commencer par l’OTAN, que Trump n’a jamais comprise ni respectée. Et où le Canada ne respecte pas ses engagements.
Il faut s’attendre à une hausse fulgurante des dépenses militaires canadiennes, sous peine de diverses sanctions.
Tout cela dans un monde où les Etats-Unis ne veulent plus jouer à la police sur la planète. Donald Trump a exprimé à plusieurs reprises ses tendances isolationnistes. Dimanche, lorsque la dictature syrienne est tombée, il s’est empressé de dire que les États-Unis n’avaient rien à voir avec ce conflit et qu’au fond, ils prenaient des dispositions.
Sauf que le retrait américain s’accompagne généralement de l’arrivée de nouvelles influences.
Les États-Unis sont confrontés à un choix, écrit Charles-Philippe David dans son récent essai sur les relations extérieures américaines2.
Ou « ils contribuent par leur puissance au maintien et à la transformation du système international, pour le façonner selon leurs valeurs et leurs intérêts ». C’était la posture classique, maintenue par l’administration Biden.
Ou « ils accélèrent leur retrait de ce système, ce qui favorisera alors la montée en puissance des autocraties, qui exploiteront cet isolement ». […] ».
« L’Amérique d’abord » signifie aussi les États-Unis seuls.
1. Lire la chronique de Michel C. Auger
2. Consultez l’essai L’aigle en danger ?
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