Au bord de l’eau, alourdie par les premiers froids, oies et canards pataugent encore parmi les aulnes. Les passants s’arrêtent parfois pour les regarder et remarquent souvent : « Allez, ils peuvent partir quand ils veulent, les autres, pouvez-vous me dire pourquoi ils ne sont pas encore arrivés au Mexique ! Eille, je te dis que je serais parti depuis longtemps ! » On s’adresse parfois directement aux têtes émeraude des colverts : « Dis à ta femme qu’il est temps de partir ! »
Ils sont connus pour passer leur vie en couple, ces beaux oiseaux, on nous l’a toujours dit : les canards s’aiment pour la vie. On le voit facilement, d’ailleurs, ils viennent presque toujours par paires, peu importe la période de l’année, et la vue d’un canard solitaire a toujours quelque chose d’un peu triste, on se demande où est son autre moitié, s’il ne s’est pas passé quelque chose à lui. On suppose que ce n’est pas par choix qu’un canard sauvage opte pour le célibat.
On nous a dit un jour qu’ils choisissaient parfois des partenaires du même sexe, une information que je n’ai jamais vérifiée, mais qui nous convenait : c’était la preuve que la nature préférait parfois l’amour à la reproduction et que les conventions, les tabous et l’intolérance étaient des inventions bien humaines.
Tout comme l’idée de virilité, dont nous avons tant parlé cette semaine et qui n’a pourtant, je crois, jamais été débattue au bord de nos rivières ou dans nos forêts.
Comment se fait-il que de toutes les bêtes, les humains soient les seuls à avoir un besoin aussi douloureux de toujours se définir ?
Ainsi, l’émergence d’influenceurs masculinistes sur le devant de notre petite scène médiatique a suscité de grands débats ces derniers jours. Faut-il, ne faut-il pas, et surtout : pourquoi ? Il n’en fallait pas plus pour qu’une bonne partie du commentariat saute dans l’arène et rappelle que si c’est certes une mauvaise chose d’être misogyne et sexiste, il ne faut pas s’étonner que notre époque dévalorise la virilité en ait donné quelques-uns. les gens ont envie de gonfler leurs poitrines tatouées et stéroïdes.
En gros : ils exagèrent, mais il faut les comprendre.
Ils mettent beaucoup de points négatifs, ces commentateurs, ils dénoncent la haine et soulignent leur respect pour l’émancipation des femmes, après tout ils ont confiance en leur virilité, ils n’ont pas besoin de la clamer sur des tribunes enflammées et se contentent de la laisser transparaître. dans leurs mots mesurés.
Mais on les sent paralysés de la nostalgie d’une époque à moitié imaginée, de valeureux chevaliers défilant dans leurs armures étincelantes, arborant des croix sur leurs plastrons et offrant à ces dames des bouquets d’aubépines du bout de leurs lances. Dans cet autrefois lisse et idéalisé, ils reviennent de la chasse, épuisés, les cuisses raides d’avoir trop chevauché derrière un renard terrifié et dûment soulevés par un de leurs serfs, ils vont manger de la viande rouge, écrire des sonnets imprégnés d’un sentimentalisme primaire et faire amour aux femmes dont le consentement bienheureux est acquis à jamais.
Mon Dieu, qu’ils sont bons, ils jouissent des fruits de la terre et de leur corps et leur âme est en paix, leur cœur confiant et rassuré : ils sont justes et bons, leur indulgence est infinie et chacun de leurs gestes est légitimé. Ils sont avant tout à leur place.
C’est bien sûr un lieu complètement arbitraire, savamment entretenu par des siècles de gros bras et de facilité de domination – si ces hommes voulaient vraiment être des lions, ils quitteraient la meute dès que leurs testicules descendraient et cesseraient immédiatement de prétendre être des pourvoyeurs.
Pourtant, certains nous parlent de ce lieu comme d’un droit acquis, d’un espace que l’on veut agrandir (nous sommes galants, après tout), mais qu’il serait dangereux de supprimer, regardez ce qui arrive quand on se sent envahi sur notre territoire, et comprenez que ce n’est pas nous que vous devez blâmer si des mâles gonflés de rage sont portés vers les cieux, c’est vous.
Se rendent-ils compte, ces beaux penseurs, qu’ils s’agitent et se rebellent pour défendre des privilèges qui ne sont nullement menacés, mais seulement signalés ? Sont-ils conscients que c’est encore leur propre peuple, majoritaire et libre d’exercer ses droits et de faire entendre sa voix, qui a élu la semaine dernière une caricature de tout ce qu’il défend ? Se souviennent-ils, lorsqu’ils déplorent les atteintes incessantes à une identité qui leur est due, que partout dans le monde ce sont leurs peuples qui imposent leurs lois et leur bonne volonté ?
Bien sûr, ils le savent.
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