News Day FR

Les comptables veulent se protéger de la police

Les comptables québécois réclament qu’on leur accorde une protection particulière contre les perquisitions policières semblable à celle dont bénéficient les avocats. Les implications seraient énormes pour la lutte contre la criminalité en col blanc. Une enquête de l’Unité permanente anti-corruption (UPAC) est également bloquée depuis des mois en raison de cette affaire.


Publié à 1h30

Mis à jour à 6h00

Le débat a été soulevé par un comptable professionnel agréé (CPA) de la région de Montréal. Le 5 juin, des policiers de l’UPAC se sont présentés à son bureau munis d’un mandat signé par un juge, pour saisir le dossier d’un de ses clients visé par une enquête criminelle. Une pratique courante dans les délits financiers.

Mais ce jour-là, le comptable s’est opposé à la saisie du matériel. Elle a soutenu que son secret professionnel protégeait sa relation avec le client et a demandé à la Cour supérieure de se pencher sur ce qui pouvait être tenu hors de portée des enquêteurs.

Depuis, l’enquête est au point mort.

Le soutien de l’Ordre des CPA

Lors d’une récente audience sur cette affaire au palais de justice de Montréal, l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec a confirmé qu’il appuyait la demande d’une procédure particulière visant à protéger le secret professionnel des comptables lors des perquisitions.

« L’Ordre appuie la demande du comptable professionnel agréé qui en est membre », a déclaré M.e Chantal Roy, directrice de la législation et de la réglementation au sein de l’organisation.

« Je représente une professionnelle qui est entre l’arbre et l’écorce, entre l’UPAC et son ordre. C’est une impasse mexicaine ! », explique M.e Gabriel Querry, l’avocat du comptable, en référence à la scène classique du cinéma où plusieurs personnes sont sous la menace d’une arme.

Sa cliente, dont l’identité est actuellement protégée par une ordonnance de non-publication, souhaite uniquement respecter ses responsabilités professionnelles, a-t-il soutenu, tout en soulignant qu’il existe actuellement une « incertitude jurisprudentielle » sur cette question.

M.e Querry suggère au tribunal de s’inspirer de la procédure déjà en place pour protéger le secret professionnel des avocats : lorsqu’une perquisition policière risque de violer le privilège des échanges confidentiels entre un avocat et son client, un avocat indépendant est désigné pour inspecter chacun document et déterminer s’il peut être consulté par la police ou s’il reste protégé.

Des années de retard

Imposer une telle procédure aux comptables pourrait allonger considérablement les enquêtes. Déjà, la démarche pour les avocats donne des maux de tête : une commission a été constituée au ministère de la Justice pour simplifier ces longs processus de tri de millions de documents potentiellement privilégiés, dans lesquels les policiers s’embourbent de plus en plus.

«Cela reste un défi quotidien dans nos opérations», expliquait-il récemment à La presse le commissaire par intérim de l’UPAC, Éric René. « Les délais sont toujours très longs pour accéder aux documents lorsqu’ils sont contestés en justice », a-t-il souligné.

Dans l’enquête de l’UPAC sur le financement du Parti libéral du Québec, close sans inculpation, le travail des policiers a été retardé de plus de trois ans parce que l’homme d’affaires Marc Bibeau a évoqué le risque de violation du secret professionnel des avocats de ses entreprises. .

Dans le cas de l’entreprise de construction De Castel, visée par une perquisition de l’UPAC en 2012, l’accès aux preuves par la police a été retardé de six ans en raison de contestations judiciaires liées au secret professionnel des avocats.

En 2019, l’ancien maire de Chambly Denis Lavoie, lui-même avocat, avait invoqué le privilège du secret professionnel lorsqu’une perquisition de l’UPAC visait l’administration municipale. Un observateur indépendant a dû examiner 3,1 millions de documents pendant 14 mois pour déterminer qu’un seul était couvert par le privilège et ne pouvait pas être remis à la police.

“C’est vraiment choquant”

Le juge Mario Longpré, qui a entendu la demande du comptable, a semblé stupéfait par la demande de mettre en place des processus aussi lourds pour les comptables.

« Il ne faut pas minimiser les enquêtes criminelles, bien au contraire ! », s’est-il exclamé, soulignant l’impact potentiel sur « toutes les enquêtes de fraude, de blanchiment, de télémarketing frauduleux… beaucoup de grosses enquêtes ! « .

« J’en suis pleinement conscient. Si on se concentre sur les impacts, c’est sûr que ce sera choquant”, a répondu M.e Query, au nom du comptable concerné.

L’avocate du procureur général du Québec, Mme.e Amélie Savard, a soutenu que le mandat de perquisition autorisé par un juge du bureau du comptable devrait autoriser la saisie du matériel pertinent.

« Au fond, une autorisation judiciaire, autorisée par un juge, est présumée valable », a-t-elle précisé.

Pour le représentant du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), François Boillat-Madfouny, la loi est claire : « Le secret professionnel des comptables ne peut s’opposer à l’exécution d’un mandat de perquisition en matière pénale », a-t-il insisté devant du juge.

« La plupart des enquêtes majeures porteront sur des documents financiers », a-t-il souligné.

Le juge a pris l’affaire en délibéré et doit rendre sa décision sur l’application du secret professionnel ultérieurement.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

Related News :