L’État a-t-il failli en ne protégeant pas Samuel Paty ? Les ministères de l’Intérieur et de l’Éducation nationale ont-ils sous-estimé la menace qui pèse sur l’enseignant qui a été poignardé puis décapité le 16 octobre 2020 près du collège où il enseignait, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) ? Ces questions planeront forcément sur le procès qui s’ouvre lundi 4 novembre devant la cour d’assises spéciale de Paris. Même si les cinq magistrats n’auront pas pour mission de répondre à ces questions qui, quatre ans après, continuent de tarauder une partie de la famille de Samuel Paty. Le rôle du tribunal sera de juger huit personnes soupçonnées, à des degrés divers, d’avoir joué un rôle dans l’assassinat du professeur d’histoire-géographie par un jeune homme de 18 ans, russe d’origine tchétchène, tué par la police quelques minutes plus tôt. après son acte.
Mais la justice se prononcera toujours sur d’éventuels manquements de l’administration. En avril 2022, dix membres de la famille Paty ont porté plainte contre « défaut de prévention d’un crime et non-assistance à personne en danger ». « Une enquête est en cours. Cette famille veut savoir ce qui aurait pu être fait pour empêcher ce qui s’est produit. Peut-être aurait-on dû protéger Samuel Paty ou, à tout le moins, modifier son établissement pendant quelques semaines. estime leur avocate, Me Virginie Le Roy.
« La proviseure a donné toutes les alertes qu’elle pouvait donner »
En auditionnant le proviseur du collège ainsi que plusieurs enseignants, la cour d’assises aura une idée de la façon dont l’établissement a réagi face à l’effervescence suite à la présentation du professeur, les 5 et 6 octobre 2020, à deux classes de quatrième. , caricatures du prophète Mahomet publiées dans Charlie Hebdo. Face aux vidéos très virulentes diffusées à son encontre sur les réseaux sociaux, le proviseur n’est pas resté inerte. Le 8 octobre, elle alerte le rectorat avant de prévenir le lendemain le maire qui, aussitôt, transmet l’information au renseignement territorial.
Le 13 octobre, le proviseur s’est également rendu au commissariat pour porter plainte auprès de Samuel Paty qui, trois jours plus tard, a été tué par ce jeune jihadiste d’Évreux (Eure) et à l’extérieur du collège. La réalité de la menace a en effet été sous-estimée par le renseignement territorial qui, dans une note du 12 octobre au préfet, a estimé que la communication entre la direction du collège et les familles avait été « a permis d’apaiser les tensions ».
« Dans cette affaire, la proviseure a lancé toutes les alertes qu’elle pouvait donner » estime Carole Zerbib, membre du Syndicat national des cadres de l’éducation nationale (SNPDEN), qui ne cache pas le traumatisme provoqué par la mort de Samuel Paty. « Nous avons réalisé que les enseignants pouvaient être des cibles au même titre que la police ou l’armée. Ce que le décès de Dominique Bernard a confirmé en 2023″, dit Carole Zerbib.
Comment l’école gère-t-elle désormais les problèmes de radicalisation ? Quatre ans après la mort de Samuel Paty, la question se pose particulièrement avec acuité. Aujourd’hui en effet, la menace terroriste émane en grande partie des individus présents sur le territoire qui, de l’avis des services de renseignement, sont de plus en plus jeunes.
Un moment d’échange autour de Samuel Paty, au lycée Jean-Lurçat de Perpignan, le 16 octobre 2023. / MICHEL CLEMENTZ / PHOTOPQR/L’INDEPENDANT/MAXPPP
En 2023, 15 mineurs ont été mis en examen pour des faits de terrorisme. En 2024, ils seront 16. Alors que les années précédentes, seuls deux ou trois mineurs étaient concernés. « Face à ces jeunes qui se radicalisent de plus en plus tôt, l’école a un rôle de prévention et de détection à jouer, car elle peut être confrontée à l’émergence de propos ou de comportements qui pourraient les alerter. » indique Séraphin Alava, professeur de sciences de l’éducation à l’université de Toulouse et membre de la chaire UNESCO sur la prévention de la radicalisation.
“Pour certains professeurs, c’est navrant de faire un constat”
Pour aider les personnels éducatifs à repérer les signes de radicalisation, une fiche pratique a été distribuée en 2018 aux établissements. “Le problème est qu’il n’est pas toujours facile de faire la distinction entre un comportement vraiment problématique et une attitude qui est un simple défi à l’autorité ou un mal-être que l’on voit souvent à l’adolescence”, indique Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat Snes-FSU.
“C’est pourquoi il est très important qu’un enseignant, ayant des doutes, croise ses informations avec tous les autres membres de l’équipe pédagogique”, ajoute Carole Zerbib. « Pour certains enseignants, c’est navrant de le signaler. Ils se disent que leur rôle premier est d’éduquer et que les enfants dénoncés garderont à vie l’étiquette de « radicalisés ». explains Séraphin Alava. À ces enseignants, je dis que dénoncer n’est pas condamner. Au contraire, cela peut aider un jeune à la dérive. »
Lorsqu’un chef d’établissement fait un signalement au rectorat, l’information est transmise, comme ce fut le cas pour Samuel Paty, au renseignement territorial (RT), qui mènera une enquête locale. « Nous rassemblerons toutes les informations disponibles sur le jeune et sa famille. Nous regarderons s’il a, par exemple, une pratique religieuse fondamentaliste. On va regarder ce que le jeune a pu diffuser sur les réseaux sociaux”explique Alain Pissard, référent national sur RT pour le syndicat Un1té.
Dans un grand nombre de cas, la police constatera que les jeunes visés par l’enquête ne présentent aucun danger et ont simplement agi par une sorte de « la bêtise des adolescents anti-professeurs »underlines Alain Pissard. « Aujourd’hui, on voit encore certains jeunes menacer un enseignant en lui disant : « Je vais te faire un Samuel Paty ». Dans de nombreux cas, il s’agit simplement d’enfants qui se méfient d’une manière immature et qui savent qu’en faisant cette terrible référence, ils risquent d’effrayer leur professeur.» explique le policier.
En 2024, un plan d’attentat déjoué après un rapport de l’Éducation nationale
Mais ce travail d’évaluation peut aussi révéler une situation problématique ou un début de radicalisation chez l’étudiant. Dans ce cas, elle sera orientée vers la cellule départementale de veille de prévention de la radicalisation et d’accompagnement des familles (CPRAF). « Chaque semaine ou toutes les deux semaines, dans tous les départements, la RT a une réunion avec les autres services de renseignement. Tous les cas sont présentés et évalués. Et si la situation d’un jeune apparaît vraiment problématique, la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure, NDLR) peut se saisir du dossier et mener des enquêtes judiciaires avec plus de moyens », indicates Alain Pissard.
L’année dernière, trois adolescents, l’un âgé de 15 ans et les deux autres de 16 ans, résidant en Touraine, ont été inculpés pour un projet d’attentat contre l’ambassade d’Israël à Bruxelles. Selon une note de la DGSI, révélée par Le Parisien, deux de ces jeunes s’étaient démarqués par leur comportement prosélytique inquiétant dans leur école. Ce qui a donné lieu à un rapport de l’éducation nationale.
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