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Et si la Grande Ourse était plutôt l’esprit du pêcheur ?

«Je veux retrouver ce savoir effacé et dont il ne reste que des miettes», image Laurie Rousse-Nepton, tête d’affiche de la conférence Le ciel chez les Premières Nations bientôt présenté au Québec. À travers de nombreuses recherches, lectures, analyses et discussions, le scientifique explore l’étendue des connaissances astronomiques innues.

« J’ai réalisé, après avoir obtenu mon doctorat, que je n’avais pas beaucoup de connaissances astronomiques sur ma communauté et j’ai trouvé cela extrêmement dommage. J’ai moi-même décidé de faire cette recherche pour mon identité culturelle. En tombant sur cette information, j’ai découvert tellement de beauté.

— Laurie Rousseau-Nepton, astronome innue de Mashteuiatsh

Première femme autochtone du Québec à obtenir un doctorat en astrophysique, Laurie Rousseau-Nepton a immédiatement constaté l’ampleur de la tâche à laquelle elle s’est attaquée. « Il n’existe pas de livres sur l’astronomie indigène, donc si vous voulez trouver des pépites, vous devez lire beaucoup et établir des liens », dit-elle.

Transmis par tradition orale, le savoir innu est généralement « poétique et coloré ». La chercheuse se prête donc à une véritable « redécouverte des savoirs », un grand défi d’association qui mêle ses référents scientifiques et ce qui reste des récits de sa Nation.

Laurie Rousseau-Nepton est titulaire d’un doctorat en astrophysique de l’Université Laval. (Archives)

« Dans les contes, on parlera de l’esprit du pêcheur ou de l’esprit du carcajou qui sont des représentations célestes. Si l’on sait reconnaître les constellations et connaître leur position dans le ciel, on sait si un mouvement céleste est décrit dans l’histoire, s’il existe un lien entre l’apparition de la constellation et certaines saisons par exemple. C’est très subtil», explique l’astronome.

Histoire des Innus

Les croyances innues s’inscrivent dans une réalité propre aux membres de la Nation. «C’étaient des nomades. Ils ont parcouru d’énormes distances sur le territoire», relate Mme Rousseau-Nepton. « Étant donné que les longues traversées étaient faites pour se rendre dans les zones de chasse en hiver, les journées étaient très courtes et les nuits très longues. Le ciel les a accompagnés pour trouver leur chemin.

En raison de la taille du territoire innu, certains aspects du savoir s’inspirent également des Nations voisines. « L’histoire des Innus peut être légèrement différente au nord, à l’est et à l’ouest », précise la chercheuse qui a également dû se familiariser avec les récits d’autres communautés pour déterminer « quelles pièces provenaient d’une influence extérieure.

Elle souligne néanmoins que certaines histoires, de par leur caractère « fondamental », sont partagées entre différentes Nations. « On les retrouvera chez les Anishinabe, chez les Mohawks et les Cris aussi », énumère-t-elle.

De ces échanges émergent des histoires et des noms qui diffèrent de ceux communément reconnus par les allochtones. « Ils sont connectés à notre territoire. C’est là que nous vivons, nos étoiles, notre ciel », explique Laurie Rousseau-Nepton.

« C’est la beauté de la tradition orale. C’est une histoire qui nous permet d’apprendre à vivre sur le territoire, mais aussi qui nous rappelle ce qu’ont vécu les générations du passé et les changements survenus depuis. Je trouve ça vraiment magnifique”, poursuit-elle.

« Un pont entre deux mondes »

Pour le scientifique, la communauté astronomique a tout intérêt à intégrer et à prendre en compte les savoirs autochtones. Construits au fil des millénaires, les savoirs autochtones sur le sujet « ouvrent la porte à la confirmation de certaines théories modernes puis à la vérification de certaines données modernes comme le mouvement des étoiles », estime-t-elle.

L’occupation du territoire par les Premières Nations en fait des atouts majeurs dans l’étude de différents phénomènes. « Aujourd’hui, avec le changement climatique, notre atmosphère se transforme, se densifie et se réchauffe. Cela modifie les propriétés optiques de l’atmosphère terrestre et donc aussi les observations faites à l’œil nu », prend en exemple Mme Rousseau-Nepton. «Nous avons, sur notre territoire, des dizaines de communautés qui ont des milliers d’années d’expérience sur le sujet et qui continuent de regarder le ciel», ajoute-t-elle.

Même si l’intégration des savoirs autochtones dans la science n’a historiquement pas fait l’unanimité, comme le souligne le chercheur, les planètes semblent désormais s’aligner. «Je pense que ça change. En tant qu’astronome issue d’une Première Nation, je me retrouve à construire un pont entre les deux mondes », dit-elle.

La conférence Le ciel chez les Premières Nations, organisée par la Fédération des astronomes amateurs du Québec, aura lieu le 25 octobre prochain à l’Auditorium Jean-Pierre-Tremblay du Campus Notre-Dame de Foy à Saint-Augustin-de-Desmaures.

« Si à la fin de la conférence, les gens regardent la Grande Ourse et pensent plutôt au Pékan, j’aurai atteint une partie de mon objectif », dit-elle, comme pour se lancer un défi.

 
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