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DÉCRYPTION. Pourquoi la vente du Doliprane devient une affaire d’État

l’essentiel
Le géant pharmaceutique Sanofi a annoncé le 11 octobre qu’il négociait avec le fonds d’investissement américain CD&R afin de potentiellement lui céder 50 % d’Opella, sa filiale qui abrite une centaine de marques de médicaments, dont l’emblématique Doliprane. Suscitant un tollé, ce transfert est devenu une affaire très politique avec de forts enjeux de souveraineté industrielle et sanitaire.

Sur le papier, tout semble simple et basique. Un grand groupe privé français souhaite se séparer d’une de ses filiales, qui développe des produits non stratégiques, afin d’investir dans de nouveaux marchés très prometteurs dans le cadre d’une nouvelle stratégie, qui devrait également permettre de mieux rémunérer ses actionnaires qui se sentent mal traité. L’entreprise a même trouvé, après un long processus, un candidat étranger pour racheter sa filiale. Ce scénario semble avoir une logique capitaliste imparable pour se terminer par une fin heureuse…

Le symbole Doliprane mal valorisé par le gouvernement

Mais quand le groupe en question est le laboratoire pharmaceutique français Sanofi, qui a reçu plus d’un milliard d’euros d’argent public dans le cadre du crédit d’impôt recherche, que parmi les produits de la filiale, en l’occurrence Opella, figure le Doliprane, le médicament emblématique préféré par les Français, que le candidat au rachat est un fonds d’investissement américain, CD&R, spécialisé dans les opérations de LBO (acquisition par effet de levier, rachat d’entreprise par endettement), que des centaines d’emplois sont en jeu dans deux sites de production de Doliprane – à Compiègne et Lisieux – et que cette vente contrecarre l’ambition d’Emmanuel Macron de délocaliser la production de paracétamol en , le tout à l’heure où les questions de souveraineté industrielle et sanitaire sont une préoccupation majeure du pays, on sent clairement que le scénario idéal a tous les ingrédients pour devenir une question d’État.

Opella est une filiale de Sanofi.
DDM – Philippe Rioux

N’ayant pas pris la mesure de toute la portée symbolique de ce dossier, le gouvernement se retrouve aujourd’hui obligé de jouer le rôle de pompier pour éviter d’être accusé de brader les intérêts du pays.

Mais l’affaire n’a pas commencé le 11 octobre, lorsque Sanofi a annoncé qu’il négociait avec CD&R afin de potentiellement lui céder 50 % d’Opella, qui abrite, outre Doliprane, une centaine de marques de produits sans ordonnance. dans le . Le laboratoire a annoncé en octobre 2023 son intention de se séparer d’Opella, acquis il y a vingt ans lors de l’absorption d’Aventis. « Nous avons dit à Sanofi que nous ne voulions pas qu’ils vendent Opella. Sanofi a néanmoins maintenu sa décision de vendre”, commentait une Source à Bercy citée dans Le Monde fin juillet. “Notre projet n’est en aucun cas synonyme de fin du Doliprane en France”, a rassuré François-Xavier Roger, directeur financier de Sanofi, lors de la présentation des résultats semestriels du groupe le 25 juillet.

Tollé de gauche à droite

Mais lorsque Sanofi a confirmé vendredi 11 octobre que le processus de vente d’Opella avait commencé avec CD&R, la nouvelle a déclenché un tollé général et l’affaire est rapidement devenue politique. De gauche à droite, des voix s’élèvent pour demander au gouvernement de bloquer la vente, ce qu’il peut faire en activant les « décrets de Montebourg » qui permettent de bloquer les investissements étrangers en France dans une entreprise stratégique. « Le président assure queEmilie à Paris (la série Netflix, ndlr) reste en France. Je préférerais qu’il veille à ce que Doliprane reste en France», tacle le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure.

62 députés des groupes Ensemble pour la République (EPR), MoDem, Horizons, et Droite républicaine (ex-LR) cosignent une lettre adressée à Bercy dans laquelle ils dénoncent « la passivité de l’État » et rappellent qu’ils « mobilisés dès le printemps contre la vente de Biogaran », filiale des laboratoires Servier.

Les ministres ne parviennent pas à convaincre

Face à ce tollé, le ministre de l’Industrie Marc Ferracci a promis dimanche 13 octobre d’arracher aux Américains des « engagements solides et écrits ». Alors qu’une note de Bercy plaide pour que l’opération se déroule sous des conditions strictes, il s’est rendu lundi avec son collègue de l’Economie Antoine Armand à l’usine de Lisieux pour tenter de rassurer les 250 salariés. En vain.

Le ministre français de l’Économie, des Finances et de l’Industrie Antoine Armand (au centre), aux côtés du ministre délégué à l’Industrie Marc Ferracci (à gauche) et du maire de Lisieux, Sébastien Leclerc.
AFP – LOU BENOIST

La perspective de l’arrivée d’un acteur financier étranger au capital d’Opella inquiète jusqu’au sommet de l’Etat, mais le gouvernement, qui affiche toujours sa volonté de réindustrialisation, ne veut pas effrayer les investisseurs étrangers et reste donc favorable. à la vente, même si Sanofi a indiqué qu’il n’entendait pas conserver sa participation dans Opella « pendant dix ans… ». Le ministre de l’Industrie Marc Ferracci privilégie également « la protection de la santé des Français », « pour garantir la souveraineté sanitaire » et « conserver les emplois » plutôt que de privilégier un rachat par un acteur français comme PAI, candidat malheureux.

“La France commettrait une grave erreur” estime Montebourg

Les critiques continuent et s’amplifient. L’ancien ministre Arnaud Montebourg sort de sa retraite. “Déjà dépendante des médicaments étrangers, la France commettrait une grave erreur en renonçant au Doliprane”, estime-t-il. Le gouvernement multiplie les déclarations et les gages de bonne volonté, demande une « évaluation exhaustive » des aides publiques que Sanofi – qui n’a pas réussi à développer un vaccin anti-Covid – a reçu au cours des dix dernières années et confirme la « présence possible de ‘État au conseil d’administration’ d’Opella. Rien n’y fait.

Le président Emmanuel Macron (à droite) et le PDG de Sanofi, Paul Hudson, inaugurent la nouvelle usine Sanofi à Neuville-sur-Saône, près de Lyon, dans le centre de la France, le 10 septembre 2024.
AFP.

“Ce gouvernement s’engage à maintenir le Doliprane en France”, a assuré mercredi le ministre de l’Economie Antoine Armand, ajoutant que “le maintien de l’emploi est la priorité absolue et ne sera pas négociable”. Les syndicats n’y croient pas et craignent une « rupture sociale » des 1 700 emplois d’Opella sur le territoire français. “Nous sacrifions le Doliprane et la souveraineté sanitaire française sur l’autel de la finance”, déplore Humberto de Sousa, coordinateur CFDT du groupe, alors que grèves et débrayages s’installent sur les sites. Dernier rebondissement jeudi avec PAI qui améliore son offre, mais hors délai, et suscite l’étonnement de Sanofi.

En une semaine, avec l’affaire Doliprane, le gouvernement Barnier, déjà mobilisé sur l’épineux Budget 2025, se retrouve confronté à son premier dossier explosif…

 
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