L'été des renards – Libération
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L'été des renards – Libération

Au début, ils n’étaient que deux. Un frère et une sœur, reconnaissables de loin à leur façon d’uriner pour marquer leur territoire : la dame s’accroupit, le monsieur lève la patte. De près, le visage de la jeune femelle est asymétrique, avec un œil mi-clos, peut-être témoin d’une bagarre. Il est vrai qu’elle est bien plus audacieuse que lui, et n’hésite pas à venir nous renifler à quelques centimètres. Leur fourrure est brun foncé, presque noire, typique des renards polaires qui peuplent les zones côtières de l’Arctique. Ils nous rendent visite matin et soir avec une grande régularité, pour nous scruter de leurs yeux rouges et inspecter les alentours de notre campement, une cabane en bois perdue à l’embouchure d’un fjord de l’Est du Groenland. En ce mois de juillet, nous sommes là pour étudier les oiseaux marins qui nichent par millions sous les pierres des pentes abruptes (1), mais nos voisins à fourrure sont la grande attraction.

«2024 est une année de lemmings« explique Olivier Gilg, écologue affilié à l'Université de Franche-Comté, dans le petit avion qui nous transporte d'Islande au Groenland en début de saison. »vous pouvez vous attendre à voir pas mal de renards« Les populations de lemmings à collier, ces beaux rongeurs de 50 à 130 grammes et apparentés aux campagnols, fluctuent de manière cyclique en Arctique (2). Lorsqu’ils sont très abondants au printemps, les renards se régalent. Les quatre couples qui vivent sur la péninsule du Groenland où nous passons l’été ont visiblement profité de cette manne. Nous découvrons bientôt de nouvelles portées : les deux jeunes renards sombres qui nous rendaient initialement visite sont remplacés par une fratrie de six renardeaux. Ceux-ci sont déjà aussi grands que des adultes et se déplacent sur un territoire de plusieurs kilomètres carrés, qui comprend une colonie d’un million d’oiseaux marins. La bande de six est rapide, joueuse et d’une curiosité décomplexée. Leur pelage est presque blond, comme celui des renards polaires qui viennent de l’intérieur des terres et deviennent entièrement blancs en hiver. Je les vois jouer, se poursuivre sur la plage sous le soleil de minuit. Ils aiment aussi chasser les bernaches nonnettes et les lièvres arctiques (3), qui s'éloignent à contrecœur des pentes verdoyantes sur lesquelles ils paissent et s'engraissent en été.

Bientôt les jeunes renardeaux blonds sont omniprésents tout autour de notre cabane. Impossible de laisser traîner le moindre objet dehors ; il est aussitôt reniflé, mordu, marqué de quelques gouttes d’urine ou décoré d’une crotte. Les impertinents parviennent même à déposer un crottin à l’intérieur du pluviomètre de notre station météo, en se perchant sur son rebord métallique, fin comme le dos d’un couteau. Nos cartons de matériel agrémentent aussi ce terrain de jeu : les renardeaux adorent sauter et rebondir sur leurs couvercles métalliques. Parfois, un parent arrive avec un oiseau fraîchement capturé. Les jeunes accourt avec toute une gamme de sifflements (4) et se disputent la proie. Ils s’exercent aussi au transport et à la dissimulation des œufs volés dans les nids : les jeunes creusent le sol sablonneux près de la plage, déposent délicatement un œuf et le referment rapidement avec leur museau. Après avoir observé cette activité à bonne distance, nous ouvrons une cache pour constater que l’œuf, bien que transporté dans de petites dents acérées, est toujours intact. Nous bouchons soigneusement le garde-manger mais le renard revient aussitôt déterrer son trésor pour le cacher ailleurs.Je ne vais pas laisser ces bipèdes voler mon œuf !».

Au bout de quelques semaines, les jeunes renards nous suivent partout où nous allons et nous ne savons plus très bien qui apprivoise qui. Ils gambadent dans nos pas, nous frôlent « négligemment », puis s’arrêtent pour nous dévisager franchement. Leur temps de jeu semble interminable, le nôtre est contraint par le calendrier des oiseaux marins, qui élèvent leurs poussins en trois petites semaines avant de repartir en migration vers les confins de l’Atlantique. Nous quittons la presqu’île enchantée vers la mi-août, sous le regard des renards qui aboient un Au revoir. En l'absence d'oiseaux migrateurs, leur territoire sera bientôt silencieux, avec seulement des œufs et des poussins cachés un peu partout pour se nourrir. Je passerai l'hiver à les regarder gambader dans la lumière dorée de l'été arctique, me demandant combien survivront à la nuit polaire.

(1) Voir : https://www.liberation.fr/environnement/biodiversite/coup-de-chaud-des-mergules-au-groenland-20210907_DXSTC5TXZFGSDCJDDRIOQP5V64 /
(2) Gauthier, G., et autres. (2024). Au rythme de l'Arctique : les cycles de population des lemmings changent-ils en raison du climat hivernal ? Actes de la Royal Society B, 291 (2016), 20232361.
(4) Buhler, KJ, /www.liberation.fr/plus/la-ou-dansent-les-lievres-20210719_HUX7L4FTLVCUXEPQ3I5ZSCMDP4 /
[4)BuhlerKJ[4)BuhlerKJ[4)BuhlerKJ[4)BuhlerKJet autres. (2024). Que dit le renard ? Vocalisation du renard arctique et comportements associés dans la tanière. Recherche polaire 43, 9430.
 
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