Devons-nous élargir le programme d’assurance-emploi pour inclure les artistes professionnels comme travailleurs saisonniers? C’est en tout cas ce que propose la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Une demande formulée par le milieu artistique depuis longtemps.
La question de l’absence de filet social pour les artistes est abordée directement dans une étude rendue publique l’automne dernier par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM).
C’est en constatant une baisse de la proportion d’artistes au sein de la population active – établie à 0,9 % au Québec et 1,8 % à Montréal en 2021 – ainsi que le revenu annuel médian très faible des artistes montréalais – 17 400 $ en 2020 – que la CCMM est arrivé à cette conclusion.
Aujourd’hui, elle recommande de faciliter l’accès à l’assurance-emploi pour les artistes professionnels, afin qu’ils puissent être reconnus, sous certaines conditions, comme travailleurs saisonniers, au même titre que les pêcheurs. C’est la première fois que le monde des affaires se mobilise pour défendre le milieu artistique.
En entretien avec La pressele président de la CCMM, Michel Leblanc, ne tourne pas autour du pot : les artistes professionnels, dont plus des deux tiers sont des travailleurs autonomes, ont besoin d’un filet de sécurité sociale.
« Nous devons trouver un mécanisme pour offrir aux créateurs de culture un filet de sécurité sociale. On ne dit pas qu’il faut mettre en place un régime identique à celui qui existe en France, par exemple, avec les intermittents du spectacle, mais on peut s’en inspirer», indique M. Leblanc.
L’objectif est de préserver les talents culturels, pour que les travailleurs artistiques en CDD restent attachés à leur environnement.
Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain
Michel Leblanc convient que « la meilleure formule » reste à trouver, mais qu’il faut y réfléchir pour « combler les périodes de vulnérabilité économique » des artistes, qui contribuent de manière significative à l’économie canadienne.
« Est-ce une formule qui prend en compte les sommes perçues ? Un régime qui vous donnera droit à un certain montant d’aide pendant une certaine période ? Est-ce qu’on va plus loin en disant qu’au-delà des sommes perçues, il faut avoir travaillé un certain nombre de semaines, il faut explorer tout ça ? C’est pourquoi nous recommandons cette mesure de manière non spécifique. »
Donnez-vous le temps de créer
L’humoriste Anthony Kavanagh, qui a vécu 17 ans en France, raconte qu’il a eu droit à une indemnisation du régime des travailleurs du spectacle pendant les deux premières années suivant son arrivée à Paris. « Comme je travaillais beaucoup, je n’en profitais pas », explique-t-il. Mais comme il a rapidement créé sa propre société de production, il n’y avait plus droit, puisque le régime cible les travailleurs indépendants.
Il estime néanmoins que ce régime serait bénéfique pour les artistes québécois. « Tout le monde ne travaille pas pour un quotidien comme STATUT. Une mesure comme celle-ci donnerait aux artistes le temps de créer lorsqu’il y a une crise de quelques mois, au lieu d’avoir à cumuler plusieurs emplois pour manger. »
Dans une lettre ouverte publiée le 4 janvier dans DevoirSimon Brault, ancien directeur général du Conseil des arts du Canada et président de la Fédération internationale des conseils des arts et des agences culturelles, a proposé d’organiser un « sommet national » qui porterait sur « le financement public des arts et de la culture », mais également sur « les conditions de travail et le filet de protection sociale des artistes et travailleurs du secteur culturel ».
Le professeur André Courchesne, de la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux à HEC Montréal, estime qu’un régime intermittent aiderait la « classe moyenne » des artistes.
Dans l’industrie artistique canadienne, nous avons une structure pyramidale, ce qui signifie que ceux qui sont au sommet percevront la majorité des revenus. Cela laisse tout le monde au milieu et au bas de la pyramide avec des revenus très faibles. Lorsqu’on met en place une mesure sociale comme l’assurance-emploi, on aide la classe moyenne des artistes.
André Courchesne, professor at HEC Montréal
M. Courchesne fait un parallèle avec les pêcheurs, qui sont des travailleurs saisonniers, soutenus par l’État une partie de l’année.
« Nous avons accepté le principe selon lequel nous avons besoin d’une industrie de la pêche au Canada, nous sommes donc prêts à payer pour une mesure qui les compense. Ce serait le même raisonnement pour l’environnement culturel. Cette mesure d’atténuation permettrait de sécuriser l’environnement culturel, particulièrement fragile aux aléas économiques », note M. Courchesne.
« L’impact des crises économiques est beaucoup plus important chez les artistes que chez les autres travailleurs en raison de la précarité de leur emploi », nous dit André Courchesne, qui souligne que lors du recensement de 2021, Statistique Canada a déterminé que 68 % des artistes professionnels étaient des travailleurs autonomes. , contre 14% de la population.
Dans une étude sur la concentration des artistes au Canada après la pandémie, André Courchesne a comparé le nombre d’artistes après la crise financière de 2008 et celui qui a découlé de la COVID-19. Alors qu’en 2006, les artistes constituaient 0,82 % des travailleurs canadiens, leur part avait diminué à 0,73 % en 2021, « même si cette proportion augmente encore lors des périodes de reprise, globalement, elle diminue ».
« La crise financière qui a suivi la pandémie a également amené les artistes à changer de résidence dans les grandes villes canadiennes : jusqu’à présent, les artistes avaient tendance à résider à proximité de leur lieu de travail, dans les quartiers dits artistiques, comme le Plateau Mont-Royal et le Mile End. à Montréal; la crise de 2020 les a amenés à abandonner ces quartiers pour des quartiers moins aisés ou des banlieues. »
Le principal obstacle à la mise en place d’une telle mesure, selon André Courchesne, est le coût.
L’obstacle numéro un est financier. Ce régime serait déficitaire à sa sortie. En France, c’est l’argument avancé par les associations patronales. Ils disent : nous imposons ce régime à tous les travailleurs et entreprises français.
André Courchesne, professor at HEC Montréal
« Si le gouvernement y croit vraiment, qu’il paie, au lieu de faire payer les travailleurs. Pour que cela soit rentable, il faudrait augmenter les cotisations de façon drastique, ce qui est difficilement envisageable», poursuit M. Courchesne.
Selon Michel Leblanc, il y a aussi une question d’acceptabilité sociale dans l’application de cette mesure.
« Il y a peut-être une certaine résistance à reconnaître les artistes comme des professionnels et les arts comme un métier », admet-il. Je pense que ceux qui s’y opposent ont une vision limitée et rétrospective. On peut faire un lien avec le sport, où il existe des ligues amateurs et professionnelles. Avons-nous du mal à distinguer les artistes professionnels des artistes amateurs ? Il faudra sans doute clarifier ce point. »
Puisque le système d’assurance-emploi est géré par le gouvernement fédéral, une modification du système passerait nécessairement par Ottawa. Au cabinet du ministère de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles, on se dit « sensible » à cette question, mais que « dans le contexte actuel » (le Parlement a été prorogé jusqu’au 24 mars), le gouvernement ne souhaite pas commenter la question.
Avec les élections fédérales de ce printemps, il faudra donc reprendre des démarches auprès de tous les partis politiques.
Intermittents du spectacle
En France, le système du divertissement intermittent a été mis en place au milieu des années 1930 pour « préserver le savoir-faire des techniciens du cinéma », rappelle André Courchesne. Une main d’œuvre qualifiée qui était rare. « Les techniciens étaient considérés comme des travailleurs essentiels, explique-t-il, c’est donc pour assurer leur présence continue dans les studios de cinéma que ce régime a été instauré. » La mesure fut ensuite étendue à d’autres métiers du cinéma, puis du spectacle vivant dans les années 1960. En 2022, la France comptait plus de 300 000 intermittents dans le secteur du spectacle, selon France Travail. Il s’agit essentiellement d’une compensation visant à compenser le manque de revenus pendant les périodes d’inactivité. Pour bénéficier du régime, les artistes doivent accumuler 507 heures de travail au cours des 319 jours précédant leur demande d’inscription. Par la suite, ils reçoivent une rémunération mensuelle en fonction de leurs heures travaillées. Il y a évidemment un plafond. Et si les revenus sont trop élevés, ils n’y ont pas droit.
Grande manifestation le 22 janvier
La Grande Mobilisation des artistes québécois (GMAQ), qui réclame une augmentation du budget consacré à la culture, organise une troisième manifestation le 22 janvier à 15 heures, devant les bureaux montréalais du premier ministre François Legault, au 770 Sherbrooke. Rue Ouest. . Le collectif demande au gouvernement de porter les crédits permanents du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) à 200 millions dès le prochain exercice financier. Il souhaite que ce financement soit investi dans des programmes d’exploration et de création. Le collectif déplore que plus de 70 % des demandes de financement aient dû être refusées lors de l’exercice 2023-2024.