Le drapeau de la Côte d’Ivoire sera bientôt hissé sur la base militaire de Port-Bouët. Dans son discours de vœux du Nouvel An, le président Alassane Ouattara a annoncé la rétrocession du camp militaire français d’Abidjan d’ici la fin du mois. La base passera sous commandement ivoirien et sera rebaptisée « Général Ouattara Thomas d’Aquin », en hommage au premier chef d’état-major de l’armée du pays. En matière de défense, Abidjan et Paris entretiennent une relation historique, malgré une période particulièrement conflictuelle lors de la présidence de Laurent Gbagbo. Arthur Banga est chercheur spécialisé dans les questions de défense à l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan. Il répond aux questions de Sidy Yansané.
RFI : Le président Alassane Ouattara a donc annoncé la rétrocession du camp militaire français de Port-Bouët. Sur le plan purement pratique, qu’est-ce que cela signifie ?
Arthur Banga : Cela signifie tout d’abord qu’il y aura une réduction considérable du nombre de soldats français en Côte d’Ivoire. Ils passeront d’environ 400 à une centaine et à terme le camp sera commandé par l’armée ivoirienne. A partir de janvier, ce sera donc clairement un camp ivoirien.
Le chef de l’Etat ivoirien a néanmoins précisé que cette passation de pouvoir interviendrait dans les 30 prochains jours. Un délai donc très court. Pensez-vous que cela soit faisable ?
Oui, parce que c’était préparé à l’avance. L’annonce a été officialisée dans le discours du Chef de l’Etat à la Nation. Mais ce sont des questions qui font débat depuis près de deux ans. L’idée est donc d’abandonner le principe d’intervention pour se concentrer sur les questions de formation, de formation et d’équipement.
C’est aussi une page qui se tourne dans la relation franco-ivoirienne. Le camp de Port-Bouët a été utilisé par l’armée française pour l’opération Licorne, qui a eu un impact durable sur les Ivoiriens dans les années 2000. Quel bilan tirez-vous de cette relation militaire entre les deux pays ?
Le grand changement aujourd’hui est que, pour la première fois dans l’histoire militaire commune de ces deux pays, nous nous éloignons de la logique d’une intervention militaire étrangère. Les interventions françaises sur le territoire ivoirien, comme on l’a vu en 2002 et 2011, incarnent un modèle qu’il faut désormais oublier. Cela dit, le bilan de la coopération militaire franco-ivoirienne est largement positif.
Quels aspects considérez-vous comme positifs ?
Premièrement, cette coopération a permis à la Côte d’Ivoire de maintenir sa stabilité tout au long de la période de la Guerre froide, lorsque les menaces soviétiques balayaient certains régimes, voire certains pays. Il ne faut pas l’oublier. Elle a permis à la Côte d’Ivoire de mettre en place son armée et d’être efficace à un certain moment de son histoire. En matière de faiblesses dans la relation Abidjan-Paris, on notait en 2002 l’incapacité de l’armée ivoirienne à pouvoir réagir, ou encore le fait que l’armée française, par cette idée d’intervention, se retrouvait en première ligne. Nous l’avons vu en 2002, en 2004 à l’hôtel Ivoire et en 2011. Et justement, aujourd’hui nous essayons de nous débarrasser de ces faiblesses pour nous concentrer sur les points forts de la coopération militaire franco-ivoirienne qui est une relation humaine, une véritable camaraderie militaire. qui est née entre les militaires de ces deux pays. La montée en puissance des armements fait également partie de cette coopération.
Après le Sénégal et le Tchad, c’est la troisième annonce d’un départ des forces françaises sur le sol africain pour le seul mois de décembre. Cela s’inscrit dans la nouvelle philosophie militaire de Paris qui veut une présence moins visible, mais tout en poursuivant sa coopération militaire. Alors, comment pensez-vous que cela va se passer ?
Nous sommes dans cette nouvelle vision française, mais il ne faut pas oublier que cette vision a été majoritairement portée par l’opinion publique africaine, et même par des militaires africains qui souhaitent plus d’indépendance, plus de liberté de manœuvre. Désormais, nous faisons partie de cette nouvelle politique. Avec les cas ivoirien, sénégalais et tchadien, nous avons vu les différentes formes de coopération militaire de la France. Au Tchad, où l’armée française est la plus intervenue en Afrique, la non-intervention française face aux attentats terroristes qui ont récemment frappé le pays a rendu cette présence militaire inutile aux yeux des autorités car la logique d’intervention était au cœur de coopération militaire. Au Sénégal, c’est surtout la logique politique d’Ousmane Sonko et de Bassirou Diomaye Faye qui les amène à vouloir une présence militaire étrangère nulle. Il s’agit donc de quelque chose de beaucoup plus radical dans leur pensée, mais qui, à travers le processus démocratique qui a conduit à l’arrivée au pouvoir de Diomaye Faye, permet de construire une nouvelle relation de manière plus progressiste. En Côte d’Ivoire, nous avons une tradition d’ouverture avec la France. Sauf sous l’ère de l’ancien président Laurent Gbagbo, les autorités ivoiriennes ont toujours bien jugé la coopération militaire avec la France, y compris l’actuel président Alassane Ouattara. Car, malgré sa victoire politique et diplomatique lors de la crise post-électorale de 2010-2011, ce dernier a pu accéder au pouvoir grâce à une victoire militaire poussée par l’armée française.
Et face à cette nouvelle articulation de l’armée française sur le continent, quel rôle peut jouer l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme basée à Jacqueville, près d’Abidjan ?
C’est le modèle très recherché. Nous mettrons davantage l’accent sur la formation opérationnelle, mais aussi sur la formation intellectuelle et judiciaire. Ce modèle favorise également le multilatéralisme. La France ne veut plus s’enfermer dans le bilatéralisme lorsqu’il s’agit de coopération militaire, voire d’intervention militaire. C’est pourquoi vous voyez les exercices militaires américains Flintlock se dérouler au sein de l’Académie. Et tout cela sous commandement ivoirien, rappelons-le.