Marine Rouch, historienne des féminismes et du genre, retrace, à travers cinq femmes dans la construction, la relation de la philosophe avec ses lecteurs. Une véritable correspondance et un enrichissement mutuel. Pas une simple idolâtrie d’un côté et de pâles conventions pour remplir ses obligations de l’autre.
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« C’était l’année universitaire 2013-2014, je commençais un Master de recherche en histoire contemporaine à l’université de Toulouse, et j’avais choisi de travailler sur la réception du « Deuxième Sexe », lecture qui m’avait bouleversée. » Marine Rouch explique ainsi le début de sa démarche, dès les premières lignes de son travail. Mais son champ de recherche va s’étendre, jusqu’à inclure toute une correspondance (20 000 lettres) de femmes avec l’écrivain qui, de son vivant, était déjà une « star ».
Contrairement à Sartre, De Beauvoir n’a pas de secrétaire. Ce qui ne l’empêchera pas de répondre à tous ces lecteurs-correspondants. Certaines missives ont été perdues, d’autres n’ont pas encore été retrouvées, de 1950 à 1986, date du décès de l’intellectuel de gauche. Mais l’essentiel est là à travers ces cinq jeunes femmes choisies par Marine Rouch : « écrire à Simone De Beauvoir fait partie intégrante de leur formation intellectuelle et de leur véritable quête de soi ».
De la même manière que ces lecteurs se sentaient proches de Simone de Beauvoir, moi aussi, au fil des mois puis des années, j’ai développé un sentiment de familiarité, confinant parfois à l’identification, avec certains de ses correspondants les plus intimes. diligent. Moi aussi j’avais envie de leur écrire, de leur parler, de voir leurs visages
Et ça valait le coup. Dès le premier chapitre, les missives passionnées de Blossom Margaret Douthat montrent clairement que ces écrits sélectionnés ne sont pas de la camelote ou des effets de style mais bien des engagements. La jeune Américaine qui grandira à l’image de Beauvoir, dans sa vie de femme et de « penseuse de la révolution », a des choses à dire au philosophe. Et elle le fera toujours avec ses tripes et pas forcément avec tact.
Mireille Cardot était lycéenne en région parisienne lorsqu’elle commença à écrire à de Beauvoir. Sa franchise est presque aussi touchante que la gentillesse non feinte de l’intellectuel de gauche à son égard.
Récemment, j’ai lu le premier tome du Deuxième Sexe qui m’a fasciné. Bien sûr, il y a certaines pages de philosophie que je n’ai pas comprises (sic) parce que je n’ai pas encore fait de philosophie (j’ai seize ans et je suis en première année) et j’attends l’année prochaine. je l’attends avec impatience.
C’est très gentil ce que tu me dis et je trouve remarquable qu’à cet âge tu aies autant lu. J’espère que le baccalauréat se passe bien, et que l’année prochaine la philosophie vous intéressera : si vous avez un bon professeur, il faut être passionné. J’aimerais savoir ce que vous êtes devenu. J’ai beaucoup de sympathie pour toi.
Il ne faut cependant pas s’attendre à de grandes dissertations de la part de Beauvoir. La plupart de ses réponses ne contiennent que quelques lignes. Mais ce qui compte ici, ce sont les effets que ces échanges épistolaires auront sur les femmes qui lui écrivent. Ils donnent également leurs noms aux chapitres : « penser et vivre la révolution », « la formation intellectuelle d’une jeune fille », « traverser les tourments de l’adolescence », « la reprise d’un destin par la liberté » et « tu m’as fait comme je suis. »
“Cette amitié effilée que j’entretiens avec toi me semble plus vivante que toute autre”, » avoue la philosophe Claire Cayron, violée par son mari « érotomane ». Et ce dernier lui a aussi confié que “peut-être qu’il me drogue aussi sans que je m’en rende compte”. Une phrase qui résonne plus que jamais au vu du procès de l’année qui vient de s’achever.
Si seulement de la tristesse, un air lugubre sortait de vous, il y aurait longtemps que je n’aurais (sic) aucun plaisir à échanger des idées avec vous alors qu’en réalité quarante ans nous séparent.
Que ce soit le livre sur le divorce de Claire Cayron ou les articles du magazine « Les temps modernes » de Céline Bastide, Simone de Beauvoir pousse ses interlocuteurs à écrire. « Ecrire pour moi, c’est réussir à être moi » dit Céline Bastide qui dira aussi au philosophe : “Tu as fait de moi ce que je suis aujourd’hui.” Une phrase qui résume bien l’impact qu’elle a eu sur ses correspondants.
Marine Rouch termine ainsi sa préface : « L’intimité révélée dans ces lettres fait inévitablement écho à la mienne. Je me reconnais dans chacune de ses femmes. Nul doute que d’autres femmes s’y reconnaîtront aussi.