Le musée du Louvre dévoile les secrets du très énigmatique Pierrot de Watteau

Au musée du Louvre, deux figures humaines devenues iconiques se côtoient : le très vivant Mona Lisa de Léonard et, impénétrable dans son expression dans un costume théâtral de flanelle et de satin blanc, Pierrotce Gillespar Antoine Watteau (1684-1721). La remise en lumière de ce seul portrait en pied connu du peintre est cependant récente. Malgré la gloire que Watteau rencontra au cours de sa courte vie et la publication gravée d’une grande partie de son œuvre par un de ses amis, Jean de Jullienne, le tableau ne fut en effet jamais mentionné au XVIIIe siècle. Il fait en revanche une entrée fracassante au XIXème siècle, étant acquis, vers 1804 et pour lui-même, par le tout-puissant directeur du Musée Napoléon (Louvre) Dominique-Vivant Denon. Vendue avec la pléthore des collections de Denon en 1826, l’œuvre entre au musée du Louvre en 1869, incluse dans le fabuleux héritage du docteur Louis La Caze.

De nombreuses hypothèses d’identification

Si l’attribution à Watteau, peintre inventif de fêtes galantes et de scènes de théâtre, était évidente, l’identité du personnage restait source de spéculations. En 1924, le catalogue du musée le répertoriait ainsi : “Gilles, Pierrot character from the Comédie-Italienne”. Selon l’historien du théâtre François Moureau, Pierrot, descendant de l’Italien Pedrolino, pourrait néanmoins être assimilé à un type français des années 1710.

Antoine Watteau, Pierrot, vers 1717, sanguine, pierre noire et craie blanche, 24 × 16 cm, Haarlem, Teylers Museum © Teylers Museum

A cette époque, à Paris, les interactions et rivalités étaient intenses entre les acteurs et les répertoires de la Comédie-Française, de la Comédie-Italienne ainsi que ceux des salons de Saint-Laurent et de Saint-Germain-des-Prés. Depuis le XIXème siècle, plusieurs noms ont également été avancés pour briser l’anonymat de ce Pierrot hiératique. En 1938, Erwin Panofsky va jusqu’à y voir un autoportrait psychologique du peintre.

Antoine Watteau, Les comédiens italiens, 1720, huile sur toile, 64 × 76 cm, Washington, National Gallery of Art. CCO, avec l'aimable autorisation de la National Gallery of Art

Antoine Watteau, Les comédiens italiens, 1720, huile sur toile, 64 × 76 cm, Washington, National Gallery of Art. CCO, avec l’aimable autorisation de la National Gallery of Art

L’exposition Watteau de 1984 ouvre de nouvelles voies. Il a été établi qu’il s’agissait d’un Pierrot et non d’un Gilles, personnage de rôle acrobatique vêtu d’un costume évoquant celui du Fou. À la lumière d’un texte de 1743, on pensait également que Pierrot pouvait être identifié à un acteur nommé Belloni (vers 1680-1721). En écartant cette idée, Guillaume Faroult, commissaire de l’exposition, ouvre de nouvelles et séduisantes hypothèses.

Gilles et sa postérité
S’appuyant sur les enseignements d’une restauration réalisée au C2RMF, l’exposition permet de replacer la peinture unique de Watteau dans le contexte plus général de son œuvre et des artistes qui lui sont liés ainsi qu’à la lumière de l’actualité. littéraire et théâtrale de cette époque d’effervescence qu’est la Régence (1715-1723). Mais son héritage le plus éblouissant, également exploré ici, est venu du XIXe siècle, d’abord dans le monde des lettres, puis dans celui des arts, en proie à ce mystérieux « clown » blanc. L’exposition se présente également comme un écho à celle des « Figures du fou » visible aux mêmes dates dans la salle Napoléon du musée (lire double page suivante).

Une satire du monde théâtral

Watteau n’a jamais eu envie de fixer de manière réaliste les éphémérides du temps. Son célèbre tableau de Le signe de Gersaint (1720, Berlin) illustre moins une véritable galerie d’art qu’une allégorie de la peinture. Le statut de peinture sur chevalet de Pierrot permet également à Guillaume Faroult d’écarter la possibilité qu’elle puisse aussi servir un instant de panneau voire d’affiche. La Comédie-Française ayant obtenu, selon François Moureau, des condamnations répétées contre les forains entre 1703 et 1719 pour les contraindre à “jouer d’abord avec des monologues, puis en silence, enfin avec des signes”Guillaume Faroult suggère de voir dans le tableau, daté vers 1719, une allusion ironique à ce moment précis où Pierrot, érigé en « personnage vedette du théâtre populaire, devenu littéralement muet ».

Antoine Watteau, Contenu Pierrot, vers 1712- 1713 ?, huile sur toile, 35 × 31 cm, Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza © Museo Nacional / Thyssen-BornemiszaAntoine Watteau, Contenu Pierrot, vers 1712- 1713 ?, huile sur toile, 35 × 31 cm, Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza © Museo Nacional / Thyssen-Bornemisza

Antoine Watteau, Contenu Pierrot, vers 1712- 1713 ?, huile sur toile, 35 × 31 cm, Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza © Museo Nacional / Thyssen-Bornemisza

Avec une casquette qui pourrait suggérer l’auréole d’un Voici l’homme profane, Pierrot pourrait-il aussi évoquer plus généralement le vertige d’une humanité jetée dans un costume d’emprunt dans le tumulte de la vie ? Peu de temps après avoir peint ce tableau, Watteau, resté à Nogent-sur-Marne, meurt douloureusement. Satire incarnée par un acteur (sponsor ?) encore inconnu et, de surcroît, investi ou non d’allusions à la morale capables d’expliquer le silence autour du tableau, cette Pierrot conservera l’aura de mystère qui sied aux chefs-d’œuvre les plus captivants !

« Revoir Watteau. Un acteur sans réplique, Pierrot, dit Le Gilles »
Louvre Museum, Chapelle room, rue de Rivoli, 75001 Paris
Du 16 octobre au 3 février

Pierrot de Watteau – Une énigme captivante
 
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