Une vingtaine d’ingénieurs, mathématiciens et hydrométéorologues sont réunis dans un bureau d’Hydro-Québec au centre-ville de Montréal. Tout le monde regarde attentivement les cartes météo qui se succèdent sur un grand écran. Un spécialiste se concentre un instant sur les quantités de précipitations attendues dans les prochaines heures à proximité des réservoirs La Grande-3 et La Grande-4, dans le Nord-du-Québec.
Un peu plus tard, un météorologue présente les conditions météorologiques de la semaine prochaine pour chaque région de la province avant de donner la parole à un collègue qui détaille la demande d’électricité de la veille, celle venant du Québec, mais aussi celle de l’extérieur de la province.
Ce processus se répète chaque matin. «Cela nous permet d’avoir un portrait détaillé de la ressource, car l’eau est notre carburant», explique Pierre-Marc Rondeau, ingénieur des ressources en eau. Cependant, le volume de carburant fluctue considérablement au fil des saisons et des années.
Pour preuve, en raison des faibles précipitations des deux dernières années, les 28 réservoirs d’Hydro-Québec sont actuellement à leur plus bas niveau depuis 10 ans. Résultat : pour une période rare en 20 ans, Hydro-Québec débute l’hiver avec une quantité d’énergie stockée inférieure à 100 térawattheures.
Nous avons appris à travailler avec des variabilités annuelles et saisonnières très élevées. Nous pouvons avoir des automnes très humides ou très secs. Ce qui nous amène à devoir faire face à des changements rapides sur nos rivières.
Pierre-Marc Rondeau, ingénieur des ressources en eau à Hydro-Québec
Et c’est pour pouvoir évaluer et prédire avec précision les ressources qui seront disponibles dans ses réservoirs qu’Hydro-Québec a développé des modèles de calcul complexes capables de recréer le comportement naturel du cycle de l’eau.
« Lorsqu’il y a des précipitations, nous intégrons ces données dans des modèles mathématiques développés pour chaque bassin versant », explique Charles Mathieu, hydrométéorologue. « Des équations mathématiques permettent de reproduire la manière dont l’eau va s’écouler vers le réservoir en considérant l’infiltration dans le sol en fonction des températures et de la chaleur qui peut provoquer l’évaporation. »
Il en va de même pour la neige. « La neige est une forme de réservoir car, en fait, c’est de l’eau stockée sous une autre forme », indique l’hydrométéorologue Alexandre Vidal. Et l’apport de l’enneigement est appréciable ; il représente en fait près du tiers de ce qui alimente les réservoirs d’Hydro-Québec.
Des changements « plus extrêmes »
Jusqu’au début du 21e sièclee siècle, des équipes parcouraient le territoire pour prélever des échantillons. Depuis, Hydro-Québec utilise plutôt une technologie qui mesure « l’équivalent en eau » du manteau neigeux : les GMON. “Car ce qui nous intéresse, ce n’est pas tant l’épaisseur des couches de neige, mais la quantité d’eau sous forme de neige qui recouvre le sol”, explique M. Vidal.
Une centaine de GMON ont été placés à des endroits stratégiques sur le territoire, aussi bien au cœur de forêts denses de conifères qu’en pleine terre. «Cela nous permet d’évaluer, lorsqu’elle fond, la rapidité avec laquelle la neige se transforme en eau», explique-t-il. La neige qui recouvre un terrain découvert suite à une coupe forestière, par exemple, fondra plus rapidement.
Par la suite, Hydro-Québec recoupe les données que les GMON lui transmettent quatre fois par jour avec des informations relatives aux bassins ainsi que des informations météorologiques, géographiques et même géologiques.
La capacité d’Hydro-Québec à anticiper le volume des ressources disponibles est cruciale dans un contexte de changements climatiques.
Lors de la présentation des résultats d’Hydro-Québec l’été dernier, le vice-président exécutif Stratégie et finances Maxime Aucoin a soutenu que l’entreprise devra jongler avec une « plus grande volatilité » des précipitations au fil des années. C’est ce qui ressort des études réalisées avec le consortium québécois sur les changements climatiques Ouranos.
De même, la faible hydraulique enregistrée au cours des deux dernières années ne peut servir d’indicateur de tendance pour les années à venir, a soutenu M. Aucoin : « Quand on regarde les prévisions à long terme, on constate que le changement climatique est on ne s’attend pas à ce qu’il réduise les précipitations. En fait, il faudrait même les augmenter légèrement. »
« Ce que nos histoires nous ont appris, c’est qu’il y a des séquences de changements dans les régimes hydrologiques au fil des années », explique Charles Mathieu. Les années 1960 ont été marquées par des « périodes sèches » tandis que la décennie suivante a été caractérisée par des « périodes humides ». « Les séquences se sont étalées sur quelques années, maintenant les changements sont plus variables et plus extrêmes », précise-t-il.