Juste à côté des pistes de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, un bâtiment en tôle grise entouré de clôtures hérissées de caméras de surveillance attire peu l’attention des voyageurs de passage. Ils n’ont aucune idée qu’il s’agit, dans le jargon administratif, d’un « lieu de privation de liberté ».
Rafael Miró
Collaboration spéciale
Bienvenue à la ZAPI (zone d’attente des personnes en attente) de l’aéroport de Roissy. Dans ce centre, les personnes dont l’entrée sur le territoire français a été refusée sont incarcérées, en attendant d’être renvoyées chez elles. Avec 150 sièges, c’est le plus grand de France, mais il existe des ZAPI de tailles variables dans tous les aéroports du pays.
« Il ne faut pas dire que c’est une prison », explique le commandant Baptiste Potot, le policier qui a supervisé notre visite. « Les personnes détenues ne sont pas confinées dans leur cellule, elles sont toujours libres de se déplacer dans le centre, même la nuit, si elles souhaitent regarder la télévision. »
Jusqu’à 26 jours détention
La plupart des gens qui arrivent ici sont de simples touristes qui ont eu un problème de passeport ou de visa. Ils ne restent souvent que quelques heures avant d’être renvoyés vers leur pays de départ aux frais de leur compagnie aérienne.
Mais dans la ZAPI, on croise surtout des personnes qui tentent d’entrer sur le territoire français afin de demander l’asile. Ils sont détenus pendant 26 jours, le - d’être entendus par un tribunal voisin afin que les autorités jugent si leur demande est crédible.
«Nous trouvons que la démarche est trop précipitée», explique Charlène Cuartero Saez, coordinatrice de la seule association qui propose une aide juridique à la ZAPI. « A moins de payer un avocat, les détenus n’ont accès à aucun conseil juridique avant leur audience, sauf auprès de nos bénévoles. » En 2023, l’association a accompagné 444 personnes souhaitant demander l’asile, dont 357 ont été déboutées.
Lorsqu’ils ont épuisé leurs recours, les migrants doivent reprendre un avion pour rentrer dans leur pays d’origine, faute de quoi ils sont considérés comme ayant commis un délit et risquent de se retrouver dans une véritable prison. Les expulsions se passent parfois mal : le matin de la visite La presseune jeune femme tchadienne pleurait dans les escaliers en serrant ses deux bambins dans ses bras. “J’ai été menottée pour monter dans l’avion, devant mes enfants”, a-t-elle sangloté, expliquant qu’elle souhaitait rejoindre son mari en France. «Je ne veux pas y retourner. »
Il est certain qu’il existe des situations humaines difficiles. Mais la justice a examiné sa demande et celle-ci a été refusée. Nous appliquons la loi.
Baptiste Potot, commandant de police
“Conditions hôteliers » ?
Selon la loi, les personnes retenues sont censées bénéficier de « conditions hôtelières ». “Mais ce qu’on voit, c’est que ça ressemble bien plus à une prison qu’à un hôtel”, estime Charlène Cuartero Saez. Elle déplore que le droit des détenus à communiquer avec le monde extérieur soit limité par les mesures de sécurité imposées par la police. « Les smartphones et les ordinateurs sont confisqués à l’entrée, et les détenus n’ont accès à Internet que sur un seul ordinateur public. »
Les chambres sont au premier étage. Les personnes détenues y sont hébergées par groupes de deux ou trois, souvent des étrangers.
Il y aurait un sérieux problème de punaises de lit affectant presque toutes les chambres.
“Les bébés viennent chez nous couverts de plaques, même s’ils ne restent que quelques jours”, explique Mireille, infirmière au service médical, qui ne donnera pas son nom de famille car elle n’est pas autorisée à parler avec les médias.
Parce que oui, il y a des enfants ici. Ceux qui arrivent avec leur famille restent sous leur surveillance, tandis que les « mineurs non accompagnés » sont hébergés à l’écart des autres détenus, dans des conditions détendues. Lors de la visite de La Presse, deux enfants d’une douzaine d’années étaient seuls dans la ZAPI. « Bien sûr, c’est triste de les garder ici, mais cela nous laisse le - de les protéger des réseaux de passeurs », commente le commandant Potot.
Et à Canada ?
Après sa visite en France en octobre, François Legault a proposé de créer des zones d’attente dans les aéroports canadiens, entre autres pour mieux répartir les demandeurs d’asile entre les provinces. Le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, a immédiatement rejeté cette idée. Contrairement à la France, il est possible au Canada de demander l’asile directement à l’aéroport et d’être admis sur le territoire canadien, sans passer par la détention.
« En soi, ce n’est pas une mauvaise chose d’avoir des zones d’attente », estime la sénatrice socialiste de Seine-Saint-Denis Corinne Narassiguin. C’est elle qui a rendu possible la visite de La presse en acceptant de l’accompagner, la ZAPI étant dans sa circonscription. « Cela permet de gérer les personnes qui ne peuvent pas rentrer en France en respectant un cadre légal », estime-t-elle. « Il faut juste s’assurer que le cadre légal soit respecté. »