Éduquer à la sexualité, repenser les masculinités, améliorer le travail d’enquête… Comment empêcher les violeurs de commettre l’acte ?

Éduquer à la sexualité, repenser les masculinités, améliorer le travail d’enquête… Comment empêcher les violeurs de commettre l’acte ?
Éduquer à la sexualité, repenser les masculinités, améliorer le travail d’enquête… Comment empêcher les violeurs de commettre l’acte ?

“Autour de moi, j’entends beaucoup de femmes et d’hommes qui me disent : ‘Tu as beaucoup de courage’a assuré Gisèle Pelicot devant le tribunal correctionnel du Vaucluse fin octobre. Ce n’est pas du courage, c’est de la détermination, pour faire avancer cette société. Depuis plus de trois mois, le procès de 50 hommes accusés de viols et d’agressions sexuelles sur la septuagénaire de Mazan (Vaucluse) aura captivé la .

Droguée, puis violée par son mari et par des dizaines d’inconnus pendant son sommeil, Gisèle Pelicot n’a cessé de mettre en avant la réalité des violences sexuelles. « Le violeur n’est pas celui qu’on croise sur un parking, tard le soir. Il peut aussi être en famille, entre amis.”» a notamment clamé l’ex-femme de Dominique Pelicot. Neuf victimes de viol sur dix connaissent leur agresseur, et dans plus de quatre cas sur dix, il s’agit du conjoint ou de l’ex-conjoint, rappelle un rapport de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes. . Les médias ont largement couvert le procès pour viol de Mazan, du profil de l’accusé aux effets de la soumission chimique, mais une question reste en suspens : comment éviter les actes de violence ?

« Les hommes qui violent voient le viol comme un acte comportant peu de risques et une grande récompense. »écrit le sociologue australien Michael Flood dans son ouvrage Engager les hommes et les garçons dans la prévention de la violence. En 2022, 270 000 personnes en France se sont déclarées victimes de viol, de tentative de viol ou d’agression sexuelle, selon l’enquête Sécurité vécue et ressentie du ministère de l’Intérieur. Pourtant, seulement 6% des victimes de violences sexuelles portent plainte. Une approche souvent peu fructueuse, puisqu’en 2020, 94% des enquêtes pour viol conclues ont été classées sans suite, la majorité faute de preuves, note une note de l’Institut des politiques publiques. (PDF). En fin de compte, seulement “1% à 2%” les viols sont condamnés au tribunal, estime l’étude. « Les auteurs de viols savent aujourd’hui qu’ils ont peu de risques d’être condamnés »constate, auprès de franceinfo, la sénatrice écologiste Mélanie Vogel.

“Et [les auteurs de viol] avaient une bien plus grande probabilité d’être jugés, voire punis, cela les rendrait naturellement plus attentifs.

Mélanie Vogel, environmentalist senator

sur franceinfo

Il existe des moyens de garantir que les enquêtes aboutissent à davantage de condamnations. En 2021, une réflexion sur les affaires de violences sexuelles a conduit le parquet de Grenoble à dresser une liste d’actes obligatoires à accomplir, et à fournir des contours précis d’audition aux policiers sur le sujet.

« Si l’enquête est bien menée dès le début, nous avons plus de chances d’aboutir à des poursuites contre l’auteur. »

Eric Vaillant, procureur de la République

sur la chaîne YouTube du tribunal de Grenoble

Plusieurs associations féministes réclament également la création de tribunaux spécialisés en matière de violences sexuelles, qui existent en Espagne ou au Québec. Objectif : renforcer la communication entre tous les acteurs de la chaîne civile et pénale, et amener les magistrats à se spécialiser, pour que les affaires aboutissent plus souvent.

Comme d’autres, la sénatrice Mélanie Vogel souhaite également l’introduction du consentement dans la définition juridique du viol. Cette mesure, qui divise parmi les féministes mais à laquelle le ministre de la Justice démissionnaire, Didier Migaud, s’est dit favorable, obligerait l’accusé à prouver qu’il a recherché le consentement de son partenaire. Si tel n’était pas le cas, sa condamnation serait plus facile à obtenir qu’aujourd’hui, la loi actuelle exigeant la preuve d’une « violence, coercition, menace ou surprise » pour qualifier le viol.

Pour réduire la violence, il ne suffit pas d’effrayer les agresseurs potentiels. La prévention du viol se déroule bien avant qu’il ne se produise, soulignent les acteurs interrogés par franceinfo. Cela se produit d’abord à travers « Dépistage systématique des violences sexuelles chez les enfants » par le corps médical, affirme la psychiatre Muriel Salmona. Sur le modèle de ce que préconise la Haute autorité de santé pour détecter les violences conjugales, le psychiatre conseille aux praticiens de remettre systématiquement en question les violences sexuelles.

“Lorsque vous avez été victime de violences sexuelles et que vous êtes un garçon, vous êtes beaucoup plus susceptible de commettre vous-même des violences si vous n’êtes pas soutenu.”

Muriel Salmona, psychiatre

sur franceinfo

Plus d’un quart des accusés dans le procès pour viol de Mazan ont déclaré avoir été victimes d’abus sexuels dans leur enfance. Mais aujourd’hui, tous les médecins ne sont pas formés à détecter les violences, et ceux qui les dénoncent prennent parfois le risque de représailles. Il faut aussi pouvoir prendre en charge ces enfants, notamment en les retirant d’un foyer incestueux, rappelle Muriel Salmona. Un défi de taille, car la protection de l’enfance fait l’objet de multiples critiques et manque de moyens.

Les violences sexuelles sont genrées : en 2023, 85 % des victimes connues des forces de l’ordre étaient des femmes, et 96 % des accusés étaient des hommes, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Comment l’expliquer ? « La violence est utilisée comme un court-circuit contre l’insatisfaction, l’agacement… » que les hommes peuvent rencontrer, explique le sociologue Eric Macé, auteur de Post-patriarcat.

“Les masculinités continuent de se forger dans ce que j’appelle un ‘égocentrisme légitime’ des garçons, explains Eric Macé. Les garçons comprennent très vite qu’ils sont encouragés à avoir des projets, et que la transgression est valorisée si elle leur permet de réaliser ces projets. Leurs compétences sociales et leur estime de soi tournent autour de cet égocentrisme. En revanche, ils sont sous-équipés en termes de compétences relationnelles et de prise en compte des autres. À l’inverse, les filles sont encouragées à développer un « altruisme obligatoire ».

Ces stéréotypes sur la masculinité et la féminité se transmettent à travers l’éducation parentale, mais sont également diffusés à travers la publicité, les films, la pornographie, les médias, etc. Toutes ces représentations nourrissent ce que l’on appelle la « culture du viol », c’est-à-dire les mythes et idées préconçues. qu’une société affirme à propos de ce crime (comme « les hommes ont des pulsions sexuelles qui « n’ont pas de femmes », « les femmes qui dénoncent un viol mentent », « seules les femmes qui portent des jupes courtes sont violées », etc.). Cependant, de nombreuses études montrent que la croyance en ces stéréotypes de genre et mythes sur le viol n’est pas sans conséquences.

« L’adhésion des hommes à des attitudes sexistes et patriarcales (…) est un facteur prédictif important de leur recours à la violence contre les femmes. »

Michael Flood, sociologue

dans « Engager les hommes et les garçons dans la prévention de la violence »

Pour changer les choses, il faut donc œuvrer à déconstruire ces stéréotypes. « Il faut absolument encadrer l’accès des mineurs à la pornographie, qui érotise les violences faites aux femmes, mais aussi lutter contre les stéréotypes sexistes des publicités ou contre la prostitution qui marchandise le corps des femmes »suggests Françoise Brié, vice-president of the L’Escale Solidarité femmes association. « La question médiatique contribue à façonner nos représentations sociales, tous les canaux d’information doivent être scrutés »fait également valoir la psychocriminologue Salomé Sperber, qui estime que le “sensualisme” prend parfois le pas au détriment d’un « traitement de base » de la question des violences sexuelles.

« Nous manquons cruellement d’éducation sur les questions affectives et sexuelles, sur l’affectivité et l’intimité »plaide-t-elle aussi, comme tous les acteurs interrogés. Depuis 2001, l’obligation de dispenser une éducation sexuelle est inscrite dans la loi, qui prévoit « au moins trois sessions annuelles » dans les écoles, collèges et lycées. « L’idée est de déconstruire les stéréotypes de genre, de donner aux élèves des outils pour communiquer sur l’intimité et exprimer ses émotions »explique Ambre Lesage, conseillère conjugale et familiale au Planning Familial, qui travaille dans les écoles. Ce dernier regrette néanmoins que la loi ne soit pas davantage appliquée et que le manque de financement empêche la formation de davantage de travailleurs et l’offre de davantage de cours.

Ces dernières semaines, ces séances ont été une nouvelle fois pointées du doigt par la droite réactionnaire et l’extrême droite. Mais, en dehors de l’école, « il n’y a pas de véritable éducation à la sexualité et aux relations intimespoints out Eric Macé. Ne pas investir dans ce matériel pédagogique, c’est laisser libre cours au manque de voix des parents et à la surreprésentation de la pornographie. Les jeunes continueront donc à manquer de ressources en termes de consentement.»

La déconstruction des stéréotypes et l’acquisition de compétences sociales pour éviter la violence peuvent également être enseignées aux adultes. « Il faut intervenir auprès des auteurs de violences pour éviter que cela ne se reproduise »soutient ainsi Eric Macé. Depuis 1998, ces derniers peuvent être condamnés à un suivi socio-judiciaire, comme la participation à une psychothérapie et/ou à des groupes de soutien.

Mais ce soutien est encore trop peu développé en France, estiment de nombreux experts, qui citent en exemple la Belgique ou le Canada. « Nous manquons de professionnels formés pour accompagner les auteurs [de violences]ou qui souhaitent les prendre en charge »assure la psychologue Catherine Potard, du Centre de ressources des intervenantes auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs) en Centre-Val de Loire. « Il faudrait faire davantage, mais nous avons du mal à relayer les initiatives existantesdéplore aussi la psychocriminologue Salomé Sperber. C’est compliqué de mettre les choses en place pour les agresseurs quand les victimes ne sont déjà pas toujours très bien prises en charge. Nous craignons parfois que donner aux uns signifie priver les autres.

Face à l’ampleur de la tâche, y a-t-il de l’espoir ? « Les jeunes d’aujourd’hui connaissent la notion de consentementrejoices Ambre Lesage. Pour les générations précédentes, c’était un mot réservé aux milieux féministes. « J’ai cinquante ans de recul, et la façon dont mon discours sur le viol est reçu, c’est comme le jour et la nuit.confirme Emmanuelle Piet, fondatrice du Collectif féministe contre le viol. Il est normal que transformer des milliers d’années de machisme mondial en cinquante ans soit compliqué, mais nous faisons des progrès.»

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV le tireur présumé s’est rendu, voici ce que nous savons
NEXT le programme chargé du Pape en Corse