Sonia Gosselin en a vu d’autres. Chauffeuse de véhicules lourds pour la Ville de Montréal, elle peut facilement conduire des niveleuses, des chargeuses et des camions à ordures dans les rues de la métropole. Toute sa vie, elle a exercé des métiers non traditionnels. Elle affirme toutefois n’avoir jamais connu un climat de travail plus machiste et toxique que dans le bureau où elle a échoué au printemps 2023.
Ce bureau, il faut le dire, est tout sauf ordinaire : Sonia Gosselin est vice-présidente du Syndicat des cols bleus regroupés à Montréal. La célèbre section locale 301, célèbre pour sa culture syndicale disons musclée, ainsi que pour ses méthodes vaguement staliniennes visant à réprimer la dissidence : dénonciation, intimidation, micros plantés et traceurs GPS sous les voitures…
Une tutelle de trois ans, levée en décembre 2020, devait recadrer le 301 et mettre fin, une fois pour toutes, à ces méthodes d’une autre époque. Mais voilà, selon huit syndicalistes interrogés dans le cadre de cette enquête, le climat de travail est plus toxique que jamais au siège social de l’avenue Papineau.
Depuis l’élection à la présidence de Jean-Pierre Lauzon en mai 2023, l’ostracisation des camarades considérés comme dissidents fait son grand retour. Au point où les syndicalistes ayant vécu l’ère Jean Lapierre, grand homme du Syndicat des cols bleus de Montréal de 1985 à 2003, ont l’impression d’avoir remonté le temps…
Jean-Pierre Lauzon a refusé de commenter. Un conseiller principal du SCFP 301, Alexis Lamy Labrecque, a déclaré La presse que le président a nié les allégations d’un climat toxique parmi les cols bleus.
Au cours des derniers mois, deux syndicalistes ont été en congé de maladie en raison du climat malsain qui règne dans les bureaux de l’avenue Papineau. C’est le cas de Sonia Gosselin, décédée en juillet 2024.
Elle a décidé de mettre sa carrière syndicale en jeu pour dénoncer des pratiques qui, selon elle, n’ont plus leur place : « Je me suis engagée dans le syndicat pour lutter contre les injustices, et je vis ce qui ne serait jamais toléré dans la société. de notre employeur… »
“Ça ne marchait plus”
Sonia Gosselin s’est portée candidate à la vice-présidence du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal à la demande de Jean-Pierre Lauzon. Ils ont fait campagne ensemble, au sein d’une équipe qui promettait d’être plus combative. « J’ai cru en lui, reconnaît le syndicaliste. Naïvement, je pensais pouvoir apporter quelque chose. »
Peu après leur élection, Jean-Pierre Lauzon a toutefois demandé à Sonia Gosselin de ne pas interagir avec certains députés. Au fil des mois, le contrôle se resserre. Les critiques se sont multipliées.
Chaque fois que Sonia Gosselin s’intéressait à un dossier, disait-elle, Jean-Pierre Lauzon lui faisait la leçon : « Ce n’est pas ton mandat, ça ne te regarde pas, tu n’as rien à faire là-dedans, tu mets ton nez partout… »
Très vite, Sonia Gosselin s’est retrouvée isolée. Nous avons limité l’accès à sa carte magnétique. Sa tâche devait se limiter à rester dans son bureau et à attendre que quelqu’un daigne la consulter. Nous ne répondions plus à ses SMS. A la moindre initiative, nous faisions tout pour que cela échoue. «J’ai perdu des cheveux, je me suis cassé des dents à force de serrer la mâchoire», dit-elle. J’étais triste quand je suis revenu au bureau et j’avais mal au ventre. Cela ne fonctionnait plus. »
En août, Sonia Gosselin a déposé une plainte officielle auprès du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), auquel est affilié le 301. En 27 pages, elle expose « les actes de harcèlement, de discrimination, d’intimidation, de menaces, d’exclusion systématique, d’isolement et d’agression physique » qu’elle dit avoir subis de la part de Jean-Pierre Lauzon. . Ces derniers doivent répondre à ces allégations lors d’un « procès syndical » qui se tiendra à partir du 27 novembre.
Le président des cols bleus comparaîtra ainsi devant un conseil de discipline, explique Marie-Hélène Bélanger, directrice du SCFP Québec. Si le conseil juge la plainte fondée, il peut imposer des sanctions allant du blâme à l’exclusion. D’après M.moi Bélanger, Jean-Pierre Lauzon « collabore entièrement à la démarche ».
Une autre Source au SCFP, qui a requis l’anonymat pour ne pas nuire à ce processus, laisse entendre que la plainte de Sonia Gosselin serait motivée par une « guerre politique » menée par un clan opposé à celui du président, en prévision des élections syndicales qui auront lieu. en 2026. Le climat au 301 serait bien moins toxique qu’au moment de la supervision. « Ce n’est pas du tout ce que nous avons vécu en 2017 », assure cette Source.
Selon ce scénario, l’objectif du camp de Sonia Gosselin serait d’avoir la tête de Jean-Pierre Lauzon – ce que nient avec véhémence le vice-président et les autres syndicalistes interrogés dans le cadre de cette enquête.
« Personne ne devrait être traité de cette façon »
Ces syndicalistes, cinq hommes et trois femmes, m’ont tous dit qu’ils étaient affectés par le climat toxique qui empoisonne l’air du 301. Hormis Sonia Gosselin, ils ont requis l’anonymat par crainte de représailles. « Crever les pneus d’un membre de l’exécutif, c’est déjà vu. Vandaliser la maison d’un député, ça s’est déjà vu », se souvient l’un d’eux, que l’on appellera Laurent*.
Ils disent tous avoir vu Sonia Gosselin être mise à l’écart. « Elle était dénigrée, diminuée, isolée. Personne ne devrait être traité de cette façon », déclare Martin*.
« Jean-Pierre l’a prise sous son aile et l’a convaincue de se présenter. Dès qu’il s’est rendu compte qu’elle travaillait dur, il a commencé à lui mettre des obstacles, raconte Steeve*. Il a appris de Jean Lapierre. Il applique les mêmes méthodes. »
Et pour cause, selon Jacques* : dans les années 1990, « Jean-Pierre Lauzon allait faire les petits boulots de Jean Lapierre. Il a toujours été très proche du président. »
Lorsqu’on lui rapporta ces propos, Jean Lapierre éclata de rire : « Celui-là est bon ! Personne n’a fait de travail pour moi, surtout pas [Jean-Pierre Lauzon]. C’est incroyable de dire quelque chose comme ça, c’est vraiment diffamatoire… »
Jean Lapierre admet que Jean-Pierre Lauzon faisait partie de son « équipe Unity », mais rappelle que, depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. « Jean-Pierre a tellement peur d’être associé à moi qu’il reste très loin de moi ! »
Il n’en demeure pas moins que Jean Lapierre a exercé une forte influence sur le 301 bien après son départ officiel en 2003. Son style combatif – personne n’a oublié les portes de l’hôtel de ville de Montréal défoncées à coups de béliers lors des négociations de 1993 – lui a valu l’admiration de nombreux bleus. -les cols. Un buste à son effigie, le poing en l’air, a décoré la cour avant de l’immeuble de l’avenue Papineau pendant près de 20 ans, jusqu’à son retrait en 2022.
La statue a été démolie, mais pour Florence*, l’influence du mentor n’a jamais été aussi forte. « La façon de faire de Jean-Pierre Lauzon, mon Dieu, ça ressemble au modèle de Jean Lapierre ! Isolez le monde pour mieux gouverner. Faites des promesses. Il prépare déjà son élection pour 2026. Il place ses pions… »
*prénoms d’emprunt