Un coup de tonnerre roumain qui sonne déjà comme une victoire jubilatoire du Kremlin. Grand admirateur de Vladimir Poutine, le candidat d’extrême droite Calin Georgescu a défié tous les sondages ce dimanche 24 novembre 2024. Ce théoricien du complot de 62 ans, ingénieur en pédologie – la science des sols – avait les pieds sur terre, avec 8 % d’intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle. Il caracole finalement en tête, avec 22,94%. Derrière lui : l’autre surprise, venue du centre droit, avec la journaliste Elena Lasconi (19,18%), portée par les voix d’une très large diaspora. La Roumanie compte près de 5 millions d’expatriés pour 19 millions d’habitants.
La fin d’une époque
La gifle est cinglante pour le Premier ministre social-démocrate pro-européen, Marcel Ciolacu. Attendu loin devant, il est éliminé, en troisième position (19,15%), selon l’Autorité électorale permanente. Il a démissionné lundi. La chute de la gauche est vertigineuse : neuf points de moins qu’en 2020. Mais c’est pire pour le Parti national-libéral du président sortant Klaus Iohannis : il recule de seize points (8,79%).
A lire aussi. PORTRAIT. Qui est Călin Georgescu, candidat pro-russe, en tête de l’élection présidentielle en Roumanie ?
Depuis la chute du régime communiste de Nicolae Ceaucescu en 1989, la gauche et les libéraux n’ont jamais été évincés au premier tour. Cela illustre la désillusion de la population.
En l’absence de politiciens qui se comportent en leaders [fédérateurs]les gens cherchent des sauveurs »,
commente le sociologue Gelu Duminica dans le quotidien roumain La vérité.
Un sauveur TikToker ?
Peu connu, Calin Georgescu semble s’être imposé grâce… au réseau social TikTok. Ses vidéos sont là aimé
3,2 millions de fois ces derniers jours. Il clame notamment sa ferveur pour la religion orthodoxe, un argument de poids dans ce pays. 81 % des Roumains se déclarent chrétiens orthodoxes : la deuxième communauté après celle de Moscou.
Georgescu a également pulvérisé Internet avec un programme anti-système prétendument réveiller un peuple fatigué d’être humilié
. Ses promesses d’amélioration économique ont fait mouche dans une Roumanie aux prises avec une inflation (+10% en 2023) et où un habitant sur quatre vit sous le seuil de pauvreté de 155 euros par mois, selon l’agence Eurostat.
Pourtant, les réformes promises par le président Iohannis, au pouvoir – très limité – depuis 2014, sont restées lettres mortes… Son dernier fait d’armes : sa tentative avortée, en mars, de prendre la tête de l’Otan au motif que la Roumanie devait avaliser une plus grande responsabilité au sein des structures euro-atlantiques.
A lire aussi. La Roumanie confirme qu’elle forme des pilotes ukrainiens sur F-16
Avec 610 km de frontière commune avec l’Ukraine, la Roumanie est un pilier de la défense européenne. Membre de l’Otan depuis 2004 et de l’Union européenne depuis 2007, le pays abrite au moins quatre bases de l’Alliance atlantique : près d’un millier de militaires français y sont positionnés. C’est d’ailleurs sur l’un d’eux, à Deveselu, qu’est installé un bouclier anti-missile américain. UN ” honte “ pour Calin Georgescu qui, dès 2021, dénonçait un politique de confrontation
. La formation de pilotes ukrainiens sur des chasseurs américains F-16 depuis septembre ajoute à sa colère.
Il dit qu’il croit en Sagesse russe
. Sans expliquer. Mais l’agence de presse Ria Novostià la demande du Kremlin, n’a aucun doute : Georgescu est partisan de l’union avec la Russie
.
Rien de joué pour le second tour
Reste à savoir si le second tour de l’élection présidentielle, le 8 décembre, renforcera le chouchou du Kremlin. Calin Georgescu devrait pouvoir compter sur le soutien de son ancien parti d’extrême droite, l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR, 13,86%), dirigé par George Simion.
La sulfureuse députée européenne Diana Iovanovici-Sosoaca de SOS Roumanie a rejoint Georgescu lundi 25 novembre. Le fondamentaliste orthodoxe s’était vu interdire de se présenter à la présidence par la Cour suprême, après des déclarations antisémites. Elle appelle les Roumains à s’unir derrière les partis pro-russes à partir du 1er décembre. Car entre les deux tours de l’élection présidentielle auront lieu les élections législatives.
Plus encore que le reste de l’Europe, la Moldavie et la Géorgie auront les yeux rivés sur Bucarest. Ces deux pays, qui aspirent à rejoindre l’UE, ont vu ces derniers mois les partisans de la Russie chahuter leurs propres urnes. En Géorgie, après des élections législatives controversées fin octobre, l’opposition reste mobilisée dans la rue pour dénoncer une victoire frauduleuse du parti au pouvoir, accusé de faire le jeu de Moscou.