« Pélicot était le patron ! »

« Pélicot était le patron ! »
« Pélicot était le patron ! »

Où sont-ils, ces « M. Tout le monde » ? se demande-t-on en entrant dans la salle Voltaire de la cour d’Avignon. Il ne reste plus de place, ce 15 novembre, sur les bancs où se mélangent accusés, avocats et journalistes. On tente de deviner qui sont les personnes poursuivies pour avoir violé Gisèle Pelicot alors qu’elle était fortement sous sédatifs. Trente-deux prévenus comparaissent libres, sous contrôle judiciaire, dans l’attente du verdict attendu dans la semaine du 16 décembre.

Celui-ci, au troisième rang, visage émacié, air anxieux, en jean et baskets, en fait-il partie ? Celui-ci, la carrure d’un déménageur affalé qui n’arrête pas de mâcher du chewing-gum ? Et le petit aux cheveux gris, le sourire figé aux lèvres ? Certains se connaissent et on observe leur complicité, leurs sourires et clins d’œil échangés, leurs manières blasées après onze semaines de procès.

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Dix-huit, incarcérés, sont extraits de leur cellule lorsqu’ils doivent être interrogés ou lorsqu’ils demandent à assister aux débats. Encadrés par des policiers, ils prennent place dans un box qui leur est destiné et n’hésitent pas à discuter entre eux pendant les pauses, et même à plaisanter. Pompier, camionneur, ouvrier, informaticien, militaire, chômeur, plombier, retraité, électricien, gardien de prison, infirmier, restaurateur…

Ils ont en moyenne 47 ans, pour la plupart des pères de famille. “La case accusée, c’est vrai, est une sorte de kaléidoscope de la société française, déclare Antoine Camus, avocat de Gisèle Pelicot et de ses enfants. Mais nous ne croyons pas, sur les bancs des parties civiles, que M. Everyman existe, tout comme nous ne croyons pas non plus aux monstres. »

Bien qu’ils soient d’âges, d’origines et de milieux sociaux différents, ces hommes partagent un libre arbitre, un processus de décision qui les a placés en marge de la société. Ils ont tous choisi de commettre ces crimes dans la chambre de Gisèle Pelicot, ils ont tous fait de son corps un objet qu’ils n’avaient aucun scrupule à dégrader, ils partageaient tous la même misogynie.

Aucun d’eux n’a renoncé à violer cette femme en la découvrant nue et inconsciente. Aucune d’entre elles n’a non plus signalé à la police les propositions criminelles de son mari. Par leur incapacité à juger moralement leurs actes, par leur manque d’empathie, les accusés de Mazan ne sont pas comme « tout le monde ». Ils « avons fait le choix de renoncer à la pensée, qui est justement ce qui nous distingue des animaux, pour faire prévaloir leurs pulsions », acquiesce Me Camus dans sa plaidoirie.

La majorité des accusés refusent de reconnaître leur culpabilité

Près de la moitié de ces hommes ont déjà été condamnés, une dizaine se disent victimes de violences dans l’enfance, trois souffrent de troubles psychiatriques graves. La grande majorité d’entre eux refusent de reconnaître leur culpabilité, assurant qu’ils n’avaient pas l’intention de violer, qu’ils ont été trompés par Dominique Pelicot. Une victimisation constatée par Me Babonneau : “Les accusés ont choisi un mode de défense qui est en grande partie celui de la lâcheté.” Il souligne “l’indigence de leur remise en question”, s’indignant que ceux-là se permettent de penser que “bien qu’ayant été pénétrée sans son consentement par eux, Gisèle Pelicot n’a pas été victime de viol de leur part.”

Comme Charly A., le benjamin, qui ce 15 novembre cherche à s’excuser. Il s’est rendu six fois au domicile Pelicot, à partir de 2016. Il n’avait alors que 22 ans, avec un passé familial douloureux et une addiction aux films pornographiques. Ses explications, laborieuses, ne le sont pas. Emprisonné depuis 2020, il tente toujours de blanchir son honneur. “M. Pélicot m’a dit qu’elle consentait, qu’elle faisait semblant de dormir. […] Il m’a demandé de la pénétrer. […] Ensuite, il m’a dit que sa femme était heureuse. […] Plus tard, il m’a dit qu’il lui donnait des somnifères. »

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Il reconnaît les pénétrations, mais assure qu’il n’avait pas l’intention de violer, même après que les images insupportables de ses viols aient été diffusées sur les écrans du tribunal. Comme Charly A., plus tard dans la journée, Nizar H., un quadragénaire au lourd casier judiciaire, et Christophe L., le pompier aux images pédopornographiques, contestent les viols.

Le premier dit : «Je pensais que sa femme faisait semblant. Je ne l’ai pas entendue ronfler. Je pense que j’étais drogué aussi. » La seconde : « C’est bien moi dans les vidéos, mais je ne l’explique pas. Je ne me souviens de rien. Mes capacités cognitives n’étaient plus là. » Beaucoup de gens considèrent que le consentement du mari les autorise à se passer de celui de la femme.

Selon Romain V., Dominique Pelicot, soixante ans “fait ce qu’il veut, c’est sa femme.” « Tant que le mari était présent, il n’y avait pas de viol » raconte Adrien L., un trentenaire déjà condamné pour viol. “Je n’ai pas eu de réponse de sa part puisqu’elle dormait, mais son mari m’a dit qu’elle était d’accord”, » précise Nicolas F., correspondant de presse.

Ces hommes plaident « droit de commettre l’erreur de violer sans intention », soutiennent que le viol peut être accidentel et involontaire. Ils sont trente-trois à demander au tribunal de prendre en compte l’altération de leur discernement, affirmant qu’eux aussi ont été drogués par Pélicot. “Plus d’excuses, plus d’inventions…” a réagi l’homme assis derrière une fenêtre, vêtu d’un pull gris, le visage couvert de cernes et de rides.

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Voici Dominique Pelicot, principal accusé dans ce procès historique. Les experts psychiatres affirment qu’il souffre de perversions sexuelles ou « paraphilies », présentant une double personnalité, à la fois pervers criminel et père gentil. « Ils étaient pleinement conscients de la situation » répète l’homme de 71 ans lorsque ses 50 associés tentent de passer la douane. Il est le seul à avoir fini par admettre être un violeur – les enquêteurs dénombrent au moins 108 viols conjugaux – face aux quelque 4 000 images trouvées sur son ordinateur.

“Cela ne me semble pas incohérent” a-t-il répondu à la police, qui a porté à 70 le nombre d’hommes invités dans la chambre conjugale (20 n’ont pas été identifiés). Et ce chiffre pourrait encore augmenter car des zones d’ombre subsistent dans ce dossier tentaculaire. Ces hommes dits ordinaires dépassent la norme en raison de l’ignominie de leurs actes, avec un dénominateur commun : Dominique Pelicot. Sans cacher un sourire, l’un d’eux, interrogé par les juges, a déclaré : « Pélicot était le patron ! »

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