Le chef présumé d’un réseau de trafic de migrants reçoit un nouveau passeport canadien

CBC News a appris que le gouvernement canadien avait délivré un nouveau passeport à Thesingarasan Rasiah, un passeur d’êtres humains avoué, après que les tribunaux ont révoqué son passeport original.

Les enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont découvert le nouveau passeport de Rasiah en juin 2023, lors d’une perquisition au domicile montréalais de ce dernier. Là GRC enquêtait sur un réseau international de traite d’êtres humains dont Rasiah était soupçonné d’être le chef présumé, selon des documents judiciaires obtenus par CBC.

À cette époque, Rasiah, qui portait un bracelet électronique à la cheville et attendait sa condamnation, était assignée à résidence dans des conditions strictes. En février 2023, il a plaidé coupable d’avoir enfreint la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour avoir tenté, en 2021, d’amener illégalement un ressortissant sri-lankais à Cornwall, en Ontario.

Ce faisant, Rasiah a dû remettre son passeport aux autorités et s’est vu interdire de demander de nouveaux documents de voyage.

Traversées meurtrières

Le 1er avril 2021, à Cornwall – une ville située à 120 km de Montréal et à 4 km au nord de la frontière canado-américaine – la police a arrêté Thesingarasan Rasiah dans le stationnement d’un motel.

Outre Rasiah, une complice était sur place : elle venait d’amener en sol canadien un Sri Lankais qui tentait de fuir les États-Unis.

Pour cette affaire, en septembre 2023, Rasiah a été condamné à 15 mois de prison.

Mais en mai dernier, le GRC l’a encore arrêté. Cette fois, il a été accusé d’avoir dirigé un réseau international de trafic de centaines d’êtres humains à travers la frontière canado-américaine. Depuis, il est resté détenu.

Des perquisitions ont été effectuées le 31 mars 2023 pour retrouver les membres de deux familles, huit personnes, ainsi que le conducteur d’un bateau dans le fleuve Saint-Laurent. Selon la GRC, Thesingarasan Rasiah est le chef présumé de l’organisation de passage de clandestins qui serait impliquée dans cette tragédie. (Photo d’archives)

Photo : (Ryan Remiorz/La Presse Canadienne)

De plus, le Groupe de travail de Cornwall (réunissant des agents de la Police provinciale de l’Ontario, GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada) avaient des raisons de croire qu’il existait un lien entre l’organisation de Rasiah et la noyade tragique de neuf personnes, dont huit migrants, près d’Akwesasne en mars 2023 .

Des passages organisés en attendant sa sentence

Une copie d’un document déposé à la Cour de justice de l’Ontario démontre que Thesingarasan Rasiah a réussi à obtenir un nouveau passeport de Service Canada, moins de deux semaines après la découverte des corps des huit migrants dans le fleuve Saint-Laurent.

Matthew Eamer, un sergent-détective à la retraite du Cornwall Task Force, a enquêté sur les activités de Rasiah pendant trois ans. Il affirme que ce dernier a continué à organiser le trafic d’immigrants illégaux à la frontière canado-américaine alors qu’il était en liberté conditionnelle et en attente de sentence pour le cas du migrant sri-lankais.

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Matthew Eamer, sergent-détective à la retraite de la Police provinciale de l’Ontario, était l’enquêteur principal de l’opération qui a mené à l’arrestation de Rasiah en avril 2021. Il affirme que les passeurs de clandestins n’agissent pas par compassion, mais « par pure cupidité ».

Photo : CBC / Mathieu Thériault

Il était toujours actif, explique Matthew Eamer, malgré le fait qu’il ait été inculpé et mis en liberté conditionnelle. [pour traite d’êtres humains].

C’est un échec total

Le député conservateur en matière d’immigration, Tom Kmiec, demande au Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes de tenir une réunion d’urgence pour examiner le cas de Thesingarasan Rasiah.

Pour le député conservateur, le ministre de l’Immigration, Marc Miller, et les responsables du service des passeports doivent comparaître devant le comité pour s’expliquer dans ce dossier.

L’intégrité de notre système de passeport est l’un des éléments les plus importants pour garantir que les criminels reconnus coupables n’obtiennent pas de tout nouveau passeport après que leur ancien passeport leur ait été retiré.

C’est un échec totalrésume M. Kmiec.

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Le député conservateur Tom Kmiec affirme que le cas de Thesingarasan Rasiah doit faire l’objet d’une réunion d’urgence du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes.

Photo : CBC / Rebecca Kelly

Dans quelle mesure notre infrastructure de sécurité nationale s’est-elle détériorée si nous ne pouvons même pas repérer les éléments les plus élémentaires de notre système ?

Une citation de Tom Kmiec, député conservateur de Calgary-Sheppard

Les passeports, maillon faible de la chaîne de sécurité

De l’avis de Kelly Sundberg, professeur adjoint de criminologie à l’Université Mount Royal de Calgary, le système actuel de passeport canadien est le maillon faible de la chaîne de sécurité.

Mme Sundberg affirme que le processus d’examen des passeports fonctionne en silos, indépendamment des bases de données que les tribunaux et la police peuvent partager. Actuellement, c’est aux forces de l’ordre de prendre l’initiative de contacter Passeports Canada pour signaler un individu.

Il s’agit d’un système de sécurité très superficiel et qui repose en grande partie sur un système d’honneur.

Les passeports devraient relever de la responsabilité de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui a accès aux bases de données des forces de l’ordre, ajoute-t-elle.

Nous devons commencer à prendre la sécurité de nos frontières au sérieux.

Une citation de Kelly Sundberg, professeure adjointe de criminologie à l’Université Mount Royal à Calgary

Deux autres passeports sous de faux noms

Le programme de passeport est administré par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Cependant, Emploi et Développement social Canada, par l’intermédiaire de Service Canada, met en œuvre ce programme.

CBC News a également appris que Rasiah avait été condamné à 52 jours de prison après avoir été reconnu coupable de possession de deux passeports canadiens qui n’étaient pas à son nom. C’était en 2008, alors qu’il venait d’atterrir à l’aéroport international Pearson de Toronto, selon les informations duASFC.

>>Photo policière d'un homme.>>

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Thesingarasan Rasiah lors de son arrestation en avril 2021 pour avoir organisé le passage d’un migrant sri-lankais illégal vers le Canada depuis les États-Unis.

Photo : Gendarmerie royale du Canada

En 2017, les enquêteurs duASFC avait accusé Rasiah en lien avec un événement de trafic de migrants au point d’entrée de Dundee au Québec (à 125 kilomètres de Montréal).

Il a ensuite plaidé coupable de fausse déclaration en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a été condamné à 18 mois d’emprisonnement avec sursis.

Immigration Canada a déclaré qu’il ne pouvait pas commenter spécifiquement le cas de Rasiah en raison des lois sur la protection de la vie privée.

Dans une déclaration faite par courriel à CBC News, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a déclaré qu’il travaillait en étroite collaboration avec Service Canada et les forces de l’ordre pour recueillir des informations concernant les ordonnances de remise de passeport.

Lorsque nos partenaires chargés de l’application de la loi nous informent qu’un demandeur a falsifié ou modifié sa demande de passeport, le dossier est sujet à examen.

Le GRC a refusé de commenter, affirmant qu’elle savait qu’Immigration Canada répondrait aux questions de CBC.

>>Les demandeurs d'asile sont accueillis par un agent de la Gendarmerie royale du Canada.>>

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Demandeurs d’asile sur le chemin Roxham à Québec, le 24 mars 2023. Les craintes sont grandes que le Canada connaisse un afflux de migrants sur son territoire dans la foulée de la réélection de Donald Trump, ce dernier ayant promis de sévir contre l’immigration clandestine pour Sol américain. (Photo d’archives)

Photo : La Presse Canadienne

Par pure cupidité

Pour le sergent-détective à la retraite Matthew Eamer, le profit est la principale motivation des passeurs clandestins de migrants. Ils le font pour l’argent, par pure cupidité.

Le sergent-détective a établi son premier contact avec Rasiah le matin du 1er avril 2021, dans le stationnement d’un motel de Cornwall. Les policiers avaient reçu de leurs collègues américains, par l’intermédiaire duASFCinformations selon lesquelles la traite des êtres humains avait lieu.

Deux voitures se trouvaient au motel, l’une conduite par Rasiah, l’autre par une femme qui transportait un ressortissant sri-lankais qu’elle venait de faire traverser la frontière.

Après avoir arrêté Rasiah, Matthew Eamer a interrogé le ressortissant sri-lankais, qui pleurait abondamment. Une vidéo obtenue par CBC montre cet interrogatoire. En tamoul, par l’intermédiaire d’un traducteur, l’homme déballe tout : sa femme qui reste en Malaisie, sa peur de devoir retourner aux États-Unis et son envie de demander le statut de réfugié au Canada.

Rasiah a demandé à l’homme 7 000 $ CA pour pouvoir entrer au Canada. Ne disposant pas de cette somme, le ressortissant sri-lankais affirme que Rasiah lui avait promis un emploi grâce auquel il pourrait le rembourser. Il m’a dit : « Tu me donneras des petites sommes… »

Le sergent-détective Eamer explique au passager clandestin sri-lankais qu’il ne peut pas l’aider. Les autorités canadiennes l’ont ensuite renvoyé aux États-Unis.

Chronologie des événements pour Thesingarasan Rasiah :

  • 2008 : reconnu coupable d’être en possession de deux passeports canadiens qui n’étaient pas à son nom. A ensuite été condamné à 52 jours de prison.
  • 2017 : accusé parASFC en lien avec le trafic de migrants au point d’entrée de Dundee au Québec. Plaide coupable de délits de fausse représentation et est condamné à 18 mois de prison avec sursis.
  • 2021 : contraint de reporter GRC son passeport. Le 1er avril, est accusé d’une opération visant à faire entrer clandestinement un Sri Lankais des États-Unis au Canada.

2023 :

  • Février : plaide coupable à un chef d’accusation lié à l’entrée illégale dans le pays d’un Sri Lankais.
  • Avril : se voit délivrer un passeport à son nom peu après le décès, par noyade, de neuf personnes dans le fleuve Saint-Laurent. Il serait le chef présumé d’un réseau de passeurs lié à ce drame.
  • Juin : se voit confisquer son passeport par le GRC qui a exécuté un mandat de perquisition à son domicile de Montréal. Est accusé en vertu du Code criminel et de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de trafic de personnes, de possession et de blanchiment des produits de la criminalité.
  • Septembre : condamné à 15 mois de prison pour l’opération liée au migrant sri-lankais.

2024 :

  • Arrêté de nouveau par le GRC et reste détenu.

Un texte de Jorge Barrera et Albert Leung, de CBC Actualités, adapté par Anne-Marie Lecomte

A lire et à regarder également :

Avec des informations de CBC

 
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