(Québec) Face à des pressions croissantes et à des voix discordantes au sein de sa famille politique, Haroun Bouazzi a présenté mardi sur le réseau X des excuses aux ministres Christian Dubé et Lionel Carmant pour ce qu’il qualifie de « maladresse ». Une sortie qui a laissé les élus sur leur faim.
Publié à 10h23
Mis à jour à 15h15
« En cette journée qui s’annonce difficile pour l’aile parlementaire de Québec solidaire, j’aimerais prendre le temps de dire certaines choses importantes. Tout d’abord, je réaffirme mon engagement à travailler aux côtés de mes collègues du Caucus Solidarité, au service de notre mouvement et des causes qu’il défend pour améliorer la vie des gens. En ce sens, je me joins à eux pour dire que je ne considère pas que l’Assemblée nationale et ses membres soient racistes et que ce n’est pas la position du parti», écrit le député de Maurice-Richard sur le réseau social.
« Ensuite, je tiens à assurer particulièrement mes collègues parlementaires Lionel Carmant et Christian Dubé de mon estime. Les exemples qui les concernent et dont j’ai parlé lors de mon entretien à Tout un matin étaient certainement maladroits. Je m’excuse pour cette maladresse qui a éclipsé le fond de mes propos et de ma pensée qui, comme l’atteste mon histoire d’engagement antiraciste, n’a jamais consisté à s’en prendre à des personnes”, a-t-il ajouté, remerciant une nouvelle fois les membres réunis pour leur “justice et leur solidarité”. ».
Le départ de M. Bouazzi a laissé les parlementaires en redemander. « Je suis heureux de voir une évolution […] mais avec ce qu’il a dit, je pense qu’il est important qu’il présente ses excuses à l’Assemblée nationale et à la population québécoise […] Je pense qu’il doit aller plus loin», a déploré le ministre Lionel Carmant.
« Ce n’est pas encore clair, il semble que M. Bouazzi tourne autour du pot. Écoutez les élus à l’Assemblée nationale, ils ne sont pas racistes. Nous avons 600 000 immigrants temporaires, la capacité d’accueil du Québec est largement dépassée, donc nous avons le droit de dire qu’il y a trop d’immigrants sans que le député de Québec solidaire nous traite de racistes», a soutenu de son côté le premier ministre François Legault.
“Le résultat que nous souhaitions”
Les porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois et Ruba Ghazal ont affirmé mardi avoir obtenu “le résultat que nous souhaitions” avec les excuses de leur adjoint sur X. Haroun Bouazzi reste au sein du groupe de solidarité et conserve ses fonctions de porte-parole en matière économique.
« Nous ne ferons pas une analyse mot pour mot de ce qui a été dit, de ce que cela signifiait. Au fond, il n’y a pas d’ambiguïté, il n’y a pas d’hésitation, il n’y a pas de flou. À Québec solidaire, tous les députés affirment clairement que l’Assemblée nationale et ses députés ne sont pas racistes», a expliqué M. Nadeau-Dubois lors d’un point de presse avant la période des questions.
Il a assuré que « l’unité du caucus est forte », tout en estimant que les déclarations de M. Bouazzi ont provoqué un « malaise » dans les rangs.
« Le fait qu’il y ait eu un malaise […] sur certaines affirmations, certaines tournures de phrases, il serait inutile et malhonnête de tenter de le cacher. Mais ces discussions ont eu lieu et nous avons dégagé une ligne claire, une entente sur le fond des choses, ce que nos membres nous ont demandé en fin de semaine», a ajouté M. Nadeau-Dubois, qui affirme que «la ligne a été dessiné. »
Il est très, très clair que tous les députés, y compris M. Bouazzi, respecteront ce qui a été voté au Congrès par les députés.
Ruba Ghazal, co-spokesperson for Québec solidaire
Aucun député du parti politique n’a souhaité s’adresser aux médias après le caucus de solidarité.
Un peu plus tôt mardi, Christine Labrie a tenu à prendre ses distances avec les propos de sa collègue. « Haroun prendra ses propres décisions. Mais ce que je peux vous dire, c’est que ses commentaires me mettent extrêmement mal à l’aise. Je ne les partage pas et je tiens à le dire très clairement”, a lancé le député. Samedi, Vincent Marissal a affirmé qu’il y avait « des collègues qui ne sont pas contents et qui l’ont exprimé ».
Au terme d’un débat à huis clos, les membres de Québec solidaire, divisés sur la question, ont trouvé une voie à suivre en adoptant une motion qui « ne soutient pas et n’a jamais soutenu que l’Assemblée nationale et ses députés soient racistes » et « condamne fermement les menaces, les violences et la campagne de diffamation dirigée contre le député Haroun Bouazzi et lui offre son soutien face à ces circonstances ».
Le député solidaire Andrès Fontecilla a affirmé pour sa part mardi que l’important reste « l’unité du groupe et le respect de la motion adoptée ce week-end. »
La classe politique indignée
Les élus de tous les partis politiques ont un à un dénoncé les propos du député favorable. “Je pense qu’il devra se rétracter avec des excuses sincères par la suite s’il ne croit pas en notre institution, mais ce sera à lui de réfléchir à son avenir politique”, a déclaré la libérale Marwah Rizqy, visiblement ébranlée.
« Que Québec solidaire se gouverne en conséquence, mais quand on ne se dissocie pas de la parole d’un élu qui fait partie d’un caucus, cela veut dire qu’on contribue à bâtir la réputation de démocratie, de Maison du peuple. […] Il ne s’agit pas d’une compétition politique. Le mépris dont le Parlement a été victime est significatif et nous ne pouvons pas laisser ce précédent subsister et dire que l’affaire est close », a-t-elle ajouté.
“Je ne suis pas en colère, je le suis, je suis choqué”, a déploré le ministre chargé de la Lutte contre le racisme, Christopher Skeete. « Je suis choqué qu’un élu de cette grande institution puisse penser que nous ne sommes pas tous là pour les mêmes raisons, soit faire avancer le Québec. Je suis choqué qu’un élu se promène dans la communauté, ne construise pas de ponts, essaie de nous diviser puis renforce ce qui nous distingue au lieu de renforcer ce qui nous rassemble », a-t-il ajouté.
Requêtes pour excuses
Le leader parlementaire du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, déposera au Salon rouge une motion sans préavis – c’est-à-dire sans un jour d’avis – pour dénoncer les déclarations du député favorable. Mais il ira plus loin en lui demandant de présenter des excuses à l’Assemblée nationale. Le Parti libéral du Québec et le Parti québécois utiliseront également ce moyen parlementaire.
Lire l’article « L’affaire va rebondir à l’Assemblée nationale »
Le libellé de la motion du gouvernement sera le suivant :
- Que l’Assemblée nationale affirme qu’elle ne contribue pas à la construction des mécanismes du racisme ;
- Qu’il affirme qu’à l’intérieur de ses murs il n’y a aucune construction de l’Autre et de sa culture qui serait inférieure ou dangereuse ;
- Disons qu’affirmer que l’Assemblée nationale contribue à la construction de l’Autre comme étant un danger ne constitue pas de la pédagogie, mais une construction de division ;
- Qu’enfin, elle demande au député de Maurice-Richard de retirer ses propos et de s’excuser auprès de cette Assemblée et de tous ses députés qui ont été visés par des accusations de racisme;
Lors du gala de la Fondation Club Avenir en novembre, Haroun Bouazzi a notamment affirmé avoir observé « chaque jour à l’Assemblée nationale la construction de cet autre, de cet autre qui est maghrébin, qui est musulman, qui est noir, qui est indigène, et sa culture qui, par définition, serait dangereuse ou inférieure. Des propos immédiatement dénoncés par l’ensemble de la classe politique québécoise.
Il en a rajouté une couche le lendemain dans une interview avec Tout un matin à Radio-Canada en mettant en cause Christian Dubé et Lionel Carmant, la CAQ et le PQ. Il a reproché à ces groupes de ne s’inquiéter de l’élection de Donald Trump aux États-Unis qu’à travers le prisme de l’arrivée massive de réfugiés. Il a reproché à M. Dubé d’attribuer l’allongement des listes d’attente chirurgicales aux immigrants.
«Quand je dis quotidiennement, c’est quotidien», a déclaré vendredi le député de Maurice-Richard au micro de Patrick Masbourian. « La semaine dernière, M. Carmant était dans une situation délicate, nous a-t-il expliqué, lors d’une question, au Salon Bleu, sur les ouvriers qui couchaient avec des mineurs à la DPJ, et il a fini par nous dire : c’est la faute des immigrés. », a déclaré M. Bouazzi.
« Le député a fait de fausses déclarations sur moi et sur mon collègue Lionel Carmant. C’est absolument regrettable qu’il refuse de s’excuser», a répondu Christian Dubé dans un communiqué.
Avec Vincent Larin, La presse