Nous perdons beaucoup de temps à attendre au téléphone pour obtenir des rendez-vous médicaux. On le perd encore à la clinique. Dans de nombreux cas, nous y sommes allés pour rien. Financièrement, tout le monde y perd, y compris les travailleurs, les employeurs et l’État.
A chaque élection, c’est la même histoire, une nouvelle solution miracle est promise sans que personne n’y croit vraiment. Alors, lorsque Santé Québec m’a parlé de Vitrai (prononcer vitrail), une PME estrienne qui avait trouvé le moyen d’augmenter l’accès aux médecins, j’étais très sceptique.
Québec y croit tellement qu’il vient de signer un contrat de 40 millions avec l’entreprise fondée par un ancien pharmacien de l’hôpital de Granby, Alexandre Chagnon. Pendant quatre ans, sa technologie sera utilisée par le 811 (Info-Santé), les Groupes de médecine familiale (GMF) et les Comptoirs d’accès de première ligne (GAP).
Fondamentalement, Vitrai est un système qui oriente les patients vers le bon professionnel – médecin, infirmière, physiothérapeute, pharmacien, assistant social – en leur posant une série de questions générées par l’intelligence artificielle. La technologie, qui existe depuis 7 ans, est déjà utilisée par 75 GMF sur 400. Au début de l’année prochaine, Vitrai doit être intégré aux plateformes de prise de rendez-vous en ligne.
Cela semble trop simple pour avoir un réel impact. Or, c’est le cas, parce qu’on ne se rend pas compte du nombre phénoménal de patients qui se présentent chez le médecin inutilement, m’a dit le D.r Antoine Groulx. Le médecin généraliste exerce dans un GMF au Québec qui utilise l’outil Vitrai depuis le printemps. Ses données sont étonnantes.
En octobre, sur les 1 431 personnes ayant appelé pour prendre rendez-vous, 415 ont été orientées vers un autre spécialiste, dont 17 aux urgences. Les données de septembre sont pratiquement identiques.
Cela signifie qu’un meilleur tri permet de proposer au moins 400 rendez-vous par mois aux personnes qui en ont réellement besoin. Et ce, dans une seule clinique. Imaginez l’impact partout au Québec. Cela ne résout pas tout, mais c’est un coup de pouce prometteur.
« Près d’un tiers des consultations peuvent être réorientées, ce qui représente un gain de temps impressionnant en amont », s’enthousiasme le D.r Groulx. Et c’est du temps qui n’était pas facile à gagner sans algorithme car le personnel qui prend les appels n’a pas la compétence médicale ou clinique pour faire des arbitrages. » De plus, la durée moyenne d’appel est passée de 4,5 minutes à 1,5 minutes, grâce aux questions posées par Vitrai qu’il suffit de suivre. Les secrétaires et les patients en bénéficient.
Cette observation concorde avec les données recueillies par Alexandre Chagnon. Les médecins de famille, dit-il, voient 35,8 % des patients qui ne nécessitent pas leur expertise. C’est tellement haut que c’est difficile à croire. Ces consultations concernent principalement la santé musculo-squelettique (douleurs, douleurs lombaires ou articulaires, maux de dos, douleurs aux genoux), les problématiques liées au deuil, les problèmes de santé mentale ou encore les renouvellements de médicaments.
Mais il est difficile de blâmer les patients qui ne savent plus qui fait quoi dans notre système complexe et en constante évolution.
Depuis quelques années, les pharmaciens ont obtenu le droit de prescrire certains médicaments, mais qui connaît la liste par cœur ? Et pourriez-vous nous dire quels diagnostics les infirmières praticiennes spécialisées sont autorisées à poser ? Le réflexe normal, face à tant d’inconnues, est de chercher à consulter un médecin.
Le Dr Groulx croit également qu’on aiderait le système de santé en améliorant les connaissances des patients afin qu’ils sachent déterminer ce qui constitue une bonne raison de consulter, et ce dès l’école primaire. « Notre littératie collective en santé est catastrophique au Québec. Nous sommes des cancres. » Il ne s’attend pas à ce que l’on puisse commenter les maladies inflammatoires, seulement les rhumes, la grippe, la fièvre.
On ne peut pas non plus blâmer le personnel qui répond aux appels dans un GMF, au GAP ou au 811, estime Alexandre Chagnon. Parce que le travail devient de plus en plus compliqué. « La semaine dernière, nous avons adopté le projet de loi 67, qui vise à élargir les compétences des pharmaciens, des physiothérapeutes et des travailleurs sociaux. Cela aura un impact sur les critères. Lorsque les secrétaires médicales commencent à les connaître, elles sont modifiées sur base d’une facture. C’est excessivement complexe. »
La beauté de l’affaire, c’est que l’intelligence artificielle connaît les offres de services dans la région où vit la personne afin de lui proposer une solution réaliste.
L’entreprise créée par Alexandre Chagnon emploie une quinzaine de personnes qui forment l’IA et lui enseignent qu’à Montmagny, « une ordonnance collective assure que la sinusite peut être traitée par une infirmière en clinique, mais seulement celles qui répondent aux critères x, y ». et z, donne-t-il à titre d’exemple. C’est extrêmement précis.
L’ancien pharmacien de 34 ans a abandonné son travail hospitalier et son régime de retraite, et a mis sa maison en garantie pour démarrer son entreprise. Il constate aujourd’hui qu’« il faut être fou pour se lancer en affaires dans le système de santé », car « le cycle de vente se mesure en années ». Mais maintenant qu’il a suscité l’intérêt du gouvernement québécois, il espère vendre sa technologie ailleurs au pays.
Et nous espérons que Vitrai tiendra sa promesse d’accélérer l’accès aux médecins. Dans un système de santé défaillant partout, la moindre amélioration serait une réussite.