Ils étaient mariés depuis 53 ans. Mais depuis cinq ans, Thérèse Brassard-Lévesque était diminuée par la maladie d’Alzheimer. Gilles Brassard s’est consacré corps et âme à son épouse pendant la pandémie. Mais en désespoir de cause, il l’a tuée par « amour » et « compassion ». Leurs proches imputent plutôt la négligence du système de santé.
« Personne ne veut être traité comme ma belle-mère a été traitée. Gilles s’en est occupé. Mais la société nous a abandonnés. Elle n’a pas pris tous les moyens possibles pour aider ma belle-mère. Comme société, nous avons beaucoup à apprendre du désarroi et du geste désespéré de mon beau-père», a témoigné Brigitte Fournier, la belle-fille de Gilles Brassard.
Lors d’une audience émouvante mercredi au palais de justice de Laval, l’homme de 81 ans a plaidé coupable de meurtre au deuxième degré. Il sera ainsi condamné à la prison à vie. En droit pénal, l’homicide « par compassion » n’existe pas et ne réduit pas la peine.
Les avocats ont proposé à la juge Hélène Di Salvo une période d’inéligibilité à la libération conditionnelle de 10 ans et demi. Gilles Brassard était sous le choc en réalisant son sort. « Je ne suis ni un meurtrier ni un méchant. Ce n’est pas possible qu’un gars comme moi ait 10 ans… » dit-il, bouleversé.
Le 30 septembre 2023, Gilles Brassard commet l’irréparable. Dans une chambre de l’établissement public Ressource de Lanaudière, à Terrebonne, il a étranglé Thérèse Brassard-Lévesque, la femme de sa vie, avec une corde. Le procureur de la Couronne a relaté minute par minute le meurtre, filmé de A à Z par une caméra de surveillance.
Gilles Brassard s’approche de sa femme, alitée. “C’est bon, c’est bon”, dit-elle. « Fermez vos petits yeux et dormez », dit son mari. Il tente de passer la corde autour du cou de sa femme, mais retire l’objet lorsqu’elle proteste. Lors de sa nouvelle tentative, sa femme a laissé échapper : « Arrêtez ça ».
Gilles Brassard dépose une poupée sur la table de chevet et allume la musique. C’est sa quatrième tentative. Lorsqu’il fait un nœud à la corde, sa femme crie : « Hé, ayoye ! » « . Il s’allonge sur elle pour la contrôler pendant qu’elle se débat. Après plusieurs minutes, il a lâché la corde et a avalé plusieurs flacons de médicaments. Un employé le retrouvera à temps.
“Je ne suis pas un meurtrier”
Gilles Brassard explique avoir décidé d’envoyer sa femme « dans un monde meilleur », après des années à voir sa bien-aimée souffrir et leur famille languir. Elle ne reconnaissait plus ses propres fils, dit-il.
« Je ne suis pas un meurtrier, j’ai fait ce geste par amour et une grande compassion, tout simplement. Aucune violence, aucune méchanceté dans mon action», s’est défendu Gilles Brassard mercredi.
Cinq ans plus tôt, Thérèse Brassard Lévesque était terrassée par la maladie d’Alzheimer. Elle n’était plus elle-même. Puis la pandémie est arrivée. Une épreuve. Le septuagénaire prenait soin de son épouse avec zèle, malgré l’absence d’aide. « Elle était très agressive. Quand je l’ai lavé, c’était l’enfer. J’ai été griffé», a déclaré l’accusé.
« J’ai vu mon père aller au bout de ses forces pour garder ma mère auprès de lui. Il souffrait beaucoup. Elle l’a frappé et l’a insulté de tous les noms», a raconté son fils, Pascal Brassard, qui assure que son père n’a «jamais» été violent avec sa femme.
À bout de souffle, Gilles Brassard a dû se résoudre à placer son épouse. Pendant de nombreuses semaines à l’hôpital, puis à la résidence Étincelle. Mais les soins prodigués à Thérèse Brassard-Lévesque étaient parfois médiocres. Selon sa belle-fille, Brigitte Fournier, elle était mal nourrie et n’a pas pris de bain pendant des semaines.
« Elle portait les mêmes vêtements jour et nuit. Ses ongles étaient noirs. [Gilles] payé quelqu’un pour prendre soin de ses pieds», a déclaré Brigitte Fournier.
Selon elle, l’entreprise a laissé tomber Gilles Brassard et Thérèse Brassard-Lévesque. « Que pouvons-nous faire de mieux pour les personnes vivant avec cette terrible maladie ? C’est nous qui devons trouver des solutions au lieu de punir un homme exemplaire», a plaidé sa belle-fille.
«Mon grand-père est victime du système de santé qui n’a pas pu lui apporter l’aide dont il avait besoin, même s’il avait lancé plusieurs appels à l’aide», a déclaré Laurie Brassard, petite-fille de l’accusé. Elle rappelle que son grand-père a sacrifié sa santé pour prendre soin de sa femme, seul, pendant la pandémie.
Pascal Brassard soutient que sa mère était une « femme très fière » qui disait toujours qu’elle ne voulait jamais finir en CHSLD. Son père a fait un geste « rempli de compassion », insiste-t-il.
« La première chose qu’il m’a dite ensuite a été : ‘Je voulais t’enlever ta tristesse’. Ce jour-là, il n’y avait que de l’amour et pas de haine. Il voulait libérer ma mère et repartir avec elle», a confié Pascal Brassard.
Pour justifier la période d’inéligibilité à la libération conditionnelle légèrement supérieure au minimum de 10 ans, la procureure de la Couronne, Mme.e Geneviève Aumond a relevé plusieurs facteurs aggravants, dont le fait que la victime était une personne vulnérable et la conjointe de l’accusé.
«C’est dans le contexte du COVID. C’était éprouvant pour tout le monde », a souligné l’avocate de la défense, Mme.e Elfriede Duclervil.
La juge Di Salvo a déjà annoncé qu’elle soutiendrait la suggestion commune la semaine prochaine.
Cette affaire rappelle fortement l’histoire de Michel Cadotte, un Montréalais condamné en 2019 à deux ans moins un jour de prison pour avoir tué sa femme atteinte de la maladie d’Alzheimer en l’étouffant avec un oreiller. Il avait été reconnu coupable d’homicide involontaire, et non de meurtre, par un jury. Lui aussi prenait soin de sa femme depuis des années.