Un cinéaste humaniste sans frontières

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Portrait de Pierre Koralnik

Un cinéaste humaniste sans frontières

La Cinémathèque rend hommage au réalisateur de 87 ans, qui a tourné avec les grands noms du 7e Art.

Francine Brunschwig

Publié aujourd’hui à 21h00

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« Une archive étrange et délirante d’une folle soirée. » Ce commentaire de l’écrivain français Gilles Sebhan fait référence au documentaire réalisé par Pierre Koralnik en 1964 dans l’atelier du peintre anglais Francis Bacon. Koralnik ? Je vous parle d’un cinéaste et réalisateur star de la Télévision romande (et de l’ORTF) que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Mais la rétrospective organisée en novembre par la Cinémathèque suisse, le Festival international du film de Genève, la RTS et l’INA (Institut national de l’audiovisuel, Paris) révèle la foisonnante filmographie. En première mondiale, le documentaire Pierre Koralnik, cinéaste et visionnaire (2024) y est également présenté.*

Doté d’un flair à la fois journalistique et artistique, d’une grande créativité, farouchement indépendant, le cinéaste franco-suisse a pratiqué tous les genres, sur les plateaux de Suisse romande, de et d’Allemagne. « Si nous avons montré que nous en étions capables, la Télévision francophone nous a donné des moyens et une grande liberté de création », témoigne le réalisateur de 87 ans. Serge Gainsbourg, Jane Birkin, Anna Karina, Jean-Claude Brialy, Michel Bouquet, Françoise Hardy, François Périer ont marqué son œuvre et sa vie. De même les frères Knie, Denis de Rougemont, James Baldwin, Adolf Wölfli, entre autres, dont il réalise des portraits inédits.

Mais écoutons-le parler de sa rencontre improbable avec Francis Bacon. Nous sommes chez lui, à Zurich, où il vit depuis les années 1970, après son mariage avec Eva, qu’il a rencontrée à Genève et qui dirigeait une agence littéraire au bord de la Limmat. Jean et pull noir, silhouette élancée, esprit vif et alerte, dit-il. «J’ai été stupéfait par une exposition de Francis Bacon au Kunsthaus de Zurich. A Londres pour un reportage sur la situation économique, j’ai contacté sa galerie. Finalement, Koralnik obtient un rendez-vous. “Je lui ai dit : on fait ce que tu veux !” Résultat : un tournage fou dans l’atelier du peintre – entouré d’amis et buvant beaucoup de pastis – qui finit ivre, presque s’effondrer. Diffusé dans l’émission « Continents sans visa » (l’ancêtre de « Temps Présent »), le film a eu un retentissement international (et a inspiré un livre à l’écrivain Gilles Sebhan).

Réfugié en 1943

Rien dans la trajectoire familiale ne laissait présager une carrière chez TSR. Pierre est né à Paris en 1937. Ses parents avaient quitté leur Ukraine natale dans les années 1920 pour Varsovie, puis Berlin. Avec Hitler au pouvoir, la famille juive décide de partir pour Paris, puis, en 1940, en zone libre pour Marseille. “Ma mère et moi avons été internés pendant un certain temps dans le tristement célèbre Camp des Mille.” Ayant réussi à s’enfuir, les Koralniks trouvèrent des passeurs qui les emmenèrent en Suisse.

Après avoir d’abord séjourné dans des camps d’internement, ils se sont regroupés à Genève. “J’ai obtenu une bourse pour le gymnase, grâce notamment au soutien chaleureux de Jeanne Hersch.” Le professeur et philosophe l’a aidée à entrer à l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques de Paris). «J’adorais aller au cinéma. Je me voyais comme critique ou réalisateur. Premier assistant du cinéaste Robert Enrico, il rentre en Suisse, travaille brièvement pour la télévision germanophone avant d’être approché par la TSR, vivier des pionniers – Goretta, Tanner, Roy, Soutter – du nouveau cinéma romand, d’abord formé à l’école du reportage.

Proche de Serge Gainsbourg

Électron libre et polyvalent, Pierre Koralnik s’illustre aussi bien dans des programmes politiques ou sociaux (sur le nazisme, les Noirs américains, les oligarques, le chômage) que dans les émissions de variétés, de fiction et de portraits. Parmi ces derniers, celle de l’écrivain noir James Baldwin fera date. «J’avais lu son texte «Un étranger au village», publié en 1951, lors de son séjour à Loèche-les-Bains.» Il raconte son expérience en tant que premier Noir de ce village, alors que des enfants passent en criant « Neger, Neger ». Dix ans plus tard, Pierre Koralnik propose de ramener l’Américain à Loèche et de le filmer. « Rien n’avait changé. La neige était encore blanche !

En 1967, « Anna », comédie musicale tournée dans les rues de Paris et dont Serge Gainsbourg compose la musique et les textes, débarque sur les écrans de la première chaîne française et dynamise la carrière du réalisateur. Pendant un an, il a accueilli le chanteur français dans son appartement parisien. « Serge venait de quitter sa femme actuelle et ne savait pas où aller. Nous avons très bien travaillé ensemble. Il fumait et buvait déjà. Je l’ai ramené ivre plusieurs fois en fin de soirée de chez Régine. Plus tard, j’ai réalisé « Cannabis », avec Serge et Jane Birkin. Nous sommes restés très proches jusqu’à ce qu’il devienne Gainsbarre, provocateur et immergé dans l’alcool.

« Un explorateur tous azimuts »

Bien qu’il ait tourné quelques films avec pour décor la Suisse («Rumeur», «Le rapt», adaptation d’un roman de CF Ramuz), Koralnik se considère «à mille lieues de ce qu’on appelle le cinéma suisse». Pour Frédéric Maire, directeur de la Cinémathèque, il est « un cinéaste sans frontières, tant physiques que stylistiques. Elle a évolué sur un terrain de jeu extraordinaire, mais, paradoxalement, n’a pas été perçue à sa juste valeur, car restée dans le cadre de la télévision.»

François Vallotton, professeur d’histoire contemporaine à l’UNIL, se réjouit de l’hommage rendu au cinéaste. «C’était un explorateur tous azimuts. Hors des sentiers battus, il aborde des thèmes sociétaux, s’intéresse aux marginalités, toujours dans une perspective profondément humaniste marquée par sa trajectoire personnelle.

*Rétrospective Pierre Koralnik, Cinéma Capitole, Lausanne, du 5/11 : débats 14h-19h, « Anna » 20h en présence du cinéaste. Plusieurs films seront diffusés sur la RTS. Voir www.rts.ch/archives

Biographie

  • 1937 Né le 25 décembre à Paris.

  • 1942 Arrive en Suisse comme réfugié avec ses parents et son frère grâce aux passeurs.

  • 1957 Diplômé de l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (IDHEC) de Paris.

  • 1958 Assistant du cinéaste Robert Enrico

  • 1962 Fait ses débuts à la télévision francophone.

  • 1964 Lauréat, avec Jean-Louis Roy, de la Rose d’Or à Montreux pour l’émission de variétés Happy End.

  • 1967 « Anna », avec Jean-Claude Brialy et Anna Karina, musique et textes de Serge Gainsbourg.

  • 1969 « Salomé », d’après Oscar Wilde, chorégraphie de Maurice Béjart

  • 1970 Epouse Eva, déménage à Zurich.

  • 1978 Naissance d’Ania, suivie de Marc (1983).

  • 2024 Rétrospective à la Cinémathèque Suisse et première de Pierre Koralnik, cinéaste et visionnaire, mise en scène Christoph Weinert.

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