Mort d’une légende –
Quincy Jones pourrait atteindre la lune
Décédé à 91 ans, le musicien a marqué de son empreinte tout un pan de la musique afro-américaine, du jazz à la pop, avec Michael Jackson.
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- Quincy Jones a reçu 80 nominations aux Grammy Awards pour 28 prix.
- Il découvre la musique grâce à un piano lors d’un cambriolage.
- Il a collaboré avec Michael Jackson sur les albums « Off the Wall » et « Thriller ».
- Sa rencontre avec Claude Nobs du Montreux Jazz Festival a enrichi l’événement.
Sous tous les souvenirs de gloire qui ont décoré la dernière partie de la (longue) vie de Quincy Jones – 80 nominations aux Grammy Awards pour 28 récompenses tout de même… – se trouvaient les origines. Dans la course à la respectabilité du jazz, on perd souvent au passage la saveur glauque des racines…
Décédé dimanche 3 novembre à l’âge canonique de 91 ans, le musicien et producteur américain ne faisait pas mystère de l’énergie qui habitait le gamin de Chicago qu’il était. «J’aurais aimé être un gangster», nous avouait-il en 2011 lorsque nous l’interrogeions sur sa jeunesse dans l’or du bar du Montreux Palace. “La musique est un accident”, a-t-il ajouté. Mon père travaillait comme menuisier pour un homme nommé Jones, le chef d’un gang noir à Chicago. Il y avait des cadavres partout, des mitrailleuses, des liasses de billets. »
Voleur d’entrepôt
C’est également lors du braquage d’un entrepôt que le petit Quincy découvre la silhouette d’un piano, un instrument qui l’appelle de toutes ses forces. « Chaque goutte de mon sang criait : c’est ce que tu vas faire pour le reste de ta vie ! » Cette découverte va en effet changer la vie de celui qui le gagne en cueillant des fraises, comme un employé de vestiaire ou un cireur de chaussures, très habile à cirer les escarpins Stacey Adam des proxénètes sans tacher leurs chaussettes ! « Ma théorie est que quoi que vous fassiez, vous devez le faire à fond, jusque dans les moindres détails. Videz toute la coupe et elle vous sera remplie deux fois ! »
Le glamour pop des années Jackson a tendance à nous le faire oublier, mais Quincy Jones est l’un des derniers géants, ceux qui ont connu des États-Unis profondément divisés sur les questions raciales et où la ségrégation était encore largement répandue. Dans ce contexte, où la musique peut jouer presque le même rôle que la boxe pour s’extraire d’une condition sociale racialisée, la bonne étoile du jeune Quincy brille de tous ses feux.
A Seattle, où sa famille déménage et où il passe du piano à la trompette, il rencontre Clark Terry, l’un des meilleurs souffleurs de l’époque, lors d’une visite avec le groupe de Count Basie. Mais c’est surtout sa rencontre avec Ray Charles qui le marque, à l’âge de 16 ans. Les années 40 touchent à leur fin et l’amitié qui lie les deux amis – Charles, de 3 ans son aîné, lui apprend les premières bases de la musique. l’écriture – se transformera en concerts dans les clubs de la ville, en héroïne trafiquante de drogue en commun et, plus tard, en plusieurs collaborations sur des enregistrements.
Mais le train Quincy Jones avance à grande vitesse. Il obtient une bourse au Berklee College of Music de Boston à l’âge de 18 ans, mais c’est en rejoignant le big band de Lionel Hampton que le jeune musicien passera l’épreuve du feu et de la notoriété. À partir de là, sa carrière s’est transformée en un perpétuel feu d’artifice. Dans les années 1950, il écrit des arrangements pour toutes les stars de l’époque, sautant dans le bateau de Dizzy Gillespie, le trompettiste le plus en vue du moment.
Élève de Nadia Boulanger
Dans cette agitation frénétique, il prend cependant le temps de se rendre en France, à Paris, notamment pour suivre les cours de la célèbre professeure Nadia Boulanger, à qui il laisse de très bons souvenirs. «J’ai enseigné à deux génies au cours de ma vie. L’un d’eux est Igor Stravinsky. Et l’autre est Quincy Jones. Il profite de son séjour pour travailler pour le label d’Eddie Barclay et écrit des arrangements pour Henri Salvador, Charles Aznavour, Jacques Brel…
Il connaît quelques revers au début des années 1960 qui ralentissent son ascension. Mais l’échec de son propre big band n’est qu’un accident au cours de sa trajectoire stratosphérique de créateur de tubes de jazz. Une poussée sans limite : la version qu’il a arrangée pour « Fly Me To The Moon » chanté par Sinatra (sur un album de 1964) sera la première musique diffusée dans l’espace lors des missions spatiales Apollo 10 et 11.
Au début des années 1970, il faisait définitivement partie de la crème des musiciens américains, une sorte de maître réputé pour sa connaissance du swing, sa capacité à dynamiser n’importe quel morceau de musique. En 1974, il y a à peine un demi-siècle, Quincy Jones frôlait la mort pour la première fois. Victime d’une rupture d’anévrisme, il s’est parfaitement rétabli mais ne touchera plus trop à sa trompette.
Avec Michael Jackson
Les années 70 le voient entamer sa plus célèbre collaboration, celle avec le jeune prodige Michael Jackson, rencontré sur le tournage de « The Wiz », adaptation du « Magicien d’Oz » de Sidney Lumet. Le producteur prend alors un nouveau virage pop, sorte de Saint Graal recherché lui aussi par Miles Davis. Trois albums en résulteront. L’excellent et tonique « Off the Wall » en 1979, puis le monstrueux et irrésistible « Thriller » en 1982, album le plus vendu de tous les temps avec quelque 70 millions d’exemplaires.
En 1987, « Bad », autre succès, conclut l’association entre les deux hommes, même si Quincy Jones co-organise en 1985 l’enregistrement de la chanson caritative « We Are The World », écrite par Michael Jackson et Lionel Richie.
La cinquantaine, « Q », surnom qu’il doit à Sinatra, avait encore le nez creux et, dès la fin des années 1980, tentait de combler le fossé entre jazz, pop et hip-hop naissant avec l’album « Back on the Block » qui rassemble trois générations de musiciens autour de son chef : Ella Fitzgerald, Miles Davis, Sarah Vaughan, Dizzy Gillespie aux côtés d’Ice-T, Big Daddy Kane et Dionne Warwick, Barry White, Chaka. Khan, Bobby McFerrin et Al Jarreau !
Dans le même temps, Quincy Jones rencontre enfin l’un des plus fervents promoteurs du jazz en Europe : Claude Nobs, patron du Montreux Jazz Festival qui partage cette vision d’une musique métissée, exploratrice, sans tabous de genre. L’émotion s’est transmise entre les deux hommes et les éditions de 1991, 1992 et 1993 se sont transformées en coproduction avec le producteur américain, sponsor de l’événement, qui a réussi à convaincre Miles Davis de jouer ses anciens titres lors d’une soirée exceptionnelle, le le 8. Juillet 1991.
Le budget du festival augmente fortement au cours de cette étroite collaboration – de 5 à 7 millions de francs – mais débouchera sur une camaraderie amicale d’une fidélité sans faille et de projets, d’idées, de contacts communs. Même à un âge avancé, Quincy Jones a gardé intact son amour du spectacle vivant et on le voyait assister chaque année à toutes sortes de concerts, sans oublier celui d’Elton John en 2019. Pour Mathieu Jaton, actuel directeur de la MJF, la bonhomie de le personnage se traduit en image. « Quincy qui arrive à l’entrée du Palais, qui descend de sa voiture, qui te fait un énorme câlin et qui te dit : je suis de retour à la maison.»
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