Henri-Paul Rousseau n’avait jamais abordé publiquement la douloureuse crise des billets de trésorerie de 2007, qui avait ébranlé la Caisse de dépôt qu’il dirigeait alors.
Publié à 1h23
Mis à jour à 5h00
Mais dans une interview, il m’a dit aujourd’hui qu’il n’avait aucun regret, même si le Fonds était l’un des maillons centraux de cette tempête de 32 milliards de dollars. La restructuration du secteur, dont il a été l’architecte, a permis d’éviter le pire, affirme-t-il.
M. Rousseau, aujourd’hui délégué général du Québec à Paris, reconnaît qu’il y a « eu des erreurs », mais maintient que « les erreurs ont été corrigées ».
En 2007, la Caisse de dépôt détenait environ 13 des 32 milliards de dollars de papiers commerciaux non bancaires. Grâce à la restructuration, dit Henri-Paul Rousseau, la Caisse a finalement récupéré 95 % de ses factures après quelques années, intérêts compris.
Sans cet accord de Montréal, auquel ont participé plusieurs banques internationales, affirme-t-il, des institutions comme la Banque Nationale et le Mouvement Desjardins auraient souffert.
« Je le sais parce qu’ils me l’ont dit et ils l’ont dit publiquement. Si nous n’avions pas fait la restructuration que nous avons faite… La restructuration a permis à nos institutions de s’en sortir, la Banque Nationale et Desjardins, et nos grandes banques canadiennes aussi.
«Et sans la restructuration, le Canada aurait été à l’origine en 2007 de la crise financière mondiale qui a finalement eu lieu en 2008», m’a dit en entrevue M. Rousseau, qui dit avoir reçu l’aide de Mark Carney à l’époque (alors adjoint gouverneur de la Banque du Canada, devenu gouverneur en 2008).
La crise du papier commercial adossé à des actifs (ABCP) s’est déclenchée en août 2007 lorsque les institutions financières n’ont pas voulu fournir les liquidités nécessaires pour assurer la poursuite des achats et des ventes de ces titres à court terme, en raison d’une crise de confiance. Chaque papier commercial non bancaire était constitué de multiples tranches de titres d’entreprises cotées en bourse, mais aussi de tranches de prêts hypothécaires très risqués et peu connus (subprime).
L’accord a permis de dénouer les billets de trésorerie dont la maturité était de 3 mois et de convertir la durée des nouveaux titres créés à 7 ans. Selon M. Rousseau, les investisseurs qui ont été patients et ont attendu le terme de 7 ans avant de monétiser les titres ont peu perdu.
À l’époque, les négociations avec les institutions financières mondiales étaient très difficiles et extrêmement complexes. Le PDG a dû jouer toutes ses cartes.
J’avais 40% du poste et je l’ai utilisé. Nous avons perdu l’avantage 7 à 8 fois, et à chaque fois, j’ai appelé le bluff en disant : « Si tu pars, je pars aussi. Et à chaque fois, ils ont accepté de faire des compromis.
Henri-Paul Rousseau, former CEO of the Caisse de dépôt
Henri-Paul Rousseau en ressort épuisé. « J’en suis ressorti brûlé, épuisé physiquement, car c’était le jour et la nuit pendant un an. Cette histoire n’a jamais été expliquée », dit-il.
« La conclusion est que nous avons été bons, mais nous avons eu de la chance. Et personnellement, je dors en paix. Je dors bien, parce que je sais ce que nous avons fait. Puis-je changer l’opinion publique à ce sujet ? Non, mais ce n’est pas une bataille que nous menons. »
Pour les curieux, vous devriez relire l’excellent dossier publié dans La presse en 2017 ou encore l’enquête sur la gestion du Fonds publiée en 2009.
Lire le dossier « Crise de 2008, ABCP : une catastrophe mondiale évitée »
Lire l’article « Caisse de dépôt : PCAA acheté avec de l’argent emprunté »
Lire l’article « PCAA : la Caisse a agi des deux côtés de la barrière »
Henri-Paul Rousseau salue la stratégie Macron
Selon l’actualité, la France a de quoi effrayer les investisseurs. Un déficit record, une économie stagnante et un pouvoir politique fragmenté risquent de décourager les plus audacieux.
Ce n’est cependant pas la perception qu’a le nouveau délégué général du Québec à Paris, Henri-Paul Rousseau, entré en fonction en juillet. Au contraire, celui qui fut PDG de la Caisse de dépôt et placement estime que la période est propice au maillage avec les entreprises en France, la France étant à l’aube d’avancées majeures.
« L’économie française se transforme à une vitesse vertigineuse. M. Macron, avec l’aide des secteurs privé et public, a vraiment donné un coup de fouet à l’entrepreneuriat français », m’a dit M. Rousseau dans une interview.
La France a modifié son Code du travail et allégé sa réglementation, si bien qu’elle est le pays où l’attractivité des investissements a été la plus forte ces dernières années en Europe, explique-t-il.
Le projet du président Emmanuel Macron a libéré l’entrepreneuriat, me dit cet homme de 76 ans, qui se dit chanceux d’être en bonne santé et encore plein d’énergie.
Henri-Paul Rousseau me parle de la « French Tech » et du lancement du programme France 2030, porté par les milieux de l’entreprise et de la recherche.
Ce programme de 50 milliards d’euros lancé en 2017 vise notamment à restaurer la compétitivité de la France et à stimuler son innovation. Cela touche entre autres les secteurs de la technologie, de l’énergie et de la pharmacie.
Les observateurs ont des raisons d’être sceptiques quant au dynamisme de la France. Le pays est politiquement divisé, son PIB croît au taux annuel de seulement 1,3% et son déficit public est énorme.
Trois fois le déficit du Canada
Le déficit de l’ensemble des administrations publiques françaises dépassera les 6 % cette année, bien loin de la norme de 3 % exigée par l’Union européenne. Cette situation a poussé l’agence Moody’s à attribuer une perspective négative à la note de crédit de la France, qui est de Aa2.1.
En comparaison, les administrations publiques du Canada (fédérale, provinciale et municipale) accusent cette année un déficit de 1,7 %, soit trois fois moins.
Pour sortir de cette impasse, le nouveau gouvernement dirigé par le Premier ministre Michel Barnier propose un budget où les 60 milliards d’euros nécessaires pour revenir à un déficit de 5% du PIB seraient couverts aux deux tiers par des coupes dans les dépenses et par des tiers. par des augmentations d’impôts.
Le gouvernement étant minoritaire, il est envisagé qu’il utilise l’article 49.3 de la Constitution pour l’adopter.
Les statistiques disent que la consommation ne se porte pas très bien. Nous ne connaissons pas une croissance incroyable, c’est vrai. Mais en même temps, culturellement, les choses évoluent en France. Et ce sont des touches d’espoir.
Henri-Paul Rousseau, délégué général du Québec à Paris
L’économiste me cite une étude récente de JP Morgan qui conclut que le contexte géopolitique est un mauvais indicateur de l’évolution économique et boursière des pays occidentaux. « Les gens d’affaires, leur pain et leur beurre, c’est l’incertitude », dit-il.
Le programme France 2030 s’inscrit en cohérence avec Horizon Europe, le plus grand programme de financement de la recherche et de l’innovation au monde.
Selon M. Rousseau, les relations entre les entreprises québécoises et françaises se développent beaucoup autour de ce virage de l’innovation. Parmi ceux qui y sont actifs, il mentionne l’entreprise de stockage d’énergie Evlo, Hydro-Québec, le producteur d’énergie éolienne Boralex (3e en France) ou la société Lithion (recyclage de batteries lithium-ion).
«Beaucoup de nos entreprises ont eu le bon sens de s’en tenir à ces programmes», dit-il.
Au total, il y a 380 entreprises québécoises en activité en France, que l’on pense à CGI, Power Corporation ou autres. A l’inverse, 500 entreprises françaises sont présentes au Québec, dont 75 % des 40 entreprises qui composent l’indice boursier parisien CAC 40.
Un réseau Québec-France 200
Selon M. Rousseau, la situation géopolitique tendue que connaît la planète rend les réseaux encore plus importants. Et à cet égard, il juge essentiel que les grandes entreprises québécoises s’allient à des partenaires français. Ce type de réseau est de nature à accroître nos exportations et à faire naître ici des projets d’investissements français.
Le financier en sait quelque chose. Avec l’entrepreneur Charles Sirois, il fonde en 2007 le réseau QG 100, sous le nom de « Québec global 100 ». Aujourd’hui, 108 entreprises sont membres, sur invitation, des entreprises lauréates, présentes sur au moins deux continents et rentables depuis au moins 5 ans.
« Ce groupe a développé une fraternité d’échange, avec une retraite stratégique annuelle, où sont présents des conseillers experts. Mon rêve, c’est de faire la même chose entre les entreprises du Québec en France et celles de France qui sont ici. Cela pourrait s’appeler France-Québec 200», a-t-il déclaré.
Espérons qu’Henri-Paul Rousseau dise la vérité. Et que son rêve aide nos entreprises à se recentrer davantage sur la France et l’Europe et à prospérer.
1. Il s’agit d’une note similaire à celle du Québec (qui n’est pas sous perspective négative), mais deux rangs en dessous de celle du Canada, qui a la plus élevée possible, Aaa.