Dans les pays de l’ancien bloc communiste, lorsqu’un gouvernement sentait qu’il avait des problèmes de popularité, il baissait le prix du pain. Au Canada, un gouvernement qui se sent en danger de perdre ses élections promet un train à grande vitesse. Projet qui commence forcément, bien entendu, par une étude coûteuse.
Publié à 1h08
Mis à jour à 9h00
Mais si le Canada est le seul pays du G7 à ne pas avoir au moins un projet TGV, il doit être le champion mondial des études TGV.
Dès les années 1970, le maire de Montréal, Jean Drapeau – perpétuellement à la recherche de « grands projets » – proposait un TGV entre Montréal et New York. L’idée a été rapidement abandonnée car il y a si peu de population entre la frontière canado-américaine et Albany – une zone qui constitue les deux tiers du tracé – que le projet était tout simplement extravagant.
L’époque où un projet sérieux aurait pu se concrétiser, c’était en 1989, alors que l’ancien ministre péquiste Denis de Belleval était président de VIA Rail et que le conseil d’administration avait approuvé le projet. Mais le gouvernement Mulroney et le Conseil du Trésor fédéral ont remis en question les études de VIA et ont fini par faire échouer le projet.
Le gouvernement de Jean Chrétien, par la voix de son ministre des Transports David Collenette, a annoncé en grande pompe en 2003 un projet baptisé Renaissance II, qui devait relier Québec à Windsor à grande vitesse. Le feu vert final du Conseil des ministres n’a jamais été donné, mais M. Collenette a ensuite connu une brillante carrière comme consultant TGV pour le gouvernement de l’Ontario.
Depuis, il y a eu une trentaine d’études sérieuses, mais jamais de résultats concrets. Mais lorsque les politiques cherchent un projet qui pourrait plaire, ils ressuscitent souvent le TGV.
Comme les premiers ministres provinciaux Jean Charest et Dalton McGuinty, en 2008, qui ont commandé une autre étude sur la question. Aucun suivi.
Vers 2018, l’Ontario a également étudié un TGV pour le sud de l’Ontario dans l’axe Toronto-Londres-Windsor. L’idée est venue du gouvernement libéral ; il fut abandonné par l’élection d’un gouvernement conservateur. Trop cher, donc pas de suivi.
Il y a aussi eu des projets de TGV américains entre Montréal et Boston, pour relier le Canada au réseau Amtrak aux États-Unis, et entre Vancouver et Seattle. Pas de suite, évidemment.
Bref, les Canadiens ont toutes les raisons d’être sceptiques quand on voit le gouvernement Trudeau – en retard de 20 points dans les sondages, faut-il le rappeler – promettre un TGV à un an d’élections qui s’annoncent difficiles.
Car malgré tout, le projet reste populaire. Lors d’un récent sondage, pas moins de 92 % des répondants ont déclaré préférer le TGV au train à haute fréquence (TGF) proposé par l’ancien président de VIA Rail, Yves Desjardins-Siciliano.
Mais il y a aussi le fait qu’il est facile de minimiser les difficultés liées à la création d’un réseau de trains à grande vitesse dans un pays où la concertation, l’acceptabilité sociale et la protection de l’environnement font partie intégrante de tout processus décisionnel.
On craint également les dépassements de coûts inhérents aux grands projets. Le seul projet de TGV actuellement en construction en Amérique du Nord se trouve en Californie et constitue l’exemple à ne pas suivre. Nous parlons actuellement d’un projet qui coûtera au moins 100 milliards de dollars de plus que prévu initialement, et ce montant continue d’augmenter.
De même, le projet – dont la construction a débuté en 2015 – devait être prêt en 2020, mais on parle désormais de 2030, voire 2033.
Il n’est même pas certain que les gares actuelles soient adaptées, voire adaptables aux TGV. Rappelons que la société Alstom, promoteur d’un des projets de TGV au Canada, a évoqué le scénario de la construction d’une « Gare du Nord » au nord du Mont-Royal et non à l’actuelle Gare Centrale, située en centre-ville.
De plus, nous devons prendre soin de ce qui existe actuellement. Au Canada, contrairement à la plupart des pays, dont les États-Unis, les trains de voyageurs n’ont pas la priorité sur les trains de marchandises. Les trains actuels de VIA circulent sur les rails du Canadien National, qui n’a aucune obligation envers eux.
En revanche, Amtrak – la société américaine VIA Rail – possède la quasi-totalité des voies ferrées du Northeast Corridor (en gros, de Boston à Washington, le corridor le plus fréquenté d’Amérique et qui dessert également les trains de marchandises) et en assure l’entretien.
Avant même de penser à un TGV – ou même à un train rapide et efficace comme l’Acela d’Amtrak qui peut atteindre plus de 200 km/h – beaucoup de travail attend les développeurs et les gouvernements.
Avant de penser sérieusement au TGV, le Canada a beaucoup de devoirs à faire.
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