trente ans après le génocide des Tutsi, Paul Kagame pointe du doigt la communauté internationale

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Le président rwandais Paul Kagame a rallumé la flamme du Mémorial de Gisozi, où reposent les restes de 250 000 victimes du génocide des Tutsi, le 7 avril 2024. LUIS TATÔ / AFP

Kigali est resté silencieux dimanche 7 avril. Dans les rues désertes, les magasins gardaient leurs rideaux fermés. Pas une moto-taxi rouge stationnée au bord des trottoirs. Même les cloches des églises ne sonnent plus. Bouclée quelques heures par la police, la capitale rwandaise a commémoré le trentième anniversaire du génocide des Tutsi. “Kwibuka”informer les autorités : ” Souviens-toi “ du 7 avril 1994, date à laquelle le pire crime a commencé. ” Souviens-toi “ comment, pendant trois mois, des Rwandais ont méticuleusement massacré au moins 800 000 autres Rwandais.

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Alors que des charniers continuent d’être découverts dans le pays, Kigali ne l’oublie pas, même si le Rwanda a profondément changé au cours des trois dernières décennies. Désormais réputée pour son ordre, son asphalte impeccable et ses bosquets parfaitement taillés, la capitale est devenue la vitrine du destin extraordinaire de ce pays africain des Grands Lacs, symbole de son développement fulgurant sans égal sur le continent, de sa réussite économique. et son modèle politique.

Un homme, aussi adoré que décrié, porte cette renaissance : Paul Kagame, 66 ans dont une trentaine à la tête du Rwanda. Un leader à la gouvernance autoritaire qui brigue à la mi-juillet un quatrième mandat qu’il ne risque guère de perdre. C’est lui qui, à la tête du Front patriotique rwandais, mit fin au génocide en juillet 1994 en prenant le pouvoir à Kigali, traquant puis traquant les responsables des massacres. Lui encore qui, trois décennies plus tard, a rallumé la flamme du Mémorial de Gisozi, où reposent les restes de 250 000 victimes du dernier génocide du XXe siècle.e siècle.

La communauté internationale pointée du doigt

Puis les commémorations officielles se sont poursuivies à la BK Arena, une immense enceinte aux murs, plafonds et sols recouverts de noir pour l’occasion. La salle, où 5 000 personnes s’étaient rassemblées, n’était éclairée que par une œuvre symbolisant un arbre dont « les racines représentent la mémoire du passé » et les branches, « la protection que les familles n’avaient pas pendant le génocide et sur laquelle elles peuvent désormais compter »selon le gouvernement rwandais.

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A la BK Arena de Kigali, où se sont déroulées une partie des commémorations du génocide.

A la BK Arena de Kigali, où se sont déroulées une partie des commémorations du génocide. GUILLEM SARTORIO / AFP

Le danger de génocide est une question d’actualité, a expliqué Paul Kagame dans un discours offensant de plus d’une demi-heure, en réponse aux accusations de la communauté internationale. Alors que plusieurs rapports attestent du soutien actif de Kigali à la rébellion du Mouvement du 23 mars, qui a repris son offensive dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), le Rwanda est sommé par plusieurs États, dont la France, de cesser de fournir de l’aide à les insurgés. Le président rwandais a, en substance, invoqué le droit, voire la nécessité, de se défendre. « Nous assistons à une indifférence similaire à celle qui a prévalu entre 1990 et 1994. Attendons-nous un autre million de morts ? »avait prévenu, avant lui, Jean-Damascène Bizimana, le ministre de l’unité nationale et de l’engagement civique.

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Après 1994, « Les forces génocidaires ont fui vers la RDC, avec une aide extérieure. Ils ont mené des centaines d’attaques en cinq ans. Les survivants sont toujours dans l’est du Congo (…). Leurs objectifs n’ont pas changé et la seule raison pour laquelle leur groupe, connu sous le nom de FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda], n’a pas été démantelé, c’est parce qu’il sert des intérêts secrets », a déclaré le président. Il a ajouté que « Le Rwanda assume toutes ses responsabilités pour sa propre sécurité. Nous y prêterons toujours la plus grande attention, même si nous sommes seuls. ».

De plus en plus critique à l’égard du pouvoir rwandais, la communauté internationale a été particulièrement ciblée par le dirigeant rwandais. ” C’est [elle] qui nous a tous laissé tomber, que ce soit par mépris ou par lâcheté. », a-t-il déclaré devant onze chefs d’État et de gouvernement. Plusieurs anciens présidents étaient présents, dont Bill Clinton, au pouvoir à Washington pendant le génocide, et Nicolas Sarkozy, venu à titre personnel, son rôle d’administrateur du groupe Accor l’emmenant régulièrement à Kigali.

Coin-coin à l’Elysée

La France, que Paul Kagame a accusée à plusieurs reprises par le passé de complicité dans le génocide, a été particulièrement pointée du doigt. Le président rwandais a notamment évoqué le cas de Callixte Mbarushimana, qui serait impliqué dans le meurtre de plusieurs dizaines de personnes lors du génocide, dont un cousin de Paul Kagame, et vit toujours en France.

Arrêté à la demande de la Cour pénale internationale pour des crimes contre l’humanité commis dans l’est de la RDC en 2009, cet ancien employé des Nations Unies a été libéré faute de preuves en 2011 après un an de détention. Il est rentré en France où il bénéficie du statut de réfugié politique depuis 2003, malgré une information judiciaire ouverte après une plainte pour génocide déposée par le collectif des parties civiles pour le Rwanda en 2008. La France n’a commencé à juger des génocidaires présumés qu’en 2014. , à raison de deux essais par an. Une lenteur de la justice que regrettent les autorités rwandaises et les ONG de défense des droits humains.

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Aucun président français actuel n’a assisté au lancement des commémorations du génocide depuis trente ans. Emmanuel Macron a décidé que, pour le trentième anniversaire non plus, le plus haut niveau de l’État ne serait pas à Kigali, arguant d’un “problème de calendrier” puisqu’il se trouvait au même moment sur le plateau des Glières, en Haute-Savoie, pour rendre hommage aux résistants de la Seconde Guerre mondiale. Il a chargé Stéphane Séjourné, son ministre des Affaires étrangères, et Hervé Berville, son secrétaire d’État à la Mer, d’origine rwandaise, de s’y rendre, signe que la relation entre Paris et Kigali n’est toujours pas complètement apaisée.

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En 2021, une étape majeure a été franchie. Un discours d’Emmanuel Macron a permis de reconnaître le « une responsabilité écrasante [de la France] dans une spirale qui a conduit au pire », mais sans évoquer la complicité ou la culpabilité. Ces propos inédits ont permis de mettre fin à vingt-cinq ans de crise diplomatique. Cette année, la France n’a pas voulu aller plus loin. « Je pense avoir tout dit le 27 mai 2021, lorsque j’étais parmi vous. Je n’ai aucun mot à ajouter, aucun mot à soustraire à ce que je vous ai dit ce jour-là… Et vous dire que ma volonté, celle de la France, c’est que nous continuions à avancer ensemble, main dans la main. la main “a déclaré le président français dans une vidéo diffusée dimanche.

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Des propos qui sonnent comme un retour en arrière après les éléments de langage que l’Elysée avait divulgués jeudi. « Le Chef de l’Etat rappellera notamment que, lorsque commença la phase d’extermination totale contre les Tutsi, la communauté internationale avait les moyens de connaître et d’agir. (…) et que la France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n’en avait pas la volonté », fut-il alors écrit. Dimanche, avec brio, Paul Kagame a fait connaître son mécontentement à Paris. Et de conclure à l’égard de l’ensemble de la communauté : « Notre peuple ne sera plus jamais – je dis bien jamais – laissé pour mort »

Anna Sylvestre-Treiner(Kigali, envoyé spécial)

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