Le combat final d’Arlette Laguiller, candidate pour la dernière fois

Le combat final d’Arlette Laguiller, candidate pour la dernière fois
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Ses cheveux noirs s’éclaircissent. Elle enlève rarement ses lunettes et s’appuie parfois sur une canne, la faute à un genou capricieux. « J’espère que ce sera ma dernière campagne ! confie Arlette Laguiller, assise près d’une fenêtre, dans une brasserie de Pantin (Seine-Saint-Denis). J’ai cédé à mes camarades. Je suis en 81ème et dernière position [non éligible] sur la liste Lutte ouvrière (LO) pour les élections européennes. Pour montrer que ce sont toujours mes idées et que je suis toujours là. » Elle montera même sur scène à Paris, fin avril, pour une réunion de lancement à la Mutualité. Mais le tour de France effectué par Nathalie Arthaud, tête de liste et porte-parole de LO, sera épargné.

Enveloppée dans une longue doudoune à capuche, cachant ses mains sous la table au début de notre rencontre, « Arlette » s’anime lorsqu’on lui demande si elle n’a pas le sentiment que la « classe ouvrière » qu’elle défend toute sa vie, a progressivement disparu.

“Bien sûr que non”, grogne-t-elle, les bras levés, révélant un pull rouge tomate. Il y a encore 5 millions de travailleurs en France [5,1 en 2020 selon l’Insee]. Mais je soutiens autant les travailleurs de ce pays que les travailleurs de l’Est, produisant pour Renault ou Stellantis. Nous sommes les seuls à dire qu’il faut prendre l’argent des riches et tous les bénéfices du Cac 40. Nous sommes des révolutionnaires, nous voulons construire une autre société, pour le bien des travailleurs et de la planète. L’eau tiède des partis de gauche, ce n’est pas nous. »

Cette nouvelle est un stimulant plus puissant que le café. Beaucoup de choses peuvent la mettre en colère. C’est ce qui la maintient debout !

Les insoumis de Jean-Luc Mélenchon, amateurs de bruit et de fureur, sont classés parmi les faibles. « Ils prétendent qu’au pouvoir, ils réformeront tout mais ne le feront pas. Le monde changera si la classe ouvrière bouge, ce qui est rarement le cas aujourd’hui. » Son petit mouvement trotskyste, à l’esprit de clan, serait le seul à vouloir « renverser la situation » dans la France d’Emmanuel Macron, dont, eh bien, elle n’apprécie guère les orientations. Le chef de l’Etat mènerait selon elle la politique que les “capitalistes, le Cac 40, lui disent de mener”, et voudrait “faire payer les travailleurs pour combler le déficit budgétaire de l’Etat”. Pas de doute, Arlette est toujours là.

Agacée par les problèmes récurrents d’ascenseur, elle a quitté il y a deux ans son célèbre deux pièces perché au treizième étage d’une tour HLM aux Lilas, en région parisienne, pour un appartement à proximité. Les habitudes demeurent. Le petit déjeuner est pris avec France Info ou France Inter en fond sonore et la télé est souvent allumée avec l’interview politique de France 2. La nouvelle agit comme un stimulant plus efficace que la caféine. « Le matin, il y a tout un tas de sujets qui peuvent me mettre en colère. C’est ce qui me fait tenir, cette colère, même quand je suis fatigué. » L’Ukraine, Gaza, ça la relance. Sans parler des « attaques contre les travailleurs, des droits des chômeurs menacés, des économies d’État futures, de la surveillance des arrêts maladie… »

Le reste après cette annonce

On me trouve dépassé et démodé par mes idées… Et le Pape, alors ?

Arlette Laguiller

La retraitée du Crédit Lyonnais passe encore le mercredi dans les bureaux de LO pour relire le journal du parti qui porte toujours son nom. Sur X (ex-Twitter) et Facebook, Arlette Laguiller relaie principalement les sorties de son protégé, dont elle est « très fière ». « Je n’écris pas, j’aime et je retweete, c’est ce qu’on dit, non ? » Ce 20 mars, Nathalie Arthaud est également sur BFMTV lorsque la matriarche s’installe dans la brasserie, à Pantin. “Ça s’est bien passé, BFM ?” demande-t-elle au responsable de la communication de LO. Combien a-t-elle reçu ? Dix minutes ? Ah, c’est bien qu’elle ait eu ce temps. »

Créditée de 1% dans les sondages (près de 6% à la présidentielle de 2002), Lutte ouvrière peine à exister sans sa mascotte historique. « Ce n’est pas plus dur qu’à mes débuts », rétorque la première femme candidate à la présidence de la République française. Nous sommes encore plus nombreux ! Le communisme révolutionnaire doit résister. Dans la population, il y a des poches de résistance, mais pas de révolte. Le monde du travail a été tellement déçu par les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, qu’ils sont prêts à se rabattre sur « celui qu’on n’a jamais essayé », Marine Le Pen. Nous allons lutter contre ces idées, pour une Europe dirigée par les travailleurs et non par les capitalistes. »

Son discours n’a pas changé d’un iota ou presque, comme certains le lui faisaient déjà remarquer il y a vingt-cinq ans. « Les gens me trouvent démodé et démodé pour mes idées… Et le Pape, alors ? » répondit-elle, bravade.

Ma fidélité aux idées est ce qui touche les gens. Honnêteté morale et intellectuelle, ne pas avoir de problèmes.

Arlette Laguiller

Elle reste persuadée que c’est cette constance qui la rend si populaire, et non sa sympathique marionnette des Guignols de l’info. « Six fois candidat à la présidentielle ! On peut s’en moquer, mais quand on n’est candidat qu’une seule fois, on vous oublie. Quant à moi, les gens n’ont jamais pu m’oublier. Tous les sept ans, puis tous les cinq ans, même avec plus de rides, j’y étais ! On me parle souvent de ma fidélité aux idées, c’est ça qui touche les gens. Honnêteté morale et intellectuelle, ne pas avoir de problèmes. C’est l’image que je véhicule. Les gens me disent aussi « Et pourquoi c’est plus toi ? En tête de liste à 84 ans ? Biden et Trump ne s’embêtent pas, mais bon… J’ai fait une émission de radio récemment, j’ai eu beaucoup de retours – « Ah, Arlette est toujours là ! Est-ce que ces gens voteraient autant pour moi, enfin… pour nous ? Je ne sais pas. »

Un croissant, un verre d’eau, et le candidat se dirige vers le canal de l’Ourcq, à deux pas, pour quelques photos. Parmi les joggeurs qui la saluent parfois d’un petit geste, elle nous tend le dernier numéro de l’hebdomadaire « Lutte ouvrière », tamponné de la faucille et du marteau. Puis il met son nez dans son sac à main. “Je cherche des cartons d’invitation à vous remettre pour la grande fête annuelle du mouvement, à Presles, à la Pentecôte.” Arlette ne perd pas ses repères.

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Le candidat trotskyste au défilé du 1er mai 1974. Elle a 34 ans.

Paris Match / © Jean-Claude Deutsch

On repense alors à cette femme de 34 ans qui est apparue à la télévision un soir d’avril 1974 pour s’adresser aux Français. “Eh bien oui, je suis une femme, et j’ose me présenter comme candidate à la présidence de cette République des hommes”, déclamait-elle, le regard noir fixé sur la caméra et coupée “au garçon”, comme on disait alors. « C’est légal et pourtant ça choque, ça paraît étrange, même aux hommes de gauche. Et ça doit l’être, puisque je suis le seul. » Cette première candidature n’était pas son plus grand succès électoral (2,3%), mais c’était sa « fierté ». « J’ai posé très clairement en 1974 le problème de la condition des femmes. De toutes les femmes, car, dans la bourgeoisie, elles sont autant, sinon plus, méprisées par leurs compagnons que dans la classe ouvrière. Tous les partis ont commencé à en parler après mon apparition à la télévision. »

Aujourd’hui, l’ancienne militante pro-avortement s’enthousiasme quant à l’inscription de l’avortement dans la Constitution le 4 mars. « C’est un peu une blague, les moyens n’y sont pas pour que les femmes puissent en avoir un bon usage. » C’est cette même conviction féministe qui l’a conduite à garder fermée la porte de sa vie privée, alors que chaque élection présidentielle est un concours de photos de famille. Arlette Laguiller, jamais mariée, n’a jamais voulu d’enfants. L’activisme prend trop de place. Mais elle partage sa vie depuis quarante ans avec le même homme. « C’est un militant de LO. C’était un ouvrier, il faisait beaucoup de choses. Je n’en dirai pas plus. J’ai toujours trouvé bizarre de présenter l’autre, comme si qui l’on était dépendait de la personne avec qui on vit ou couche. Chacun est responsable de lui-même, pas de son partenaire. Je me suis toujours senti indépendant, même avant la politique. Nous étions un petit groupe de filles du quartier, très dures avec les hommes. Nous nous sommes défendus et avons voulu exister par nous-mêmes. »

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Arlette Laguiller à Pantin, près du canal de l’Ourcq, où se trouvent les locaux de Lutte ouvrière, le 21 mars.

Paris Match / © Frédéric Lafargue

La pasionaria de Lilas ne déambule plus dans les boutiques parisiennes comme elle aimait le faire, mais s’autorise de temps en temps à aller au théâtre. Lorsqu’elle ne répond pas aux mails ou n’assiste pas aux réunions des « camarades » du Crédit Lyonnais, elle s’offre une escalope de veau au citron, dans un restaurant italien de sa ville. Dans la journée, elle se plonge dans plusieurs livres, qu’elle lit selon les moments. A la maison, comme dans le vers de « L’Internationale », « Le fainéant restera ailleurs »… Sur sa table de chevet, « Warda », l’histoire d’une jeune femme qui a mené une guérilla d’hommes dans le sultanat d’Oman, dans les années 1960. « Elle se bat et tient un journal, suivant l’actualité. Cela me ramène à mes débuts militants, à l’époque de la guerre d’Algérie. Et me ramène à ma jeunesse, ce qui n’est pas désagréable. »

Le 9 juin, après plus de 200 meetings, près de soixante-dix ans d’engagement et un record de six candidatures présidentielles, elle se présentera pour la dernière fois devant les électeurs. Son dernier combat ?

 
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