L’apparente désinvolture de l’artiste et son nouveau disque cachent une profondeur insoupçonnée
(Paris) L’insaisissable Philippe Katerine continue de nous jouer des tours avec ses nouvelles chansons, quoique moins roses que ses mignons mecs aperçus à Montréal et à Québec l’été dernier. Dans une interview à Paris, il évoque le scandale provoqué par son personnage de Schtroumpf dionysiaque dans le spectacle d’ouverture des derniers Jeux olympiques et sa volonté d’apporter de la rondeur à un monde durci.
Canal Factory, à l’ouest de Paris, abrite les plateaux de tournage de plusieurs programmes du Groupe Canal+. Philippe Katerine y est enfermé depuis une bonne heure dans un studio déguisé en appartement. Il enregistre un épisode deEn apartéune émission durant laquelle une personnalité répond aux questions d’un journaliste qui n’est pas dans la même pièce qu’elle et que les téléspectateurs entendent en voix off.
L’artiste, surtout connu comme chanteur au Québec, se prête au jeu de bonne grâce. Comme le veut la tradition, le spectacle se termine par une chanson choisie par l’invité. Philippe Katerine pose sur la platine un vinyle d’un certain Daniel Johnston. “Il ne savait pas tellement jouer de la guitare ni tellement chanter”, prévient-il, alors qu’on entend les premières mesures d’un folk rock effectivement très proche de l’obscur auteur-compositeur Américain.
Ce choix n’est guère surprenant. Ce qui aurait été surprenant, c’est plutôt que l’improbable icône de la pop française ouvre son âme en proposant une chanson qui l’émeut depuis l’enfance.
Il dit aimer le côté DIY des chansons de Johnston, cette envie de créer « sans savoir exactement ce qu’on fait ». “C’est un peu ce que je fais aussi”, ajoute-t-il de ce ton désinvolte et doux qui était déjà le sien lorsqu’il jouait le dandy et chantait Va te faire foutre à la fin des années 1990.
Jeu de piste
La journée a été longue pour Philippe Katerine. Le matin même, il était toujours à Bruxelles, où il avait donné plusieurs interviews pour parler de son nouveau recueil de chansons publié début novembre. Son album s’appelle Zouzou. C’est le nom de son chien. Non que cela soit particulièrement révélateur du contenu des 17 morceaux bricolés par l’auteur de La bananequi bouscule ici les codes de la pop groovy et du hip-hop avec un sourire narquois farouche.
Juste dans Sous mon boble morceau qui ouvre le disque, il fait des clins d’œil au rappeur Snoop Dogg, au duo français PNL et à la flûte irlandaise de Mon coeur continuerala chanson thème du film Titanesque. Il fait des histrioniques à fond en s’adressant à son pénis (Que deviens-tu ?), s’amuse tout autant sur Total Ouest (expression qui signifie « hors de propos »), où, sur un rythme inspiré du reggaeton, il abuse du logiciel AutoTune comme beaucoup d’artistes pop aujourd’hui. « J’écoute beaucoup la radio et j’y découvre beaucoup de choses », dit-il en affichant un de ces sourires pleins de sous-entendus dont il est habitué.
Selon lui, Philippe Katerine n’est qu’instinctif. Un autodidacte qui écrit et compose par nécessité, sans a priori ni projet. Surtout, sans vouloir porter un regard critique sur le monde qui l’entoure ni vouloir le provoquer ou se moquer de lui.
Je n’ai aucun désir, seulement des besoins. Je n’ai pas de message précis à délivrer. C’est juste que j’ai besoin de m’exprimer sur ce que je vis, sur mes fantasmes et mes contradictions.
Philippe Katerine
Un scandale prévisible
L’une de ses contradictions est la suivante : en France, les chansons de Philippe Katerine sont moins connues que son personnage. Une situation qu’ont bien sûr exacerbée sa participation à la cérémonie d’ouverture des Jeux et le tollé suscité par la table dont il faisait partie. Plutôt qu’une représentation audacieuse de Dionysos entouré de drag queens, certains ont interprété cette proposition comme une représentation dégradante de La Cènec’est-à-dire le dernier repas de Jésus.
“Je n’ai chanté qu’une minute”, se défend d’abord humblement Philippe Katerine lorsqu’on évoque la fameuse séquence où il a interprété sa chanson. Pas. Il ajoute rapidement qu’il n’est pas surpris que l’image ait choqué les gens.
Je voyais l’ambiance complètement réactive qu’il y avait en France, donc j’imaginais que ça n’allait pas bien se passer.
Philippe Katerine
» Il dit cela sur un ton neutre, semblant n’en tirer ni embarras ni fierté. “Je trouve ça tellement absurde”, ajoute-t-il. Quant à moi, je proposais quelque chose de tendre et de paisible, et il fallait que cela provoque des événements. Cela fait partie du jeu. »
Composent l’ordinaire
Philippe Katerine insiste : il n’a pas l’âme d’un révolutionnaire. Il ne croit ni à l’authenticité ni à la sincérité de l’art. « J’essaie de proposer quelque chose qui ne soit pas ennuyeux », dit-il. J’essaie de m’éloigner de ce que je suis, des chansons sombres qui sont souvent mon quotidien. J’essaie de les composer différemment. »
Zouzousous ses dehors festifs parfois un peu bêtes, se cache en fait un disque ponctué d’angoisses. Il partage les inquiétudes de son papa en tendresse Père (l’est toujours). Ses pensées vont également bien au-delà de l’esprit de la botte lorsqu’il parle de son vieillissement. Le clown a l’air plus sérieux qu’avant.
« Ce disque est proche du dessin, de ma façon de dessiner. Je trouve que ses chansons sont assez rondes, pas très épineuses, souligne-t-il. Le monde est devenu un peu plus dur, je ne voulais pas durcir mes propos. Je me souviens m’être dit que ça ne servait à rien d’ajouter le chaos au chaos. »
Aucune malice ne brille dans son regard lorsque Philippe Katerine prononce ces quelques phrases. L’espace d’un instant, la sincérité qu’il fuyait le rattrapa. Derrière le masque, c’est bel et bien un sourire triste que l’on voit.
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Zouzou
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