C’est l’histoire d’un homme de 67 ans, éleveur de vaches à la retraite, édenté, échevelé, mal famé, aux traits grossiers et à l’hygiène douteuse, qui vit sans eau ni électricité à Puy-Saint-Pierre dans le Briançonnais. Un vieux garçon célibataire, sans attaches sentimentales, sans relations sociales qui aime sa terre natale, sa montagne. Un type discret et marginalisé, unique héritier d’un patrimoine foncier estimé à environ 1,5 millions d’euros à proximité des pistes de ski de Serre Chevalier mais qui s’accommode de cette pension de 36 euros par mois.
Et c’est l’histoire d’une femme de 42 ans, agent immobilier en activité, bien habillée, soignée, distinguée qui vit à Paris. Une ancienne danseuse-masseuse-strip tease de peep show reconnue coupable de délit d’indécence à la pudeur, incarcérée au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis suite à une enquête de la Brigade de Répression du Proxénétisme. Une maman ravie de gagner entre 7 000 euros et 10 000 euros par mois au plus fort de ses activités, propriétaire d’une dizaine d’appartements en Île-de-France et sur la Côte d’Azur.
Une histoire d’amour épique, chaotique, médiatique et atypique
Rien ne prédestinait ces deux-là à se rencontrer. Encore moins pour se marier. Et pourtant, le 3 septembre 2011, Marcel Amphoux et Sandrine Devillard se disaient « oui ». Mariés au premier regard, ou presque. Contre la volonté du maire de Puy-Saint-Pierre, sans la bénédiction du curé mais avec l’accord du procureur de la République.
« J’ai rencontré mon futur mari au bord de la route alors que j’étais en vacances à Serre Chevalier. Par l’intermédiaire d’un ami commun, je me suis rendu chez lui pour mieux le connaître. Je l’ai trouvé attachant, original, drôle. Au début, c’est vrai, j’ai eu de la pitié pour Marcel et puis ça s’est transformé en amour. Nous avons commencé à flirter, c’était une relation amoureuse mutuelle. Marcel voulait fonder une famille, avoir un enfant. Je n’y étais pas opposé. Moi, j’avais envie de changer de vie, de m’installer à la montagne avec cet homme gentil, agréable, timide, patient, musclé” témoigne Sandrine Devillard lorsque les gendarmes de la compagnie de Briançon l’interrogent sur le bien-fondé de son union avec Marcel. Une ode à l’amour et à la différence qui apparaît dans les médias, sur les plateaux télé et même dans une chanson. Une romance qui ne convainc pourtant pas grand monde à Puy-Saint-Pierre où la Parisienne suscite plus de méfiance que de déférence.
“Je ne voulais pas me marier, j’ai été forcé”
Marcel lui-même se fait peu d’illusions sur les véritables intentions de sa femme : « Je ne voulais pas me marier, j’ai été forcé » explique-t-il au Dauphiné Libéré ; « Quand je meurs, je laisse mes maisons à mes locataires, rien à ma femme », griffonnait-il sur un bout de papier en novembre 2012. Quinze jours plus tard, il décédait dans un accident de voiture alors qu’il était conduit par l’homme qui l’avait présenté à Sandrine deux ans plus tôt. Un homme poursuivi pour homicide involontaire mais finalement acquitté et lavé de tout soupçon.
Le testament et l’héritage, des enjeux cruciaux
Marcel a à peine été enterré à son domicile de Puy-Saint-Pierre, une bataille judiciaire s’engage entre la veuve et les occupants des maisons du défunt. Près de dix ans de procédures visant à faire exécuter ou annuler le testament, analyser les conditions de succession, s’accuser mutuellement d’escroquerie, d’abus de faiblesse, de faux documents.
-À l’automne 2024, alors que le conflit semble toucher à son terme en faveur des occupants des maisons de Marcel reconnus par la justice comme seuls héritiers, l’administration refuse de leur délivrer les legs en question. Motif invoqué : le délai est prescrit. Selon un arrêt récent de la Cour de cassation, le délai de prescription pour faire valoir les droits successoraux aurait été abaissé à cinq ans contre trente ans auparavant. Cependant, Marcel est décédé il y a douze ans. « Notre dernier recours est désormais de faire reconnaître par la justice la nullité du mariage et donc de demander son annulation. C’est comme un combat, un devoir moral pour faire respecter l’honneur et les dernières volontés d’un petit paysan du vieux monde » explique l’un des occupants des maisons de Marcel.
«Je vois une envie de salir une nouvelle fois ma cliente en lui faisant perdre son statut d’héritière. Ils ne savent plus quoi imaginer pour obtenir leur part. Quitte à véhiculer une vision rétrograde du mariage » se défend Me Lasvergnas, l’avocat de la veuve.
Dernier rebondissement dans une histoire qui n’en manque pas. Une audience est prévue le 4 février au tribunal judiciaire de Grasse dans les Alpes-Maritimes, département de résidence de Sandrine.
France
Related News :