La violence dans les prisons, les exigences des agents pénitentiaires et les mauvaises conditions carcérales font la une des journaux. Le Soleil en a discuté avec deux hommes incarcérés à la prison d’Orsainville.
Il est assez rare que les avocats de la défense conseillent à leurs clients de s’exprimer lors de leur procédure judiciaire. Mais dans ce contexte, ces prisonniers n’ont rien à perdre.
Les conditions de détention sont « insupportables ». Leur situation en prison ne pourrait guère être pire. Ils veulent surtout joindre leur voix à celle des agents correctionnels, qui réclament depuis longtemps plus de bras.
« En prison, on ne s’attend pas à être libre, mais il y a une liberté résiduelle, ils n’en ont presque plus. Les gars sont paniqués et sur le point d’exploser», affirme l’avocat William Vallée, qui représente K. Beaulieu et S. Lauzon.
Demande finale
La semaine dernière, les avocats de la défense ont tiré la sonnette d’alarme en envoyant une longue lettre aux ministres de la Justice et de la Sécurité publique. Ils dénoncent des conditions de détention « inhumaines ». Le manque de personnel dans les prisons empêche les avocats de bien faire leur travail ; et la qualité de l’ensemble du système judiciaire est endommagée.
K. Beaulieu et S. Lauzon savent que la sympathie des gens pour les prisonniers n’est pas gagnée d’avance. Le bien-être des délinquants n’est certainement pas une priorité à l’ordre du jour, même à l’approche des fêtes.
Les deux accusés sont en prison au Québec depuis plusieurs mois déjà. Ils ont également purgé des peines dans le passé. Beaulieu est notamment devant le tribunal pour des délits de harcèlement et de voies de fait. Lauzon est accusé de méfaits et d’introduction par effraction.
Malgré leur lourd passé juridique, ils estiment avoir le droit d’exiger de meilleures conditions de détention. Ils veulent que les lois entourant les prisonniers soient respectées, ni plus ni moins.
« Ce que nous déplorons, ce sont les confinements longs et répétés et les conséquences sur nous, nos proches et notre peine », déclare S. Lauzon.
Coincé dans une cellule
Au cours des six derniers mois, la qualité de leurs conditions de vie s’est détériorée. K. Beaulieu et S. Lauzon ont pris des notes.
Depuis juin, ils passent en moyenne 17 heures par jour en cellule.
Entre le 3 et le 10 décembre, ils affirment avoir passé 139 heures sur 168 dans leur cellule. La semaine suivante, entre le 11 et le 18 décembre, ils ont passé 114 heures enfermés. Des confinements surviennent. Cela fait partie de la réalité des détenus, mais « jamais aussi souvent », disent ceux qui ont vécu la détention avant que la situation ne se détériore.
Depuis le 27 juin, S. Lauzon a comptabilisé 18 périodes de plus de 24 heures passées en cellule. Depuis le 13 octobre, ils ont pu expérimenter les activités normales de la prison pendant 18 jours, sur 66.
S’ils ont de la chance, les détenus sont libérés entre 16 heures et 22 h 45 pour se laver, manger, discuter ou appeler leurs proches et leurs avocats.
« Je passe mes journées dans une cellule de trois mètres sur six. J’ai avec moi un codétenu qui dort par terre, près des toilettes, car nous sommes trop nombreux dans notre aile.
— K.Beaulieu
Les détenus appellent cela « camping », lorsqu’un codétenu est installé au sol.
Lors d’événements déstabilisant la vie carcérale, comme des drones, des vitres brisées ou des bagarres, les détenus sont immédiatement enfermés en cellule. Les agents correctionnels doivent s’efforcer de rétablir l’ordre, par exemple, et il ne reste plus assez de personnel pour assurer la sécurité des ailes si les détenus sortent de leurs cellules.
« Nous avons vu leur manque de personnel complètement diminuer. Je comprends qu’ils ne peuvent pas ouvrir les portes ! Ce n’est pas de leur faute. Nous aussi, nous avons nos droits. Nos portes doivent être ouvertes un certain nombre d’heures. Malheureusement, nos droits sont complètement violés.
Des hommes peuvent demeurer confinés même si aucun événement anormal n’est signalé, simplement en raison du manque d’agents correctionnels sur le terrain.
Les détenus portent plainte à plusieurs reprises en prison. Mais cela « ne fait rien ».
Beaulieu et Lauzon ont pitié des agents correctionnels. Ils les voient s’essouffler, ils constatent les heures supplémentaires et la réduction des effectifs. Il y a six mois, il y avait peut-être trois agents dans la console de surveillance, par exemple. De nos jours, il n’y en a qu’un.
« Je suis complètement démoralisé, totalement épuisé. Quand on peut enfin sortir, cela crée une mauvaise cohésion entre chaque détenu. Le manque de tabac joue un grand rôle, mais surtout le fait d’être confiné dans une petite pièce, 90% du temps allongé sur le lit. La tension devient complètement insupportable.
Les violences
Oui, il se passe beaucoup plus de choses en prison, mais pas partout. Beaulieu et Lauzon sont installés dans le pavillon F, dans une aile « plutôt tranquille ». Ils disent entretenir une relation de respect entre les détenus et avec les agents. Ce n’est pas vrai que tout le monde cause des problèmes, insistent-ils.
« Je ne suis pas responsable du comportement de mes codétenus, mais nous payons tous le prix au même prix. Moi, j’essaie juste de rester calme dans mon coin», note Lauzon.
Pendant les régimes de cellules sèches, lorsque les agents soupçonnent la présence de drogues dans la cellule, l’eau doit être coupée dans toute l’aile, tant au robinet qu’aux toilettes. Ces détails rendent le confinement encore plus insupportable. Lorsque l’eau est rétablie pendant quelques minutes, ils doivent décider s’ils doivent tirer la chasse d’eau ou remplir leur bouteille d’eau.
«C’est une torture mentale. Il y a de l’anxiété, de la dépression. Notre famille à l’extérieur n’a pas de nouvelles», exprime Lauzon.
Les deux hommes ne recherchent pas d’encouragement. Ils ne veulent aucune faveur. Ils souhaitent simplement un retour à la normale, afin de terminer leur peine sans encombre.
Plus tôt cette année, une étude de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) parlait d’une hausse fulgurante des suicides et des tentatives de suicide dans les centres de détention québécois pendant la pandémie.
A ce rythme, ces statistiques ne sont pas près de s’améliorer, constatent les deux détenus.
Ils ne savent pas si leur prise de parole contribuera à faire bouger les choses. En attendant, ils continuent de prendre des notes. Ils calculent le nombre d’heures d’enfermement. Les avocats de la défense estiment que des recours collectifs massifs concernant le traitement des détenus pourraient être lancés dans les mois ou années à venir.
À court terme, les options pour améliorer la situation sont limitées. Une chose est sûre, tous les acteurs du domaine s’entendent sur le fait qu’il faut davantage d’agents correctionnels.
« Je ressens de la détresse lors des appels de mes clients. Il se trouve que c’est sous clé, mais désormais, c’est devenu systématique. Cela contribue aux tensions. Détenu toujours incarcéré, il ne sera pas dans son état normal à sa sortie. Ça commence à flipper», souligne Me Vallée, qui représente Beaulieu et Lauzon.
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