« On s’est posé la question d’organiser une fête de Noël, mais on n’en avait pas le cœur… » La résidence Habitat Jeunes (1) la Roulière, gérée par Cap habitat, fermera définitivement ses portes le 31 décembre, après plus de trente ans de service. Comme l’organisateur social Damien Dubrulle, plusieurs s’étaient préparés à fêter Noël chez Joséphine-Baker à Clou-Bouchet. Mais la donne a changé : l’association Cap habitat n’en assurera plus la gestion, et le personnel ne sera pas repris. Quatre salariés sont licenciés.
C’est le cas de Brigitte Sagory. Elle a quitté sa campagne en 1985 pour travailler dans « la Zup ». Hébergée à la résidence Atlantique, elle finit par y être embauchée pour faire du ménage, avant d’arriver à La Roulière en 1992. Elle connaît le bâtiment par cœur. Avec son collègue Taous Khali, ils ont toutes les pièces en tête : celle dont la vitre est décollée, celle qui se transforme en four quand l’été arrive, celle qui a la plus belle vue sur l’église Saint-André.
“On a sauvé cette petite fille, elle a passé son bac”
« Un jour, une résidente est venue me voir en larmes. Elle m’a raconté sa vie. Je l’ai soulagée, comme j’aurais soulagé mes enfants.”se souvient Taous, qui travaille à la résidence depuis vingt-neuf ans. Elle y fait le ménage, mais parle aussi aux jeunes, les conseille, les oriente. « Vous vous souvenez de cette jeune fille ? Nous étions allés la réveiller le matin de son bac.demande son collègue, les yeux humides. « Oui, nous lui avons même donné un crayon. Elle ne nous l’a jamais rendu. Mais nous avons sauvé cette petite fille. Elle a eu son baccalauréat ! »
Les larmes aux yeux, Taous s’apprête à quitter le vaste bâtiment. “J’ai l’impression de vivre des funérailles tous les jours en ce moment”dit-elle. « Qu’est-ce que je vais faire derrière ? Quand on a quarante ans de ménage derrière soi, et qu’on n’a pas pris le - de se former… Tout ça ne disparaît pas. Lâcha Brigitte. «C’est douloureux. Jusqu’au bout on a fait du bon spectacle avec les jeunes…», soupire Damien Dubrulle, avant de laisser lui aussi s’échapper des larmes.
Tous déplacés
Parmi les 44 résidents hébergés à La Roulière au 1est En octobre, neuf ont obtenu une place chez Joséphine-Baker, douze sont à l’Atlantique (géré par Cap habitat), six au parc social, cinq dans le privé. D’autres sont retournés dans leur famille ou dans leur région, mais “personne ne sera au 115”se soulage-t-on.
Certes, la résidence située en centre-ville n’en était plus à ses balbutiements. Des seaux destinés à limiter les dégâts des eaux côtoyaient des champignons nés de moisissures et des couloirs trop étroits pour répondre aux normes. Mais elle faisait partie du quartier. L’hôtel particulier du 18e siècle a vu un défilé de lycée au 19èmee siècle, la chambre de commerce au début du 20eun autre lycée ensuite, la Maison des associations après guerre, et enfin une résidence d’hébergement pour jeunes. Damien Dubrulle se souvient des concerts que le bâtiment accueillait. « C’était un lieu de préfiguration du Camji. Ici nous avons des tableaux de Slimane [Ould Mohand]dessins de Guillaume Bouzar… »
Il va falloir se séparer de tout cela. Suspendu au plafond de l’ancienne salle commune, un panneau “La Roulière saloon” est le dernier témoin d’une soirée passée. Tout le reste a été supprimé et les fenêtres seront bientôt murées.
(1) Résidence Logement Jeunes (RHJ) ou Maison Jeunes Travailleurs (FJT), appellations équivalentes pour des structures d’hébergement « de transition » dédiées aux jeunes, avec un accompagnement social important.
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