Si Chrystia Freeland cherche la définition de « avaler un serpent », elle tombera sur quelque chose qui ressemble à ceci :
« Devoir faire ou accepter quelque chose dont on ne veut pas. Souffrir d’humiliation. »
Comme défendre un congé électoral de la TPS imposé par son patron et auquel elle s’est opposée. Sa récompense pour cette fidélité ? Être rétrogradé.
Dans quelle mesure un homme politique doit-il marcher sur sa fierté et ses convictions au nom de la sacro-sainte solidarité ministérielle ? Je voulais discuter de cette question avec d’anciens politiciens.
L’idée n’est pas de représenter Mmoi Freeland en héroïne incomprise. Si l’ancienne ministre des Finances était convaincue que les fonds publics étaient mal gérés, c’est elle qui avait le pouvoir (et le devoir) d’intervenir.
Il reste cependant fascinant de voir des hommes politiques se présenter devant les électeurs pour défendre des décisions auxquelles ils sont opposés. Vous souvenez-vous du ministre Steven Guilbeault défendant le projet pétrolier Bay du Nord? Épique !
Michael Fortier, ancien ministre conservateur sous Stephen Harper, souligne que la solidarité ministérielle n’est pas un caprice : elle sert à éviter de semer la confusion au sein de la population.
« Il y a des dissensions sur tous les lieux de travail. La différence avec un gouvernement, c’est qu’il communique constamment avec la population. Il faut qu’il y ait de la cohérence dans le message », observe-t-il.
Sans dévoiler d’exemples précis, M. Fortier se souvient avoir été en désaccord avec certaines décisions de son gouvernement. Il a exprimé ces désaccords en Conseil des ministres. Mais une fois la décision prise, il garda le silence.
Louise Beaudoin se souvient d’un serpent qui lui restait longtemps en gorge : les fusions municipales.
Imposées au début des années 2000 par le gouvernement du Parti québécois dans lequel elle était ministre des Relations internationales, ces fusions ont regroupé des dizaines de municipalités.
«Ça a été un désastre pour moi, ça m’a fait perdre ma circonscription», a déclaré l’ancien député de Chambly. J’étais contre. Je voyais bien que cela n’avait aucun sens d’imposer cela et que cela ne donnerait pas les résultats escomptés. »
En interne, Mmoi Beaudoin exprime alors fortement son désaccord. Mais publiquement, elle n’a d’autre choix que de soutenir les fusions.
J’ai vécu au maximum une campagne électorale douloureuse. Les citoyens de Saint-Bruno que je représentais ne voulaient pas de cette fusion. J’étais d’accord avec eux, mais je ne pouvais pas les soutenir.
Louise Beaudoin
En public, elle défend les fusions « du bout des lèvres », en apportant un « service minimum ». Elle a fait la même chose lorsque Lucien Bouchard a multiplié les compressions budgétaires alors qu’elle était ministre de la Culture.
Lorsqu’elle a finalement claqué la porte du Parti québécois, c’était dans un tout autre contexte. Le parti se retrouve alors dans l’opposition et la saga du Centre Vidéotron de Québec bat son plein. La chef du PQ, Pauline Marois, exige de ses troupes qu’elles votent en faveur d’un projet de loi destiné à immuniser la Ville de Québec contre les poursuites, même si la Ville avait conclu une entente avec Vidéotron sans appel d’offres.
Cette fois, M.moi Beaudoin refuses to toe the party line. She left the Parti Québécois alongside Pierre Curzi, Lisette Lapointe and Jean-Martin Aussant.
“Pour une arène!” Franchement ! Je n’ai pas compris, je ne comprends toujours pas. Là, ça a touché des convictions profondes», dit-elle. Elle convient toutefois qu’il est plus facile de claquer la porte lorsqu’on est député de l’opposition que ministre.
«C’est une question d’équilibre», juge Sylvain Gaudreault, qui fut ministre sous Pauline Marois. Mon point de vue séduit-il toujours mes collègues ? Est-ce que je gagne à 80% ? Vous faites des concessions, vous tolérez, vous avalez des serpents – parce que tout le monde avale des serpents, en politique. »
Il admet que défendre des idées auxquelles on ne croit pas est dur pour l’ego.
« C’est paradoxal : en politique, il faut faire preuve de fermeté, mais il faut aussi de l’humilité », dit-il.
Les ministres deviennent-ils porte-parole ?
Aucun de mes interlocuteurs ne se souvient cependant d’un premier ministre qui aurait imposé ses vues à un ministre contre son gré dans son propre domaine d’action, comme cela semble avoir été le cas de Justin Trudeau et de Chrystia Freeland.
Pour Robert Asselin, un ancien conseiller politique qui a notamment travaillé pour Jean Chrétien et Paul Martin, c’est là tout le problème.
« Les décisions sont devenues beaucoup trop centralisées au sein du cabinet du Premier ministre », estime-t-il. C’est une tendance qui a commencé avec Stephen Harper et s’est renforcée avec M. Trudeau. Les ministres deviennent presque des porte-parole au lieu d’avoir un pouvoir d’initiative sur des sujets importants. »
Il trouve particulièrement problématique qu’un premier ministre court-circuite son ministre des Finances, qui joue un peu un rôle d’arbitre auprès de ses collègues en tenant les cordons de la bourse.
« Si, en interne, les autres ministres savent que le ministre des Finances sera toujours contourne via le Cabinet du Premier ministre, les demandes finissent par parvenir directement au Cabinet du Premier ministre et le ministre des Finances perd sa pertinence », dit-il.
Il se souvient de l’époque où Jean Chrétien et son ministre des Finances, Paul Martin, étaient à couteaux tirés.
« Ce sont deux personnes qui ne s’aimaient pas particulièrement. Malgré cela, M. Chrétien avait accordé sa confiance absolue à M. Martin dans des moments extrêmement périlleux – lutte au déficit, transferts aux provinces, etc. À l’interne, tout le monde savait que M. Martin avait l’appui du premier ministre. »
Pour un Premier ministre, forcer ses ministres à avaler quelques serpents est pratiquement inévitable. Mais lorsqu’on en abuse, cela peut se transformer en indigestion. Les dégâts peuvent alors être difficiles à nettoyer.
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