M. Senghor est le fils unique de M’Bap Senghor, tué le 1er décembre 1944 alors qu’il réclamait ses arriérés de solde pour sa participation à la Seconde Guerre mondiale.
Les autorités françaises de l’époque avaient reconnu la mort d’au moins 35 personnes. Mais plusieurs historiens avancent un nombre de victimes bien plus élevé, pouvant atteindre plusieurs centaines. Le sort des soldats tombés au combat n’a jamais été révélé avec précision.
« Jusqu’à il y a trois ans, avant de perdre la vue, j’allais chaque année prier au cimetière de Thiaroye. J’ai appris que les tirailleurs y sont enterrés dans une fosse commune, près d’un baobab. , mais je n’en sais rien», explique à l’AFP Biram Senghor, adjudant-chef de gendarmerie à la retraite.
« La France a été lâche. Il doit s’excuser, payer des dommages et intérêts aux personnes qu’il a massacrées et les élever au rang de martyrs”, a déclaré ce père de famille, vêtu d’un boubou bleu ciel et d’un foulard blanc, dans sa maison de Diakhao, une paisible ville aux rues sablonneuses. centre-ouest du Sénégal.
L’homme, malentendant, marche à l’aide d’une canne, tâtant les obstacles sur son passage, le visage bloqué par des lunettes noires, avant de s’asseoir sur une chaise en plastique sous une véranda.
«Je veux que mon père soit indemnisé. Je veux le soutien des autorités sénégalaises», qui l’ont invité à la cérémonie officielle dimanche à Thiaroye, insiste-t-il, chapelet en mains.
– « Crime sur crime » –
“Biram Senghor est le seul descendant vivant” connu des exécutés à Thiaroye, a déclaré à l’AFP l’historienne française Armelle Mabon.
Mobilisé en septembre 1940, un an après le début du conflit, M’Bap Senghor quitte rapidement le Sénégal pour l’Europe, raconte son fils. “Je n’étais pas encore sevré”, ajoute celui qui, à l’état civil, est “né vers 1938”.
Début novembre 1944, dans les derniers mois du conflit, plus de 1 600 tirailleurs, venus de plusieurs colonies françaises d’Afrique de l’Ouest en 1940 pour participer aux combats, embarquent de France pour être ramenés par bateau à Dakar.
Ils sont arrivés plus de deux semaines plus tard au Sénégal, où ils ont exigé le paiement de leurs arriérés de solde, ainsi que diverses primes et indemnités de combat. Certains refusent de rentrer chez eux sans être payés.
Le 1er décembre 1944 vers 9h30, les tirailleurs, regroupés au camp militaire de Thiaroye, à une quinzaine de km de Dakar, sont désarmés par des soldats de l’armée coloniale française puis tués, notamment à la mitrailleuse, selon les historiens.
La France, qui leur devait quatre ans d’arriérés, a non seulement « refusé de payer », mais les a aussi « massacrés », déplore M. Senghor.
“C’est crime après crime”, dénonce celui qui ne sait pas si son père faisait partie des soldats “tués dans leur caserne” ou qui ont été “achevés à l’hôpital”, comme disent les historiens.
Parmi les tirailleurs exécutés, six ont été reconnus en juillet comme « morts pour la France », une liste qui « pourra être complétée dès que l’identité exacte des autres victimes sera établie », selon le secrétariat d’Etat français chargé des Anciens Combattants et de la Mémoire. .
Parmi eux, quatre étaient sénégalais, dont M’Bap Senghor.
– « Dégoûté » –
“Cette reconnaissance me dégoûte”, fulmine son fils Biram, qui se bat depuis des décennies pour faire valoir ses droits de fils d’une victime du massacre.
Il se souvient avoir, en 1948 et 1953, accompagné sa mère et un oncle à Fatick, une ville voisine, convoqués par les autorités coloniales au sujet de son père. Sans résultat.
Après le massacre, M’Bap Senghor « a été considéré comme ‘non revenu’ (disparu) puis déserteur », écrit Mme Mabon dans son ouvrage « Massacre de Thiaroye. Histoire d’un mensonge d’État », publié en novembre.
Sa mort n’a été officiellement reconnue que neuf ans plus tard, en 1953, a-t-elle déclaré.
En 1973, Biram écrit au président sénégalais Léopold Sédar Senghor pour lui demander de l’aider à obtenir une indemnisation, mais se heurte à un tabou. « Il ne m’a pas répondu. Son chef de cabinet me dira (plus tard) que (ma) lettre est trop délicate.»
Il ne se décourage pas et écrit en 1982 au président français François Mitterrand. On lui avait promis des recherches, mais « ça n’a rien donné », grogne-t-il.
En 2013, Mme Mabon, son mentor dans cette affaire, retrouve le dossier de son père dans les archives. « Elle m’a contacté », dit-il, et depuis, « nous continuons ce combat avec la France ».
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