La Croix : À quand remonte la dernière fois que vous avez interagi avec quelqu’un ayant des positions radicalement opposées ?
Marine Tondelier : Il y a une heure, parce que ça fait partie de mon quotidien : j’ai toujours essayé de discuter avec tout le monde. Cet après-midi, j’ai organisé un live au siège des Verts au Mercosur avec Didier Giraud, l’éleveur emblématique de l’émission « Les Grandes Moules » sur RMC. Nous avons beaucoup de désaccords, mais plutôt que d’en rester là, j’ai trouvé intéressant de travailler sur ce qui peut nous rapprocher. Nous avons également répertorié des « convergences de luttes » entre agriculteurs et écologistes : le refus de l’artificialisation des terres agricoles, des revenus plus justes pour les agriculteurs, plus de produits locaux dans la restauration collective… Bref, au final, nous nous sommes mis d’accord sur beaucoup de choses, et je J’espère que ceux qui ont assisté à l’échange ont trouvé matière à réflexion.
François-Xavier Bellamy : Moi, c’était aussi ce matin et aussi sur le Mercosur, mais j’ai vécu le résultat inverse ! J’ai été appelé par un collègue de mon propre groupe parlementaire, d’un autre pays européen, qui défend le traité et j’ai vu que j’avais passé une partie de la nuit avec les agriculteurs pour les soutenir. Et j’ai vécu un véritable désaccord avec une personne qui était du même bord politique que moi. C’est ainsi que nous faisons avancer les causes que nous défendons, même si les désaccords les plus difficiles sont souvent ceux qui divisent une même famille politique.
Avez-vous déjà vécu l’impossibilité totale de débattre ?
F.-XB : Rarement. Le principe de la vie démocratique est d’accepter que la politique doive composer avec le clair-obscur de la réalité. Chacun a la responsabilité de servir le bien commun, mais le chemin pour y parvenir n’est presque jamais évident. Nous pouvons défendre avec force la vision que nous voulons partager, sans refuser de prendre la contradiction au sérieux et d’y répondre avec loyauté. Je ne suis pas un relativiste, mais je crois que la recherche de la vérité implique cette exigence d’honnêteté intellectuelle, qui donne du sens au débat public.
François-Xavier Bellamy à Paris, le 18 novembre 2024. / Frédéric STUCIN / pour La Croix
MT : Oui, j’ai vécu des situations d’incommunicabilité très confuses. Lorsque je suis devenu très jeune homme politique d’opposition dans une mairie d’extrême droite, j’ai été frappé par la violence des premiers débats municipaux. Le maire a crié, j’ai machinalement élevé la voix pour pouvoir terminer mon discours, il a répondu en disant que j’étais hystérique… C’était sans fin ! Et puis un jour, instinctivement, j’ai fait une blague qui l’a déstabilisé et a fait rire tout le public, pourtant engagé pour sa cause. J’ai progressivement développé d’autres armes : la dérision, le calme, le sourire… Quand on fait une bagarre de boue avec un cochon, on peut progresser, voire arriver à le battre sur son propre terrain de jeu, mais la différence, c’est qu’il y prend plaisir. Il ne faut jamais se laisser emporter par la brutalité de son adversaire !
F.-XB : Je ne suis pas un représentant du Rassemblement National, mais je ne suis pas sûr que comparer son adversaire à un cochon soit un exemple de respect et la meilleure façon de convaincre…
MT : Vous n’avez pas connu dix ans d’opposition locale au Rassemblement National…
F.-XB : Non, mais j’ai connu des oppositions très dures, par exemple de la part de certains militants ou élus de La France insoumise. Je n’adopterai pas des méthodes que je désapprouve, quelles que soient les lignes rouges que pourraient franchir les adversaires. Lorsque j’ai reçu des menaces de mort, j’ai simplement dû porter plainte.
Dans le débat public, y a-t-il des sujets sur lesquels on ne peut plus débattre ?
MT : J’espère que non ! Réaliser l’incommunicabilité serait un terrible piège, car le débat est l’essence même de la démocratie. C’est pourquoi, malgré l’obstruction démocratique d’Emmanuel Macron qui n’a pas nommé de Premier ministre issu du Nouveau Front populaire à l’issue des élections législatives, les Verts sont allés rencontrer Michel Barnier lors de sa nomination. Nous lui avons clairement dit ce que nous pensions, tout en essayant de faire avancer les sujets.
F.-XB : La tragédie de la politique est que les désaccords se traduisent de plus en plus souvent par une condamnation morale – de tous les côtés, y compris parfois du mien. Quiconque ne pense pas comme moi n’est pas forcément un idiot ou un salaud. Il faudrait pouvoir se le dire, et cela nous libérerait d’un vrai poids. Mais la vie politique d’aujourd’hui est prisonnière des canaux du débat. Dans nos Parlements, ce qui comptait, c’était de débattre avec les élus dans l’hémicycle ; aujourd’hui, c’est pour obtenir la séquence qui va faire le buzz sur les réseaux sociaux. Vous n’êtes plus là pour convaincre vos collègues, mais pour montrer à vos électeurs que vous savez les confronter.
Sur les questions environnementales, Marine Tondelier, vous sentez-vous parfois mise au ban de la droite ?
MT : Ostracisés, non, mais caricaturés, enfermés dans leurs préjugés, oui. L’« Ecolobashing » est toujours bien réel en politique. Nous sommes souvent caricaturés en partisans d’une écologie punitive, destinée aux grandes villes et ciblant les précaires. Alors qu’en réalité, plus nous sommes riches, plus nous polluons et plus nous sommes pauvres, plus nous sommes exposés aux crises environnementales… et donc protégés par les politiques environnementales ! J’ai parfois l’impression que le Pape comprenait mieux l’écologie que beaucoup de nos politiques…
Et sur les questions éthiques, François-Xavier Bellamy, avez-vous l’impression d’être mis au ban de la gauche ?
F.-XB : Les caricatures règnent aussi sur ces débats, c’est sûr. Mais le plus affligeant, c’est que les mêmes obstacles de pensée, qui retardaient hier la prise de conscience environnementale, sont aujourd’hui repris par une grande partie de la gauche. C’est fondamentalement la même idée que le progrès consisterait en un sens de l’histoire fondé sur la technicisation comme une fin en soi – hier il s’agissait de la nature extérieure, aujourd’hui de notre propre corps. C’est amusant de vous entendre citer le pape François, car nombre de ses propos sont jugés insupportables à gauche, sur la fin de la vie ou sur la procréation. Elle propose en effet une vision cohérente de l’écologie, que certains qui prétendent y croire rêvent pourtant de faire disparaître. S’il est regrettable que l’écologie ait longtemps été caricaturée comme un effet de mode réactionnaire, l’équilibre de la vie devrait aussi être reconnu dans nos corps.
MT : La différence sur ces questions qui touchent à l’identité, c’est qu’elles peuvent être très violentes. Je l’ai vécu autour de moi. Découvrir leur homosexualité à l’époque de La Manif pour tous a été très difficile pour des adolescents qui ne savaient pas comment en parler à leur famille, ou se demandaient si la société les accepterait tels qu’ils sont. Quelles réactions vouliez-vous qu’ils trouvent lorsqu’ils voient des militants qualifier leur sexualité de « contre nature » ?
Marine Tondelier in Paris, November 18, 2024. / Frédéric STUCIN / for La Croix
F.-XB : Je comprends que ces débats auraient pu être douloureux. Mais beaucoup ont mis en garde contre la PMA (procréation médicalement assistée, NDLR) et GPA (GPA) qui ont suivi cette réforme, et n’ont jamais dit ni pensé cela à propos de l’homosexualité… Nous pouvons tous trouver des opposants qui nous conviennent pour discréditer leurs positions.
MT : Ces manifestations visaient à ne pas donner les mêmes droits à certaines personnes, même si cela n’aurait rien enlevé à personne… Ce que je vous dis, c’est ce que nous disaient les jeunes homosexuels lorsqu’ils nous rejoignaient chez les Verts. Certains arguments politiques blessent les gens.
F.-XB : La lutte contre l’homophobie doit nous rassembler tous, et je crains qu’une grande partie de la gauche ait choisi de fermer les yeux sur l’homophobie violente véhiculée par l’islamisme, qui a déjà gagné beaucoup trop de terrain en France. Au sujet des droits, le débat est nécessaire : je ne crois pas un seul instant qu’il y ait des progrès dans le « droit à l’enfant », quand il s’agit notamment de l’exploitation du corps des femmes par l’industrie de GPA…
Craignez-vous aujourd’hui une dérive à l’américaine, avec une polarisation de la société ?
F.-XB : Rappelons d’abord que le clivage n’est pas un problème en démocratie. Je n’ai jamais cru à la promesse macroniste du « en même temps ». La liberté démocratique présuppose le pluralisme. Il faudrait même retrouver la jubilation des débats contradictoires !
Mais par polarisation, nous entendons refus du débat…
F.-XB : C’est là que réside le danger. Je le constate sur les réseaux : mettre en avant une personne ou une action positive a une audience bien moindre que les contenus négatifs. Cette prime au négatif entraîne l’augmentation de la violence que nous vivons : l’adversaire devient un ennemi.
MT : Mais tous les réseaux sociaux ne sont pas égaux. Le propre algorithme de X est conçu pour intensifier cet élan de frustration et de haine. Il brandit un miroir déformant, haineux de la société. Soit il faut le réglementer, soit il faut l’éliminer. C’est comme CNews, que les écologistes ont décidé de boycotter…
F.-XB : Mais il faut y retourner ! Je réponds bien à Libération ou à Humanité…
MT : Vous ne pouvez pas comparer. CNews est une agence de propagande au service d’un projet civilisationnel, sanctionné à plusieurs reprises par l’Arcom. Concernant les États-Unis, je suis bien sûr consterné par l’élection, à la tête d’une des plus grandes démocraties du monde, d’un défenseur du port d’armes, climato-sceptique, auteur d’agressions sexuelles, qui vantait les injections d’eau de Javel comme remède contre Covid… Je vois monter le complotisme et les discours anti-scientifiques en France aussi, y compris parfois dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. C’est effrayant !
Quel engagement seriez-vous prêt à prendre pour lutter contre la polarisation de la société ?
F.-XB : Pour moi, l’exigence de cohérence : faire le même discours, que les micros soient ouverts ou fermés. Et pour le pays, battez-vous pour notre école. Il n’y a pas de démocratie sans citoyens libres, et l’éducation en est la condition absolue. Notre école est sur le terrain, malgré le dévouement des professeurs ; si nous n’y parvenons pas, notre démocratie risque de mourir.
MT : Pour ma part, je suis incapable de m’exprimer différemment sur un plateau que dans un échange privé. Je propose deux pistes concrètes : l’indépendance des médias, à l’heure où un groupe de dix milliardaires représente 90 % des ventes des quotidiens nationaux, 55 % de l’audience de la télévision et 40 % de l’audience de la radio, ce qui pose un véritable problème problème démocratique; et les conventions citoyennes, qui sont des cadres de délibération apaisés, où l’on apprend à gérer les dissensions. Par ailleurs, je pense que les politiques pourraient utilement prendre le temps de se taire et d’écouter les citoyens.
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► Le questionnaire « Il faut qu’on parle »
Nous avons soumis à nos deux débatteurs le questionnaire créé pour les participants à l’opération « Il faut qu’on parle ».
Pouvons-nous nous aimer et avoir des idées politiques opposées ?
F.-XB : Oui.
MT : Oui.
Faut-il rétablir l’impôt sur la fortune ?
F.-XB : Non.
MT : Oui.
Pensez-vous que le mouvement MeToo a un impact positif sur la société ?
F.-XB : Ambivalent.
MT : Oui.
Pensez-vous qu’il faudrait armer les policiers municipaux ?
F.-XB : Oui.
MT : Non.
Faut-il limiter la vitesse autorisée des voitures pour lutter contre le changement climatique ?
F.-XB : Non.
MT : Oui.
Faut-il durcir l’accès aux prestations sociales pour les étrangers ?
F.-XB : Oui.
MT : Non.
Faut-il interdire les smartphones aux collégiens ?
F.-XB : Oui.
MT : Oui.
Faut-il introduire une semaine de travail de quatre jours ?
F.-XB : Non.
MT : Oui.
Faut-il lutter davantage contre les discriminations ?
F.-XB : Oui.
MT : Oui.
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