Dans son travail Barbès Blues. Une histoire populaire de l’immigration maghrébineAux éditions du Seuil, le chercheur Hajer Ben Boubaker revient sur les événements qui ont fait de ce quartier le lieu de vie de la communauté maghrébine à Paris. Avant Barbès, dit-elle, la première colonie algérienne à Paris se trouvait en fait dans le Quartier Latin. C’est dans la seconde moitié du XIXème siècle, avec la création des Gares du Nord, de l’Est et Saint-Lazare, que la Goutte d’Or, au cœur de Barbès, devient une zone d’arrivée, d’abord pour les Les Bretons, les immigrés d’Europe de l’Est, les Italiens, puis les Algériens…
D’où le concept de « centralité immigrée », forgé en 1992 par Jean-Claude Toubon et Khelifa Messamah, dans leur ouvrage La centralité des immigrants. Le quartier de la Goutte d’Or, dynamique d’un espace multiethnique (L’Harmattan). « C’est un lieu où des personnes issues de plusieurs immigrations ont pu établir un lien culturel, politique, économique, analysis Sharks Ben Boubaker. La communauté maghrébine, issue de trois pays, a imprégné le quartier de sa présence, de ses points communs, mais aussi de ses différences, et a su créer sa propre culture au sein de la diaspora. C’est l’un des quartiers les plus connus hors Paris : à Marseille, à Lyon, en Afrique du Nord ou de l’Ouest, tout le monde connaît Barbès.» Même si, le reconnaît-elle, le quartier a toujours souffert d’une mauvaise réputation et est encore sujet aux clichés et aux préjugés.
Un temps révolu
Au début du XXe siècle, Paris était moins hostile aux Arabes qu’Alger, observe Hajer Ben Boubaker. « Alger était extrêmement ségréguée, c’était très difficile par exemple pour un Algérien d’aller dans un café fréquenté par des pieds noirs. Alors qu’à Paris, malgré la surveillance et le racisme, il y avait encore de la sociabilité et la possibilité de se politiser à travers les syndicats ou le Parti communiste.»
Le titre de son livre, Barbès Bluesfait référence à une époque révolue. « Entre le début des années 1920 et les années 1980, on constate des continuités, dans la sociabilité des hommes maghrébins par exemple, à travers les lieux, le café, le travail ouvrier, les intérêts musicaux partagés… Les choses changent quand les enfants grandissent en France et ne le font pas. ont la même sociabilité dans la communauté que leurs parents ou grands-parents. Cela ne veut pas dire que ces gens ne vivaient pas avec la société française, mais ils avaient aussi un monde à eux, ça. les enfants le savent, mais ne le partagent pas pleinement.
Les conséquences de la gentrification
Autre « centralité des immigrés » à Paris, le quartier de Belleville. «C’est la centralité des Tunisiens. Les premiers à s’installer sont les juifs tunisiens, puis quand les travailleurs tunisiens musulmans arrivent, ils se dirigent tout automatiquement vers Belleville, parce que c’est un quartier populaire où l’on peut se loger, et aussi parce qu’« il y a des repères ».
Mais aujourd’hui, des quartiers comme Belleville se sont considérablement embourgeoisés, « gentrifiés ». Entrainant une hausse des prix des logements et, par conséquent, des transformations dans les habitudes sociales des habitants, note Hajer Ben Boubaker. « Quand des commerces ferment parce que le loyer devient trop cher, notamment les commerces spécialisés dans les produits d’Afrique du Nord (ou de l’ouest à Château-Rouge), ou quand les cafés changent et que les habitants historiques n’ont pas les moyens de s’installer sur les nouvelles terrasses, il y a c’est un petit côté villageois qui se perd… »
- Sharks Ben Boubaker, Barbès Blues. Une histoire populaire de l’immigration maghrébineSeuil, septembre 2024
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