France Bleu Loire Océan a bousculé ses programmes ce vendredi pour évoquer la crise agricole qui secoue le pays. Alors que Michel Barnier et son gouvernement sont mis sous pression par la FNSEA, principal syndicat du monde agricole, et“Une nouvelle mobilisation nationale se prépare, à partir de lundiil existe des dizaines d’organisations qui, en coulisses, viennent en aide à ces éleveurs et producteurs en souffrance. Depuis 1986, l’association « Paysans Solidaires » va à la rencontre des agriculteurs de Loire-Atlantique pour les écouter et leur proposer des solutions. Rencontre avec Isabelle Grégoire, assistante sociale qui tente de panser les maux d’une profession en souffrance, aux côtés d’une quarantaine de bénévoles.
« Aujourd’hui, il y a un sentiment de ras-le-bol et de lassitude qui s’exprime »
France Blen Loire : Quel est votre rôle ?
Isabelle Grégoire: Nous intervenons à la demande des agriculteurs. Ils sont 30 à 40 par an en moyenne à nous appeler. Ils se trouvent dans des situations de fragilité, qui peuvent être économiques, sociales, familiales, psychologiques, techniques, juridiques. Bizarrement, ce sont plutôt les femmes qui nous contactent et qui osent appeler l’association pour nous faire part de leurs difficultés. Ce sont eux, en majorité, qui tirent la sonnette d’alarme. Les hommes qui franchissent le pas sont eux-mêmes pour la plupart des chefs d’exploitation agricole. Il est probablement plus difficile pour les hommes de parler de leurs difficultés.
Quelles sont les principales raisons qui poussent ces agriculteurs à appeler à l’aide ?
Auparavant, c’était essentiellement pour des problèmes économiques. C’est encore le cas aujourd’hui, ils souffrent économiquement mais il y a aussi un ras-le-bol et une lassitude qui s’expriment. C’est particulièrement le cas cette année, compte tenu des difficultés climatiques. Je pense que de nombreux agriculteurs ont également peur de l’avenir. On disait qu’en agriculture, il y avait une mauvaise année sur 4 ou 5, maintenant on se demande si on n’est pas passé à deux mauvaises années sur trois.
D’où leur pessimisme de plus en plus visible ?
Leurs réserves ont été épuisées, le Covid a aussi été un moment privilégié pour les agriculteurs. Nous sommes nombreux à revenir faire nos courses chez des producteurs bio qui vendent en direct. Mais depuis la fin de la pandémie, les agriculteurs bio font moins de ventes, le système de vente met aussi beaucoup moins l’accent sur ces produits et leurs revenus baissent, ce qui explique leur faible moral.
“Je pense à une personne qui m’a dit : ‘le pont de Cheviré n’est pas loin'”
Lorsque vous rencontrez ces agriculteurs en difficulté, les ressentez-vous davantage en colère ou désespérés ?
Ils expriment souvent leur désespoir. On est parfois le réceptacle de la colère, surtout quand elle se cristallise parce qu’il y a un créancier qui n’écoute plus, parce qu’il y a des problèmes de fournisseurs, avec la Mutuelle sociale agricole. Il existe différents acteurs avec lesquels les gestionnaires agricoles doivent avoir des relations, parfois, malheureusement, elles deviennent tendues, ce qui crée de la colère. Mais cette colère laisse vite place aux sombres pensées de ces agriculteurs. Beaucoup me disent : « Je ne vais pas bien, je vais me tromper. » Beaucoup de gens me parlent du risque d’agir et je repense à quelqu’un qui m’a dit : « le pont de Cheviré n’est pas loin ».
Comment les dissuader ?
Heureusement, nous avons des outils. Nous nous appuyons sur un réseau d’accompagnement et de prévention du suicide avec le MSA et différents acteurs pour tenter de prévenir les actes. Face à ces agriculteurs, il ne faut surtout pas porter de jugement, il faut écouter le mal-être de la personne et ne pas lui dire « ça va mieux » ou « ça va aller mieux ». Il faut comprendre la douleur, l’accepter et faire des suggestions. Nous travaillons notamment avec un réseau de psychologues lié au MSA et nous disposons d’un réseau d’écoute. Ce sont des solutions pour que l’agriculteur parle de sa souffrance et ensuite, avec l’association, nous l’accompagnons pour trouver des solutions pour l’exploitation et pour la famille. Il faut avant tout recréer l’espoir et c’est là que nous intervenons. Nous leur proposons des outils pour surmonter leurs difficultés et parfois, nous les accompagnons également, lorsqu’il n’y a pas d’avenir sur leurs exploitations, dans une phase de reconversion.
Qu’est-ce qui vous pousse à soutenir tous ces agriculteurs depuis 25 ans ?
Il s’agit de créer de l’espoir, de leur dire qu’il y a un avenir. Avec l’association, nous essayons principalement d’inciter les agriculteurs à rester sur leur exploitation mais nous les accompagnons également lorsque l’exploitation n’est plus tenable à changer de direction. Ce sont avant tout les humains que nous souhaitons préserver.
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