Les Corses sont-ils plus pudibonds que les continentaux ? Sur l’île, les charmantes boutiques et autres sex-shops se comptent sur les doigts d’une main, et la clientèle des sexologues est moins nombreuse. De quoi y voir, pour certains, un tabou autour de la sexualité… et pour d’autres, simplement le reflet d’une plus grande discrétion, dans une société marquée par l’ultra proximité et le regard quasi permanent des autres.
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Victoria en est convaincue : «entre la Corse et le continent, dès qu’il s’agit de sexe, il y a tout un monde« .
Originaire de Balagne, elle n’avait jamais quitté l’île avant de partir en 2021 étudier à Paris. Vivant en colocation au cœur du quartier Saint-Lazare, la jeune femme découvre un temps plus pluvieux, un style vestimentaire différent, une vie culturelle florissante et des lieux où il fait bon se montrer… Mais aussi une nouvelle façon de concevoir ce qu’elle avait jusqu’alors l’habitude de garder »plutôt secret», à savoir sa sexualité.
“Ce n’est pas comme si je n’en avais jamais parlé auparavant, indique-t-elle. Avec mes amis corses, on en a discuté – et on en discute encore – sans aucun souci entre nous, en se disant par exemple : hé, je vois un tel, ça se passe comme ça. Et dans le cas d’amis très proches, on peut même entrer un peu plus dans les détails en disant qu’on a testé telle ou telle chose.“
Des confidences toujours gardées dans un cercle de confiance très restreint, insiste la jeune femme. “Raconter des choses comme ça à tout le monde serait le meilleur moyen de se forger une réputation de fille facile, et comme les choses changent déjà très vite en Corse…“
À son arrivée dans la capitale, Victoria n’imaginait pas que le sujet puisse y être abordé différemment. Et puis, une semaine seulement après la rentrée, surprise : alors qu’elle accompagne plusieurs de ses nouveaux camarades de classe au restaurant universitaire, l’étudiante se retrouve mêlée à une conversation consacrée à la vie sexuelle et aux « shots ». de ce dernier. “J’étais un peu gêné. Surtout, j’ai trouvé ça étrange. Je ne comprenais pas pourquoi ils en parlaient comme on parle de la météo à des inconnus.“
Sauf que la situation se reproduit, en d’autres lieux, avec d’autres personnes, et toujours, constate Balanine, le même relâchement. De déconcertant, c’est devenu une forme de norme pour Victoria »,mais seulement sur le continent. Je ne vois pas ce genre de choses être importées en Corse. C’est peut-être parce qu’on est trop réservés ou que les Parisiens sont trop expansifs, je ne sais pas. Mais chez nous, cela n’arrive pas.“
La sexualité et les pratiques qui l’entourent seraient-elles un peu (voire beaucoup) taboues en Corse ? Propriétaire d’une charmante boutique à Bastia, Marjorie Sansoni en est convaincue. Adepte depuis plus de 20 ans, avec sa compagne, de boutiques de charme et d’accessoires destinés à pimenter sa vie de couple, c’est en observant leur cruauté »absence» sur l’île qu’elle a décidé, il y a un an et demi, de lancer sa propre boutique.
Sur le continent, on entre dans un sex-shop ou un love shop comme on va au supermarché. Ici, ce n’est pas du tout le cas.
Elle, qui résidait jusqu’à récemment sur la Côte d’Azur, témoigne d’une différence de mentalité frappante concernant la consommation de jouets et d’accessoires sexuels sur l’île. : “Sur le continent, on entre dans un sex-shop ou un love shop comme on va au supermarché. Ici, ce n’est pas du tout le cas. Les clients ont souvent peur d’être vus entrer ou sortir du magasin.“
Sa boutique est toute en élégance et surtout “sans vulgarité“qu’elle voulait le concevoir.”Je voulais quelque chose qui me corresponde, assez classe et raffiné, qui puisse mettre les clients à l’aise. Lorsqu’ils arrivent dans le magasin, ils sont souvent un peu gênés, mais l’ambiance et la décoration les font se sentir mieux.“
Et on y trouve de tout : en vitrine et à l’entrée, de la lingerie affriolante et des accessoires plus ou moins coquins. Et au fond du magasin, à l’abri des regards à moins de s’aventurer plus profondément, des vibromasseurs, des godes de toutes tailles et couleurs, et bien d’autres sextoys.
“Nous avons également des clients qui ont des demandes de produits spécifiques, ou des commandes un peu inhabituelles, comme des balançoires à accrocher au mur ou des croix de Saint André. Dans ce cas, nous pouvons passer commande afin qu’ils puissent ensuite venir les récupérer directement en magasin.“
Selon le gérant, l’affaire se porte bien, portée par des couples ou des clients solos. “Nous avons aussi des clients qui viennent acheter des jouets pour leurs amis, pour la macagna« . Même si, sourit Marjorie Sansoni, «il y en a qui me disent que c’est pour une macagna, mais qui je soupçonne n’osent pas admettre qu’ils achètent les produits pour leur propre consommation.»
Pour cet entrepreneur, si la parole se libère et les pratiques se diversifient, au fil des années, en Corse, «nous restons beaucoup plus lents sur cet aspect que sur le continent.“
Pour autant, peut-on vraiment qualifier les Corses de prudes ? Non, selon Sandrine Francisci. Pour ce sexologue clinicien, les Corses ne sont pas moins libérés que les autres, »Je connais des bergers qui vivent dans les plus petits villages et qui ont une sexualité très libérée», glisse-t-elle. Mais peut-être sont-ils simplement plus secrets qu’ailleurs sur ce qui se passe dans leur intimité, proximité oblige.
Secrets, ou parfois complètement muets sur le sujet, avoue-t-elle. “On ressent un certain malaise lorsqu’il s’agit d’aborder la sexualité, notamment dans ses aspects les moins glorieux, c’est-à-dire lorsque tout ne se passe pas comme on le souhaiterait. Les hommes corses, par exemple, ne parlent pas entre eux de problèmes d’érection, quand la parole est plus libre ailleurs.», analyse-t-elle.
Les hommes corses, par exemple, ne parlent pas entre eux de problèmes d’érection, quand la parole est plus libre ailleurs.
Sandrine Francisci ressent également ce malaise lorsqu’il s’agit de prendre rendez-vous dans son cabinet de Bastia. “Venir en consultation, admettre qu’on a besoin d’aide et accepter qu’un tiers s’immisce dans notre intimité est toujours compliqué, on comprend donc un certain embarras. Mais j’ai le sentiment que c’est plus marqué ici qu’ailleurs : quand je compare avec mes confrères continentaux, je constate qu’ils ont une fréquentation bien plus élevée. Et je le ressens même chez mes propres patients : la majorité sont des gens originaires du continent et désormais installés ici.“
Quant à sa clientèle corse, «J’en ai qui sont venus me voir et qui se sont vite arrêtés lorsqu’ils se sont aperçus que je connaissais un cousin, ou un voisin ou un ami à eux. J’ai aussi des clients qui viennent me consulter depuis Ajaccio par exemple, alors qu’ils pourraient voir des professionnels près de chez eux. Je suis sûr qu’à l’inverse, certains Bastiais consulteront en Corse-du-Sud plutôt qu’à domicile. Les gens ont peur d’être vus et de sortir.“
La situation pourrait-elle changer ? Marjorie Sansoni, propriétaire de la charmante boutique de Bastia, appelle les Corses à «libérer« et ne vous privez plus de découvrir “quelque chose de nouveau« Pour en parler plus ouvertement aussi »le meilleur moyen d’éviter les pratiques extrêmes chez les plus jeunes, en matière de sexualité comme dans d’autres domaines, car ils sont confrontés depuis des années à un interdit.“
Pour Sébastien*, 40 ans, les langues ont tendance à se relâcher avec les années. “Avant, c’était plus secret. Maintenant, on en parle plus facilement. Pour donner un exemple, une connaissance m’a récemment parlé d’une de ses amies qui avait testé un gode ceinture pour initier son partenaire à la pénétration… Des choses comme ça, avant, personne n’en avait jamais. parler. Je ne dis pas que tout le monde le ferait aujourd’hui, mais cela s’ouvre de plus en plus.“
Il ne faut pas oublier que la Corse est une terre de tradition, avec un regard sur les autres et une pression sociale permanente qui nous incite à la discrétion.
Une position partagée par Paul-Antoine, la trentaine… qui exprime néanmoins une certaine réserve. “L’ouverture sur ces sujets est peut-être plus grande qu’avant. Mais il ne faut pas oublier que la Corse est une terre de tradition, avec un regard sur les autres et une pression sociale permanente qui incite à la discrétion.« Une terre de foi aussi », poursuit-il.La majorité des gens ici continuent de se déclarer catholiques, cela reste la norme. Et on nous apprend à faire preuve d’une forme de modestie, que d’autres ont choisi d’abandonner.“
Reste à retenir tout de même un dernier point : que le sujet soit traité avec discrétion, pudeur ou secret, la sexualité reste une préoccupation à tout âge : preuve en est la clientèle de la charmante boutique de Marjorie Sansoni, de 18 à 18 ans. 75 ans, et celle du cabinet de sexologie de Sandrine Francisci, de 18 à 83 ans.
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